Manifestation iranienne suite au retrait des Etats-Unis de l’accord de Vienne en 2018. ©Wikimedia commons / Fars News Agency
Le décès du général iranien Qassem Soleimani, émissaire de la République islamique en Irak, le 2 janvier 2020 à Bagdad, a marqué l’apogée du conflit entre l’Iran et les Etats-Unis. Un évènement qui a fait resurgir la peur d’une troisième guerre mondiale.
Alors qu’un raid organisé par le président américain, Donald Trump, a causé la mort d’une des figures des Gardiens de la révolution, armée idéologique de Téhéran, la réponse iranienne ne s’est pas faite attendre. Le 8 janvier 2020, une douzaine de missiles, selon Washington, se sont abattus sur deux bases abritant des soldats américains en Irak ; Aïn al-Assad et Erbil. L’« opération Martyr Soleimani » a blessé onze soldats américains et provoquée 64 commotions cérébrales, a annoncé le pentagone. Ces chiffres viennent contredire les premières annonces de la maison blanche sur l’absence de victime et les 80 morts américains indiqués par la télévision d’Etat iranienne.
Le même jour deux missiles iraniens ont provoqué, par accident, le crash du Boeing 737 d’Ukraine International Airlines près de Téhéran, provoquant la mort de 176 innocents. Même si l’Iran avait accepté d’envoyer les boites noires de l’avion à l’Ukraine et à la France, le pays cherche pour le moment un moyen de décoder lui- même ces données en acquérant la technologie nécessaire.
Cette crise s’inscrit en réalité dans un long conflit diplomatique de plus de 40 ans entre l’Iran et les Etats-Unis, accentué par l’arrivé au pouvoir du président américain Donal Trump.
Une région stratégique sensible
Les conflits géopolitiques ne sont pas nouveaux dans cette région, notamment dans le détroit d’Ormus, indispensable à l’économie mondiale. Ce couloir maritime d’une quarantaine de kilomètres, situé entre l’Iran et le sultanat d’Oman, relie les pays arabes producteurs d’hydrocarbure (soit l’Iran, l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats Arabes Unis, l’Irak et le Koweït) à la mer d’Oman. Selon l’AFP, 21 millions de barils de pétrole brut y transitaient chaque jour, soit 20 % de la production mondiale.
Cet espace sensible a déjà été le théâtre de nombreux conflits qui ont fragilisé le commerce et augmenté le cours du pétrole. La guerre entre l’Iran et l’Irak, soutenu par les Etats-Unis, par exemple, a causé la destruction de plus de 600 navires entre 1980 et 1990. De même, Téhéran a menacé à plusieurs reprises de fermer le détroit, reprochant une trop grande présence des forces étrangères dans cette région, notamment, celle de la Cinquième flotte américaine stationnée à Bahreïn.
« Si on (ndlr les occidentaux) devait adopter des sanctions contre les exportations du pétrole iranien, aucune goutte de pétrole ne transiterait par le détroit d’Ormuz »
Premier vice-président iranien, Mohammad Reza Rahimi, 28 décembre 2011
Téhéran n’étant pas lié par la convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer, de 1982, ses dirigeants pourraient mettre en œuvre leurs menaces. Selon cet accord, le détroit serait divisé entre l’Iran et le Sultanat d’Oman. L’article 41 établit, cependant, des voies de passages internationales situées dans les eaux territoriales du Sultanat d’Oman. Pourtant les Etats-Unis, qui n’ont pas signé cette convention, pourraient ne pas respecter les limites de son droit de transit.
Le rejet de l’accord sur le nucléaire iranien
Les tensions entre les deux pays protagonistes ont été ravivées par la sortie des Etats-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, le 8 mai 2018. Signé le 14 juillet 2015 par les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume Uni, l’Allemagne, l’Union européenne et l’Iran, ce texte avait pour objectif le contrôle du programme nucléaire iranien et la levée des sanctions économiques qui touchaient ce pays.
Qualifiant cet accord de mensonge, l’administration de Donald Trump a décidé de durcir les sanctions économiques envers Téhéran entre mai et novembre 2018, dans les secteurs aéronautique, minier et pétrolier. Face à la pression exercée par Washington certaines entreprises ont, d’ailleurs, cessé toute activité en Iran comme Engie et Boeing. Malgré la loi de blocage adoptée par les européens, ces mesures ont été élargies à 17 producteurs de métaux et sociétés minières iraniens, suite au bombardement des deux bases américaines en Irak le 8 janvier 2020.
De son coté l’Iran s’est progressivement affranchi de l’accord de Vienne. Téhéran avait annoncé, après le retrait du président Donald Trump, qu’il réduirait ses engagements tous les 60 jours pour contrer les sanctions économiques américaines. Après avoir augmenté son stock d’uranium et d’eau lourde, le pays a mis au point de nouvelles centrifugeuses interdites par l’accord. Les dirigeants iraniens ont, cependant, soutenu qu’ils reviendraient sur leurs désengagements, si les Etats-Unis n’appliquaient plus de sanctions à leur égard.
« Nous déciderons si ce que l’Europe fait est suffisant pour que nous ralentissions ou que nous annulions certaines décisions – nous n’avons pas exclu de faire machine arrière en ce qui concerne certaines mesures que nous avons déjà prises ».
Mohammad Djavad Zarif, Ministre des Affaires étrangères de l’Iran
La communauté internationale a décidé d’imposer à l’Iran le respect de l’accord sur le nucléaire de 2015. Paris, Londres et Berlin ont déclenché, début janvier, le mécanisme de règlement des différends prévu par le traité de 2015 qui pourrait, à terme, mener au rétablissement de sanctions par l’ONU.
Une montée progressive des violences
En parallèle de cette guerre de sanctions, une escalade des violences militaires a aussi eu lieu dans cette région. Ces affrontements ont commencé juste après l’inscription par les Etats-Unis, le 8 avril 2019, des Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique du régime iranien, sur sa liste noire des « organisations terroristes étrangères ». Le président américain Donald Trump avait, par ailleurs, interdit par décret l’immigration des ressortissants de sept pays musulmans, dont l’Iran.
Les tensions n’ont alors cessé de s’accentuer avec une série d’attaques contre des pétroliers imputée à Téhéran, et la destruction de drones par les deux belligérants durant l’été 2019. Les États-Unis ont, par la suite, accusé l’Iran d’avoir organisé différents assauts comme la destruction d’infrastructures pétrolières majeures en Arabie Saoudite le 14 septembre ou le meurtre d’un sous-traitant américain lors d’une attaque à la roquette le 27 décembre. Les représailles américaines, engendrant la mort de 25 combattants pro-Iran le 29 décembre 2020 près d’al-Qaïm, ont provoqué la prise de l’ambassade des États-Unis à Bagdad, le 31 décembre 2020, par des manifestants pro-iraniens.
Ces différents évènements ont mené à l’apogée de la crise qui est survenue en janvier 2020 suite à la mort du général iranien Qassem Soleimani et à la peur d’une nouvelle guerre mondiale, engendrée par un jeu d’alliances considéré comme dangereux. Le Moyen-Orient reste écartelé entre les deux anciennes puissances rivales : les Etats-Unis et la Russie. Alors qu’Israël et l’Arabie Saoudite réclament la protection de Washington, la Syrie et l’Iran se rangent derrière Moscou. De même, l’Iran se rapproche des communautés liées à sa religion officielle, le chiisme, dans les autres pays de la région comme en Irak, au Liban, à Bahreïn, au Yémen et en Arabie Saoudite. Cette situation pourrait conduire à de nombreuses guerres civiles. Reste à savoir quelle place prendrait l’Europe dans un tel scénario.
Même si les violences sont pour le moment figées, un sentiment anti-américain transparait dans les manifestations en Iran comme en Irak. Ce dernier a d’ailleurs voté une loi pour expulser 5 200 soldats américains alors que l’Iran a classé toutes les forces armées américaines comme « terroristes » début janvier.