SOCIÉTÉ

Démission d’AKK : fin de cycle chez les chrétiens démocrates

Manfred Weber, AKK, Ursula von der Leyen | Münster 27.04.2019 © PPE

Manfred Weber, Annegret Kramp-Karrenbauer, Ursula von der Leyen | Münster 27.04.2019 © PPE

Le 10 février, Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) a renoncé à succéder à Angela Merkel comme candidate à la Chancellerie fédérale pour l’Union des chrétiens démocrates (CDU) et a annoncé l’abandon dans les mois à venir de sa fonction de présidente de l’Union.

L’annonce du retrait d’AKK fait écho directement à la crise liée aux élections régionales de Thuringe et l’élection de Thomas Kemmerich en tant que Ministre-président du Land grâce aux voix combinées de la CDU, du Parti libéral-démocrate (FDP), de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), ce dernier étant considéré comme parti d’extrême droite. C’est la première fois que le représentant du parti le plus minoritaire dans un parlement régional est élu à la fonction de Ministre-président, Thomas Kemmerich étant le chef de file d’un FDP thuringeois qui n’a récolté que 5 sièges. Mais c’est aussi la première fois dans l’histoire de l’Allemagne fédérale depuis la réunification qu’un Ministre-président est élu grâce aux voix d’un parti d’extrême droite. Néanmoins, AKK a déclaré que sa décision «  a mûri et grandi [en elle] depuis un certain temps  » ce qui semble indiquer que cette démission n’est pas le fruit d’une simple crise aussi grande soit elle.

Une élection cataclysmique

Le 27 octobre 2019, les Thuringeois sont appelés aux urnes, ils doivent choisir sur une partie du bulletin de vote, un candidat de leurs circonscriptions, et sur l’autre, une liste présentée par le parti au niveau régional. Cette façon de voter de manière combinée au bulletin uninominal majoritaire et au bulletin plurinominal proportionnel est très différente du modèle français et elle est aussi retrouvée au niveau du Bundestag, c’est-à-dire au niveau fédéral.

Ce mode de scrutin suppose deux règles fondamentales  ; les sièges obtenus par le bulletin uninominal sont garantis et seuls les partis ayant obtenus plus de 5 % de votes par le bulletin proportionnel sont comptés. Les résultats d’élections régionales ou fédérales aboutissent très rarement en Allemagne à la possession d’une majorité de sièges par un seul parti. Ainsi, les coalitions sont très répandues dans le paysage politique allemand.

Pour la Thuringe, le parti de gauche Die Linke, représenté par le Ministre-président sortant Ramelow, obtient le plus de sièges soit 29/90 places grâce à la proportionnelle, alors que la CDU sort vainqueur du volet uninominal de ces mêmes élections, mais ne parvient à sécuriser que 21 sièges. L’AfD obtient des résultats très importants et double sa présence au parlement régional par rapport aux précédentes élections et devient la deuxième force politique de la région avec 22 sièges. Le FDP, les Verts et le parti social-démocrate (SPD) remportent respectivement 5, 5 et 8 sièges. Plusieurs élections furent conduites pour élire le Ministre-président de Thuringe, la constitution prévoit pour les deux premières élections au parlement l’élection à la majorité absolue et en cas d’échec une majorité relative suffit.

«  Aucune coalition n’est possible avec le parti Die Linke  », déclare AKK rapporte le quotidien Die Welt le 28 octobre 2019. Une coalition de gauche est formée avec le SPD, Die Linke et les Verts, coalition qui peine à récolter la majorité absolue au parlement échouant à une voix lors de la deuxième élection. Pour faire barrage à la gauche, le représentant thuringeois de la CDU, Mike Mohring décide de former une contre-coalition en s’alliant avec le FDP et l’AfD. Ainsi, Thomas Kemmerich est élu à 45 voix pour, 44 voix contre et une abstention lors du troisième scrutin.

Les réactions politiques ne se font pas attendre, de nombreuses manifestations furent menée par les partis de gauche notamment à Jéna ou à Berlin devant le siège du FDP. Mais les réactions les plus remarquables sont celles des responsables politiques à l’échelle fédérale. Angela Merkel pendant son voyage d’état en Afrique du Sud a qualifié cette élection de «  processus impardonnable  », Annalena Baerbock, la présidente fédérale des Verts, a exhorté Kemmerich à démissionner, Marie-Agnes Strack-Zimmermann, représentante du FDP considère que l’AfD votant pour son parti «  est inacceptable et insupportable pour les démocrates  ».  A contrario, le Vice-président du FDP Wolfgang Kubicki se félicite de la coopération de la droite et souligne le succès d’un «  candidat du centre démocratique  ».

Annegret Kramp-Karrenbauer au congrès de Leipzig le 23.11.2019 © Olaf Kosinsky

Les pressions nationales des partis furent telles que, malgré l’indépendance politique des Länder prévue par la constitution, Kemmerich abdiqua le 8 février. De nouvelles élections régionales ne peuvent se produire que si 1/3 des parlementaires assentent à dissoudre la chambre, sinon l’abdication de Kemmerich permet une quatrième élection pour le poste de Ministre-président de Thuringe.

Sur le plan local, la CDU accuse un recul dans les sondages depuis cette alliance et si des élections régionales étaient amenées à être reconduites prématurément, il y a fort à parier que la CDU perde des places par rapport à octobre dernier. Au niveau fédéral, au-delà de l’imbroglio provoqué par les quelques représentants du parti félicitant Kemmerich, la crise électorale a eu raison du mandat et de la candidature à la chancellerie pour AKK mais surtout, à court terme, la CDU est plongée dans un marasme et renvoie l’image d’un parti malade incapable de gérer ses dissensions idéologiques internes.

Sondages réalisés en Thuringe, « Si des élections sont reconduites dimanche prochain, pour quel parti voteriez-vous ? » , selon Wahlrecht.de

La CDU fragilisée depuis la fin du gouvernement Merkel III

Les législatives fédérales de 2017 furent une douche écossaise pour les partis traditionnels SPD, CDU et son allié de Bavière, l’union chrétienne-sociale (CSU). Si ces derniers se maintiennent tant bien que mal en terme de sièges de circonscription, les résultats du vote proportionnel sont catastrophique tant et si bien que les partis historiques perdent 105 sièges sur les 709 totaux. En plus de perdre des sièges en valeur absolue, le résultat est tel que 78 nouveaux sièges sont créés. En effet comme la faction CDU/CSU a perdu 8.5 points de pourcentages aux proportionnel sans quasiment perdre aucuns sièges de circonscriptions, ces derniers étant garantis, le nombre de siège augmente pour respecter la loi fédérale et la proportionnalité.

L’AfD devient la troisième force politique du pays tout en rentrant pour la première fois au Bundestag en glanant 12,60 % des votes. En Bavière, l’AfD enregistra en 2017 ses meilleurs résultats dans un Land de l’ex-Allemagne de l’Ouest provoquant l’ire du président de la CSU, Hors Seehofer. L’expérimenté politicien bavarois imputa le recul historique de son parti à la politique migratoire d’Angela Merkel. Il faut dire que depuis 2015, Seehofer n’a cessé de se dresser contre cette décision d’ouvrir les frontières aux flux migratoires. Tandis que Merkel s’efforçait d’apaiser les réactions vis-à-vis de sa politique extérieure avec le célèbre «  Wir schaffen das  » (Nous y arriverons), la Bavière très conservatrice a poussé Horst Seehofer à la démission de la présidence du Land pour le remplacer par Markus Söder qui est un encore plus grand contempteur de la politique centriste du gouvernement fédéral.

Signature de la GroKo par Olaf Scholz (SPD) , Angela Merkel (CDU) et Horst Seehofer (CSU) © Sandro Halank

Horst Seehofer glane paradoxalement le portefeuille de Ministre fédéral de l’Intérieur le 14 mars 2018, une désignation qui n’apaisa en rien les désaccords entre les deux dirigeants des deux partis chrétiens. Si aujourd’hui la virulence des échanges a fini par s’éteindre doucement, la défiance fratricide entre les deux alliés politiques illustre le quasi schisme et la polarisation sans équivoque qu’a provoqué la politique de la CDU pour contenter la partie la plus modérée de son électorat.

Une succession difficile

Après l’annonce de la non représentation d’Angela Merkel comme chancelière en 2021, un congrès de la CDU fut organisé à Hambourg début décembre 2018. La liste finale des potentiels successeurs est courte  ; Jens Spahns, le ministre fédéral de la Santé qui fut le plus jeune député du Bundestag à 22 ans, véritable étoile montante du parti, Annegret Kramp-Karrenbauer, qui était alors secrétaire générale du parti, proche de Merkel notamment sur la question migratoire, et Friedrich Merz qui fut président par intérim du groupe CDU/CSU suite à la démission de Schaüble en 2000, présidence qui sera reprise par Angela Merkel en 2002 jusqu’à ce 31éme congrès de 2018. Merz incarne la partie conservatrice du parti et lorsqu’au deuxième tour AKK se retrouve face à lui, les votants se trouvent avec le dilemme suivant  : rupture ou continuité avec la politique de Merkel. AKK ne remporte la présidence que de 35 voix sur un total de 999. Si cette élection entérine et réitère la confiance des votants pour la politique de la dirigeante hambourgeoise, cette partition de l’opinion intrinsèque au mouvement laisse planer le doute sur la viabilité du mandat d’AKK.

 « La destruction de la CDU » © Rezo ja lol ey

Le 26 mai 2019, les allemands en âge d’aller voter se présentent pour choisir leurs députés européens.  Encore une fois les résultats sont apocalyptiques pour ce qui reste la première force politique du pays. Les chrétiens perdent 5 sièges au parlement européen et plus largement le groupe représentant la faction, Parti populaire européen (PPE), perd 34 sièges à Strasbourg. Le désaveu est terrible qui plonge la CDU dans une nouvelle crise alors que la direction au niveau fédéral de la CDU peinait à panser ses blessures suite à une vidéo postée sur Youtube d’un jeune homme dénigrant la politique de la CDU pendant 55 minutes abordant notamment la hausse de la pauvreté en Allemagne et la léthargie dont la CDU ferait preuve envers les questions climatiques. Si la victoire des Verts, si on se rapporte à leurs précédents résultats, n’est absolument pas entièrement imputable à cette vidéo, celle-ci eu pourtant un retentissement fédéral voire même international.

« Que se passerait-il si […] 70 rédactions avaient déclaré deux jours avant les élections [européennes N.D.R] : nous appelons à ne pas voter pour la CDU ou le SPD. Cela aurait été un acte délibéré de propagande avant les élections. »

Déclaration d’AKK après les élections européennes en mai 2019

Les déconvenues s’enchaînent pour la CDU, l’élection de la proche de Merkel  ; Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission Européenne peut sembler être une victoire, mais l’échec de l’imposition de Manfred Weber à ce poste par Merkel et la très courte avance de 1.3 % points au-dessus des 50 requis ne permettent pas au dirigeants chrétiens démocrates de se pavaner surtout qu’indirectement l’exercice de von der Leyen à la commission l’éloigne automatiquement du ministère fédéral de la défense. Une proche de Merkel en appelle une autre, AKK obtient le portefeuille ministériel. Les élections de Brandebourg et de Thuringe d’automne 2019 entretiennent le calvaire de la CDU.

Si à la mi-février 2020 la CDU reste la première puissance politique électorale d’Allemagne grâce à un électorat qui demeure solide. Le manque de ligne politique claire suite à la succession d’Angela Merkel alimente la fuite de l’électorat préexistante le plus conservateur vers l’AfD. Plus inquiétant, la tradition de pourparler et d’arrangement entre les différentes factions qui permettait de facto d’inclure plus de citoyens dans la gouvernance de leurs régions et de leurs pays pourrait peu à peu s’effacer pour laisser place à un équivalent de « barrage républicain allemand » beaucoup moins intéressant sur le plan de la représentation des électeurs.

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