Photo SAFIA BAHMED-SCHWARTZ
Une fois par mois, la rubrique littéraire de Maze présente le portrait singulier d’un.e auteur.e francophone de moins de trente ans. Voici le portrait de Marin Fouqué, auteur du roman 77.
Marin Fouqué vit et travaille à Paris. Né en 1991, diplômé des Beaux-Arts de Cergy, il anime des ateliers d’écriture, étudie le chant lyrique et pratique la boxe française. Il écrit de la poésie, du rap, des nouvelles, et compose sur scène des performances mêlant prose, chant et musique. 77 est le titre de son premier roman.
« Car la virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l’assignement à la féminité. Qu’est ce que ça exige au juste, d’être un homme, un vrai ? Répression des émotions. Taire sa sensibilité. Avoir honte de sa délicatesse, de sa vulnérabilité. Quitter l’enfance brutalement, et définitivement : les hommes-enfants n’ont pas bonne presse. Etre angoissé par la taille de sa bite. (…) Devoir être courageux même si on en a aucune envie. Valoriser la force quel que soit son caractère. Faire preuve d’agressivité. Avoir un accès restreint à la paternité. Réussir socialement pour se payer les meilleures femmes. Craindre son homosexualité car un homme, un vrai, ne doit pas être pénétré. (…) Etre coupé de sa féminité, symétriquement aux femmes qui renoncent à leur virilité, non en fonction des besoins d’une situation mais en fonction de ce que le corps collectif exige. »
Extrait de 77 de Marin Fouqué
« Je t’encule ou tu m’encules »
Extrait de King Kong Theory, Virginie Despentes
« 77 c’est le département. Ça se revendique, c’est quelque chose. Plus grand que le 93 le 77 même. » Dès les premières pages du roman, le narrateur livre la signification de ce titre qui figure entre un pneu et une grenouille sur la couverture du livre. 77 désigne la Seine-et-Marne. A quelques dizaines de kilomètres de Paris, cette banlieue rurale est un territoire complexe traversé de toutes parts par des influences contradictoires, dans l’ombre de Melun et la peur de Paris. La Seine-Saint-Denis ou les Yvelines sont des territoires marqués et signifiants dans l’imaginaire collectif, ce qui n’est pas le cas du 77. Banlieue rurale, anciens villages, territoires dortoirs et champs à perte de vue ; autant d’éléments dans lesquels résident la non-identité de cet espace frontalier entre la capitale et la région/province. « Le silence du 77 », c’est dans cette négation que réside toute l’essence de ce territoire. Marin Fouqué propose un portrait de cette banlieue dans laquelle il a grandi et participe à diversifier l’imaginaire de cette dernière : ni ZAD, tours et cités, ni banlieue pavillonnaire et rues privées, sa tentative d’aller au-delà des clichés qui pèsent lourds sur ces espaces périphériques. Le récit entremêle le poétique et la politique à l’intersection entre questions de classes et questions de genres, sans chapitre, avec des coupures et des heurts, dans une langue brute et martelée, il se prête au jeu d’offrir au 77 un portrait et une identité. Ensemble, nous avons discuté du traitement artistique et littéraire de la banlieue mais aussi de virilité, de genre, de féminisme et de Virginie Despentes.
Tu as publié ton premier roman en octobre chez Actes Sud. Peux-tu nous le résumer en quelques phrases ?
M.F : On pourrait simplement dire que c’est une histoire se déroulant en France, dans le sud du 77. Via un monologue intérieur, le lecteur est plongé dans les pensées d’un jeune homme ayant décidé de ne pas monter dans le bus scolaire un matin. On va comprendre au fur et à mesure pourquoi il ne monte plus depuis plusieurs mois, pourquoi d’habitude ils sont deux mais que ce matin, il est seul. On pourrait aussi dire, plus frontalement, que c’est un roman de désinitiation. Les premiers romans sont souvent des romans d’initiation mais je crois que celui-ci est un roman de déconstruction. Déconstruction des schémas proposés, imposés. C’est aussi la recherche maladroite d’un jeune garçon qui voudrait devenir quelqu’un plutôt qu’un homme. Ou pire : un bonhomme, un vrai bonhomme. Sur un plan formel, c’est la quête d’une troisième voie.
Tu entends quoi par troisième voie ?
J’ai l’impression que, dès l’adolescence, nous est proposé un choix terrible et figé entre deux rôles : le rôle d’oppresseur et celui d’opprimé. C’est à se demander justement s’il n’y a pas une troisième possibilité. Quelque chose à inventer. Refuser ce schéma binaire mais aussi créer une nouvelle manière d’être et de se comporter, avec d’autres rapports possibles entre les êtres. Ce que j’aime aussi dans ce terme, c’est qu’il évoque aussi bien la voie au sens de chemin que la voix au bout de la langue. Il s’agit effectivement pour moi de trouver ma propre voix dans ce livre, celle qui habite réellement ma bouche. Cette voix propre est peut-être comme le langage qui me remplit véritablement. Elle se distingue autant de la langue vernaculaire (j’ai appris ce mot ce matin) que des discours ambiants qui l’habitent en permanence. Reprendre sa langue, comme on reprendrait son nez à ces sales adultes qui pensaient drôle de nous le voler entre l’index et le majeur. Ils nous ont volés la langue. Il n’y a qu’à écouter un discours politique, rentrer dans un working space de start’up ou se laisser avoir par un sermon de boomer. Je voulais ré-apprivoiser ma langue pour moi-même, loin de tous les préjugés qui l’entravaient.
Bitume et boue : Banlieue 77
77 est ton premier roman, pourtant tu as une certaine pratique de l’écriture puisque tu écris du rap, de la poésie, des nouvelles. Pourquoi avoir retenu la forme du livre et de la fiction, encore connotés comme une culture légitime, pour écrire sur la banlieue alors que tu aurais pu te saisir de ce sujet par un autre médium ?
C’est une vraie question. Pour beaucoup de personnes, je crois, le roman reste LA forme littéraire. Ecrire un roman donne l’impression de passer aux choses sérieuses. Il y a un truc d’ascension sociale dans le statut d’auteur.e. C’est totalement idiot mais c’était sûrement une des choses qui me motivait. J’en ai écris un premier, et je ne sais toujours pas ce que c’est que la littérature. J’avais aussi à cœur de m’adresser à public plus large que celui de la poésie. Avec les performances, je me suis vite rendu compte que je tombais souvent sur le même public. Toujours les mêmes gueules dans les mêmes lieux. J’avais envie qu’un objet aille plus loin que le cercle fermé des gens qui s’intéressent à la performance, à la création contemporaine, à la poésie-sonore. Le livre, même physiquement, en tant que petite brique de papier, peut se retrouver n’importe où. J’avais envie que mon livre s’achète à Carrefour comme dans les petites librairies et qu’il puisse donc toucher d’autres personnes, au-delà de l’eau stagnante du bain sale qu’est l’entre-soi. Après, c’est certain que le rap reste la meilleure manière d’en sortir, c’est la musique la plus écoutée en France. Mais le rap, c’est ce que j’aime profondément, pas ce que je fais le mieux. Le roman s’est donc un peu imposé.
Selon toi, que peut apporter la fiction dans la représentation de la banlieue ? On avait tendance, encore il y a quelques années, à représenter la banlieue principalement sous un angle documentaire en faisant appel à des reportages, des témoignages …
M.F : Pendant longtemps, on a observé ces territoires avec toujours le même œil, toujours le même regardeur pour le même rapport « exotisant ». On avait tendance à se pencher vers ce réel avec des gants et des masques chirurgicaux comme s’il était trop hostile, mystérieux, trop loin pour en faire une fiction. J’avais besoin de trouver une identité-territoire parce que le 77, j’y ai grandi, j’y ai vécu, c’est là que j’ai connu mes premières années et pourtant, il y avait un vrai décalage en terme de représentation. Jeune, quand j’écoutais du rap, ça parlait de quelque chose qui n’avait rien à voir avec ce que je connaissais. Quand je lisais des livres c’était la même chose. Pareil pour les films. J’avais besoin de quelque chose qui cimente tout ça, ce vide, et je trouve que la fiction ça cimente bien ! Plus simplement, je pense aussi qu’on a changé de regardeur. Auparavant, comme je le disais c’était des yeux extérieurs qui ne pouvaient donc regarder ces territoires qu’avec l’oeil de l’ethnologue. Désormais ce sont des « yeux de l’intérieur » qui portent un regard sur leur territoire propre. Et quand on y vit à l’intérieur, on a besoin d’y injecter de la fiction. On a pas envie de s’emmerder devant sa propre création, comme dans sa vie. C’est un besoin de faire vibrer les choses.
Les Misérables de Ladj Ly
M.C : Récemment, le premier film de Ladji Ly, les Misérables est sorti en salle. Est ce que tu l’as vu ? Qu’en as-tu pensé ? Comment situerais-tu ton oeuvre par rapport à ce film ?
Admiratif. Ce film m’a bousculé. J’étais extrêmement ému et je suis resté longtemps travaillé par ce film. Chaque personnage a une profondeur hallucinante. Les dialogues sont dingues. Même les flics sont peints avec plusieurs couches ! Les images sont très belles. Aussi, j’ai connu un sentiment que je n’avais jamais connu auparavant au cinéma. Au moment où le môme fait exploser un pétard sur la voiture des flics, j’ai eu un réel moment de soulagement, d’exutoire, de plaisir de la vengeance. Les mômes leur en mettent plein la gueule, juste ce qu’il faut, c’est jouissif, et puis quand ça part dans les escaliers et que ça monte en violence, je me suis dit que ça devenait une mauvaise idée, ils vont se faire salement punir, merde ça devient un peu trop dangereux pour les flics, ça commence à être sordide pour tout le monde. En quelques secondes, j’ai connu une forme d’apothéose suivi d’une peur immense. En terme de sentiments, de sensations, c’est grandiose. A la fin de la projection, les réactions étaient très vives et animées dans la salle. Des jeunes dans le fond ont balancé le blaze de leurs cité respectives, à dire que c’était eux les misérables. Un bobo gauchiste a gueulé qu’ils se trompaient de cible, le problème c’était les grands patrons. Comment tu peux ramener ta science après un film comme ça ? Comment tu peux encore dire qu’untel est juste, qu’untel a tort et que « ces gens-là » se trompent de cible ? Je me pose encore la question.
« J’aimerais être Booba qui a lu Despentes »
77 est un récit qui tient par certains endroits du roman d’apprentissage. Le narrateur raconte comment il a suivit des semaines durant une certaine formation auprès du grand Kevin. Cette éducation est masculiniste, misogyne. Elle consiste à apprendre à ne surtout pas exprimer ses faiblesses et à tuer le sentiment d’empathie. « Devenir un homme » comme dit le grand Kevin revêt une forme ritualisée comprenant des étapes qui vont de rouler un joint à faire jouir une femme.
Tu remercies très chaleureusement Virginie Despentes pour « électrochoc » que constitue pour toi King Kong Theorie. Pourquoi ?
Cette lecture est arrivée au début de l’écriture de 77. A peu près au même moment que ma rencontre avec le travail de Safia Bahmed-Schwarz, autrice et rappeuse. Plus tard j’ai aussi lu Refuser d’être un homme pour en finir avec la virilité de John Stoltenberg. Ce sont des choses qui m’ont beaucoup nourri. Au fur et à mesure que mon personnage allait vers une forme de déconstruction de schémas sociaux préétablis, il en était de même pour moi, je crois. Peut-être que je n’en arriverai jamais à bout, mais je continuerai. Ce sont des schémas et des rôles ancrés si profondément depuis tellement de générations, qu’on en porte encore les nombreux stigmates. Il faudra encore beaucoup de temps pour y parvenir. En tout cas, ça ne sera pas ma génération qui en verra le bout. Vivement qu’on crève ! Là où j’ai eu un électrochoc, ce n’est pas parce dans le fait qu’elle s’adresse aux hommes autant qu’aux femmes comme on a beaucoup pu l’entendre dire, mais plutôt dans le fait que c’est une écriture qui dit clairement : je ne vais pas te faire de cadeaux. Je ne vais pas écouter tes larmes de crocodiles sur le fait que tu es également victime du patriarcat et ta plaidoirie minimisante, je ne vais rien écouter de tout cela et c’est toi qui va fermer ta gueule pour moi, m’écouter, enfin. Ça a été d’une grande violence pour le jeune homme que j’étais mais c’était nécessaire pour ma prise de conscience.
Elle a une certaine forme d’intransigeance …
M.F : Oui. Personnellement, je me méfie beaucoup de ce que l’on appelle les males tears, ces hommes qui écrivent sur la virilité et expliquent en quoi ils la vivent aussi comme une oppression. Mais il faut toujours rappeler que dans ce combat, on demeure, à mon sens, des victimes privilégiées du système patriarcal. Or, un privilège est par essence au détriment de quelqu’un.e d’autre. Il faut accepter de refuser ses privilèges. Je crois qu’il faut regarder, en premier lieu, le tas de corps sur lequel on est assis. Ce tas de corps, c’est l’ensemble des gens que l’on peut oppresser. Refuser d’oppresser en opérant une remise en question profonde de ses comportements et ensuite, seulement, dans un second temps, regarder son propre corps et voir comment il a été sévèrement amoché. Ce que je reproche aux males tears, c’est de privilégier le contraire. Elles commencent par constater et contester les diktats qui pèsent sur la situation des hommes blancs-cisgenres-hétérosexuels mais elles n’ont jamais la place, l’envie ou l’occasion d’accueillir dans leur regard ou leurs oreilles un autre discours que le leur. Avec Despentes, j’ai compris que ces raisonnements ne passeraient pas !
Tout à fait. Pourtant, ta manière de procéder diffère beaucoup de celle de Despentes dans King-Kong Théorie. Son livre est autant un essai qu’un témoignage, assumé et revendiqué de sa propre existence, ce qui n’est pas ton cas. Ton livre est un récit, le sien est avant tout un discours. Tu accordes plus de place à la représentation de ce qui est dénoncé qu’à sa dénonciation elle-même, pourquoi ce choix ?
Dans ce bouquin, j’ai découvert beaucoup de choses qui m’ont déplacé petits à petits, centimètres après centimètres. Une phrase de King Kong Theorie m’avait marquée, pour de mauvaises raisons je pense. Elle disait à peu près cela : « les femmes ont toujours été le sexe fort, le sexe des révolutions, celui qui change les choses alors à quand la révolution masculine ? » Au départ, j’avais lu cette phrase comme un défi à ma virilité. J’allais être le mec, le vrai, qui ferait la révolution masculine ! J’avais commencé à écrire un premier livre extrêmement frontal, très violent. C’était un condensé de rage sourde, extrêmement dur et sec. J’étais persuadé qu’en montrant l’abject on allait forcément s’insurger. Après une discussion avec l’artiste Safia Bahmed-Schwarz, j’ai compris que de montrer l’ignoble ne faisait que rejouer l’ignoble. Une telle manière d’écrire condamnait à simplement déplacer l’horreur qu’il y avait dans la rue, au boulot, dans les lits conjugaux, jusqu’à l’espace du livre. Seul un homme blanc cis-genre hétéro avait besoin de se prendre une telle violence frontalement. Les autres la vivaient chaque jour. J’ai alors commencé à comprendre qu’il fallait juste dire les choses en essayant d’aimer le plus possible ses personnages. C’est ensuite au lecteur de fabriquer son propre raisonnement. Je pense maintenant que ce n’est pas en montrant l’horreur ou la violence qu’on la déconstruit mais bien plus en la déplaçant de quelques centimètres, en donnant du relief à certains éléments, en en effaçant d’autres. C’est aussi le propre de la fiction que de passer par ce brouillage.
On pourrait s’attarder dans ce roman sur la mise en valeur des personnages féminins. Elles ne sont pas nombreuses, pourtant deux figures émergent : la fille Novembre et la Parisienne. Toutes les deux sont autres. Elles instillent, tout au long de ce roman dont l’allure est parfois assez monotone, un autre modèle de comportements voire de résistance. Est-ce-que tu peux nous en dire plus sur elles ?
La fille Novembre, c’est un personnage qui tient tête, qui refuse les injonctions. Elle s’affirme contre. Quand elle est arrivée dans l’histoire, rien ne pouvait être pareil. C’est elle qui tire tout le livre dans telle ou telle direction. J’ai encore beaucoup de mal à en parler, elle m’est très chère. Elle tient tête à son père, à Paris, au 77 et elle m’a tenu tête à moi aussi.
Mais la Parisienne tient tête aussi. C’est un personnage très fort. Elle apporte au narrateur une autre perception de la virilité, de l’homme, des rapports humains. Elle est cataclysmique et pourtant elle demeure marginale, repoussée dans les seules dernières pages du roman. N’est-ce pas un peu dommage ?
J’avais envie d’un livre de sensations. En effet, la majeure partie du roman est assez lente. Le lecteur est avec le narrateur, ancré, plongé dans l’abri bus, plombé aussi par le shit qu’il fume. Tout le livre est l’histoire d’un corps recroquevillé sur lui-même. La question est de savoir s’il va réussir à se lever, et pour faire quoi ? Va-t-il exploser, retomber, fuir ? Voilà pourquoi le début est très lent. Ca s’accélère plus tard quand il trouve une raison de se lever de ce banc. Le personnage de la Parisienne vient de l’extérieur. Elle se situe en dehors du huis-clos comme une sorte de fenêtre. Elle est marginale parce qu’elle est une ouverture, je pense. Elle ouvre une autre voie. Elle est une altérité et en tant qu’altérité elle se situe à la marge tout en étant centrale. A la base, je voulais écrire ces parisiens qui fantasment une violence crue de la ruralité. Je voulais leur mettre lourd, exploser leurs regards exotisants. Et puis il y a eu la fille Novembre, et rien n’a été pareil. Je me suis mis à écouter La Parisienne, prendre en compte ses intentions, ses points de vues, la possibilité d’ailleurs qu’elle offrait au narrateur. Elle est reliée dans cette fin de roman à toute la question du corps, de la libération du corps. Dans la scène où il se met à danser dans la nuit, en Free party, peu de temps après leur rencontre, il découvre par lui-même d’autres sensations, celles qu’elle lui avait sous-entendu, la joie par le mouvement. Sa danse est libératrice. Elle est un élément déclencheur sans doute mais rien ne peut se faire si le narrateur n’est pas dans un rapport à lui-même, directement, sans intermédiaire. Comme dans la vie, on ne peut que se sauver soi-même. La liberté, c’est comme la parole, ça ne se donne pas : ça se prend.
Masculinité(s) et féminisme
J’ai envie de te poser une question dont on entend beaucoup parler en ce moment. A ton avis, quelle place les hommes ont, peuvent ou ne peuvent pas prendre, doivent ou ne doivent pas prendre dans le combat féministe ?
M.F : J’aurais tendance à penser qu’un homme ne peut pas être féministe. De la même manière qu’une personne blanche ne peut pas être Black Panthers. On peut être sympathisant. On peut travailler à devenir pro-féministe. Je pense qu’il y a une capacité de l’homme blanc-cisgenre à tout se réapproprier. De la même manière que le capitalisme se réapproprie tout. Il y a des T-shirt Che Gevarra fabriqué par des mômes pour cinq centimes et revendu 20 euros. Il y a des sections « Musique du Monde » encore dans certaines médiathèques. Il y a tout lieu de penser qu’il peut le faire aussi avec le féminisme. Je comprends cette méfiance. Quand tu vois que certains mecs portent des T-Shirt « Je m’en bas le clito » pour pouvoir draguer, donc oppresser, ça fout la gerbe. C’est ça le patriarcat : une bestiole purulente en permanente mutation. Quand on est en haut du tas de corps, on apprend vite à s’adapter à tous les mouvements de chaires pour rester sur le trône. Un homme qui se vente d’être féministe, c’est louche. Y’a de l’oppression qui rampe. Surtout, vite l’écraser. Je pense que la meilleure chose que les hommes peuvent faire actuellement est d’apprendre à écouter, dans le respect et la bienveillance. Et vu comment on a été éduqué, c’est pas gagné. Par exemple, dans une réunion de travail, qu’importe ce qu’un homme peut dire, il aura bien plus de chances d’être écouté et suivi. Dans ces cas là, pour moi, il ne faut pas se contenter du constat, mais faire le choix de refuser de prendre la parole ou de se réinterroger sur sa manière de la prendre. Comme dit Casey : « Apprend à te taire ».
Tu accordes une importance majeure à l’éducation des jeunes garçons en en faisant un des points centraux du récit. Avec la construction de ce jeune homme, tu vises aussi la déconstruction des schémas patriarcaux. Quelle place l’éducation des hommes par les hommes peut-elle prendre ?
M.F : Je dirais que le mieux, et sûrement le plus difficile, serait de sortir du rapport binaire au genre. Personnellement, dans la pratique, je n’y parviens que rarement, même si en théorie, je sais que le masculin n’existe pas. Il existe des verges, des testicules et des prostates mais en réalité, le masculin n’existe pas. C’est une idée. Pire : une idéologie. Tout ce qui fait le masculin est une construction sociale. Je pense qu’il faut refuser d’être membre d’un boysclub, d’être père spirituel, d’être le conseiller de quiconque, je pense qu’il faut arrêter de considérer qu’on a un genre en face de soi mais plutôt une personne. J’adorerais y parvenir. Chercher à devenir quelqu’un.e plutôt qu’un homme ou une femme.
77, Marin Fouqué, Actes Sud, 19 €