SOCIÉTÉ

Collages contre les féminicides : les violences au pied du mur

© @collages_feminicides_bordeaux (Instagram)

Dans un café du centre-ville, je retrouve Lila et Linda (dont nous avons changé le prénom à sa demande), colleuses dans le collectif contre les féminicides à Bordeaux. Autour d’un thé, je recueille leurs témoignages sur cette initiative et le message qu’elle porte.

Tout d’abord, comment choisissez vous les messages ?

Lila : C’est libre, et on se consulte entre nous pour les valider. Mais à l’échelle de Bordeaux on ne se concerte pas avec Paris. Il y a aussi beaucoup de slogans qui circulent de ville en ville parce qu’on les reproduit. Moi ça m’arrive super souvent de voir un slogan à Paris parce qu’elles en créent souvent de nouveaux et de me dire « celui-là il est cool » ou « on va faire un truc qui ressemble un peu à ça, prendre cet axe-là ». On essaye aussi de prendre des positionnements différents : s’adresser aux victimes au lieu de s’adresser aux coupables par exemple.

Comment se passe la communication avec les autres collectifs en France ?

Lila : Il y a un groupe Whats App, on est au moins quatre ou cinq de chaque ville dessus. En général ce sont celles qui ont créé les premiers groupes dans leur ville ou qui sont très investies. Il y a aussi des filles de Berlin, de Turquie, d’Espagne, d’Italie… on parle de choses qu’on aimerait faire en national, on coordonne des choses qu’on fait toutes ensemble au même moment partout en France, on se met d’accord sur l’axe de nos slogans, un peu de tout !

Il y’a donc des collectifs à l’international ?

Linda : A l’origine c’est Margeurite Stern qui a lancé ça à Aix-en-Provence, c’est une militante féministe qui a fait partie des Femen et qui a lancé cet été à Aix. Puis elle a déménagé à Paris, aujourd’hui elle est moins impliquée mais sur ce modèle beaucoup de villes ont repris le concept. Il y a d’autres villes qui se sont lancées dans les collages, dont pas mal en Europe. Sur l’Instagram du collectif de Paris, en story à la une il y a une carte de toutes les villes qui ont un collectif.

Comment intègre-t-on le collectif ?

Linda : On est contactées via Instagram, on vérifie rapidement les profils, mais globalement, après on donne le lien de la conversation, et c’est sur cette conversation que tout s’organise. Tout le monde peut décider d’organiser une session peinture, une session collage, proposer des dates, et les personnes qui peuvent s’y greffer se greffent.

Votre action est illégale : est-ce que ça rebute les volontaires  ?

Linda : Je ne pense pas que le côté illégal encourage particulièrement, ça aurait plutôt tendance à rebuter, mais c’est vrai qu’on ne sait pas forcément que coller du papier sur les murs c’est illégal. On le dit de toute façon, globalement tout le monde est prévenu.

Lila : Quand on leur dit que pour partir en collage c’est pièce d’identité obligatoire, en général, les gens finissent par poser les questions qu’ils ont à poser.

Vous préparez vous à être arrêtées ?

Lila : Oui, donc on fait le guet, il y en a toujours une qui surveille. Dans certains quartiers il y a souvent des patrouilles. Quand on les voit, on arrête ce qu’on est en train de faire. Je pense que beaucoup de gens se disent que c’est « illégal mais pas vraiment ». Même la police : on les a croisé trois ou quatre fois déjà et pourtant ils n’ont rien dit, tant qu’on arrête, ils nous demandé juste de rentrer chez nous. Ce n’est pas vraiment de la tolérance mais plus de la flemme : ils ne descendent même pas de leur voiture. Ils viennent parce que quelqu’un les a appelé, donc ils sont un peu obligés.

Linda : Le premier soir où on a collé c’était un jeudi, on a croisé plusieurs voitures qui ne nous ont jamais rien dit. On s’est jamais fait arrêter à Bordeaux sauf une fois. Ce jour-là on s’est même pas vraiment faites arrêter, ils ont juste relevé notre identité.

Quelle est la réaction des policiers face à votre action ?

Lila : Ils étaient assez condescendants et très paternalistes.

Linda : Et très culpabilisants aussi. Cette fois-là on collait sur les locaux d’Uber à Bordeaux parce qu’il y a eu plusieurs cas d’agression qu’ils ont passé sous silence. On était assez nombreuses et pas très discrètes et des personnes ont appelé la police, il y a d’abord eu une voiture, puis deux, puis trois. Ils ont relevé nos identités et faisaient des blagues genre « c’est une sortie scolaire ? ».

Lila : Ils ont reçu un appel de « différent conjugal », c’était dit comme ça. Pendant qu’ils relevaient nos identités ils ont commencé à nous dire « si on y va pas c’est parce qu’on doit vous gérer », « si on intervient pas c’est de votre faute »… Plus tôt ils nous avaient dit qu’ils étaient en sous-effectif, que les 3 voitures étaient mobilisées pour nous. Pourtant, aucune patrouille n’est partie s’occuper de ce « différent conjugal », alors qu’on n’était pas violentes, qu’ils avaient déjà commencé à relever nos identités. Le mec qui a pris l’appel n’a même pas prévenu les autres.

Linda : Dans tous les cas ils ont eu une réaction bizarre. Ils auraient pu intervenir, pour moi il faut faire des choix : ils auraient pu nous laisser partir et intervenir.

En 2019 il y a eu 149 féminicides, et à l’heure où on parle (17 janvier 2020) on en est au sixième de l’année. Est ce qu’il y a une amélioration autant de la part du politique que de la justice ?

Linda : Il n’y a pas « rien », il y a eu un Grenelle qui devait réfléchir à ces questions et apporter des solutions, des projets de loi, de l’argent. Mais ça n’a pas donné de résultats.

Lila : On a essayé de nous rouler dans la farine : Marlène Schiappa avait annoncé le lendemain d’une action Femen axée sur les féminicides que 1.1 milliard d’euro serait débloqué comme l’avaient demandé les associations de lutte contre les violences conjugales. Mais quand le détail est sorti, puis analysé par les associations, on s’est rendu compte que rien n’avait été rajouté. On a essayé de nous dire « on vous écoute, on va organiser un Grenelle, on va trouver des solutions” mais le mot féminicide n’a pas été inscrit dans le Code pénal alors que c’est ce qu’on demandait. Dans la société les gens en ont conscience mais je ne pense pas qu’il y aura de vraies améliorations tant qu’il n’y aura pas de sanction judiciaire, et une peine sévère.

Linda : Et aussi de vraies aides pour les femmes qui sont victimes, parce qu’il n’y a pas assez de moyens mis en place. Par exemple que les policiers acceptent de prendre les plaintes, qu’il y ait des procureurs qui soient au courant de tout ça…

Lila : Qu’il y ai une sensibilisation de faite. Tant qu’on n’aura pas touché à toutes les sphères de la société qui sont l’éducation, la justice, la police, la société en général, faire un vrai geste pour lutter contre ça dans chaque sphère, on n’arrivera pas à endiguer la chose. C’était une des grandes causes du quinquennat ! Et ça va faire la troisième année et on n’a toujours pas commencé. C’est dingue.

D’où vient le problème ?

Linda : C’est profondément ancré dans la tête des gens. Dés que tu en parle t’es taxée de « feminazi »… on dirait qu’on fait un truc extrémiste alors que c’est normal !

Lila : En fait, c’est dur de dénoncer car on touche à son foyer, et les gens qui sont au courant à l’extérieur du foyer n’en parlent pas non plus pour ne pas mettre les gens dans l’embarras. Il ne se passe rien tant que la victime ne va pas porter plainte elle-même.

Ce collectif permet-il à certains membres d’en apprendre plus sur les violences faites aux femmes, de se sensibiliser en profondeur sur cette question ?

Linda : Il ne faut pas s’en vouloir de dire des bêtises, ni de demander. On a tous des tics de langage et des schémas bien ancrés depuis toute petite, et dont il est dur de se défaire. Celles qui ont réussi, c’est cool qu’elles le transmettent avec bienveillance.

Votre collectif peut-il aider des femmes ou des hommes qui seraient victimes de près ou de loin de violences ?

Linda : Sur Paris on contacte les colleuses pour coller des histoires particulières de leurs mères par exemple. Ça parle aux gens, ce sont des choses concrètes, des vraies histoires, les gens peuvent pas passer à côté. Quand c’est juste « stop féminicides » ça a moins d’impact que de vraies histoires.

Lila : On essaye de porter la parole des victimes, de les honorer en donnant les noms, les âges. Mais on n’est pas spécialisé, on n’a pas vocation à aider psychologiquement par exemple. On fait de la réorientation. On a un rôle militant, pas social. Et même si on le voulait, on n’est pas formé.

Linda : On peut les aider à retrouver du lien social, aller coller entre meufs, la nuit, comme des grandes, parce qu’on en est capables !

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