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Théâtre – L’entrée en résistance à la Reine Blanche jusqu’au 5 janvier 2020

Vous avez encore quelques jours pour voir la pièce L’entrée en résistance au théâtre de la Reine Blanche. Cette pièce propose une douce et séduisante critique de l’organisation actuelle du travail à travers une réflexion d’ordre psychologique et psychanalytique de ses effets.

Le lieu

Ce lieu de culture indépendant, caché au coeur du quartier de La Chapelle propose une sélection de créations théâtrales toujours très pointue. La Reine Blanche-Scène des Arts et des Sciences privilégie une logique d’hybridation afin de participer à décloisonner les disciplines, considérant les sciences comme une partie intégrante de la culture. Sur scène, on retrouve Christophe Dejours, Jean-Pierre Bodin et Alexandrine Brisson. Le premier est psychiatre,  psychanalyste et professeur de psychologie à l’université. Ce spécialiste étudie depuis de nombreuses années la souffrance au travail. Jean-Pierre Bodin est auteur, metteur en scène et comédien et Alexandrine Brisson est réalisatrice et musicienne. Le trio a co-écrit et mis en scène le spectacle. 

Art et science : même conclusion

La mise en scène est très simple. Le seul acteur (Jean-Pierre Bodin) commence par raconter une histoire : celle d’un garde-forêt qui voit son travail se transformer. Alors qu’il avait été formé à prendre soin de la nature et à protéger la forêt, le voilà conduit à amputer de centaines d’arbres et obligé de créer une monoculture pour des raisons de compétitivité et de productivité imposées par sa hiérarchie. Il se retrouve confronter à un dilemme moral doublé d’une problématique personnelle autour de son bien-être. Comment faire entendre sa voix, lui qui clame que ces décisions sont mauvaises pour la biodiversité et les écosystèmes alors que ses confrères ne tentent pas de s’opposer ? D’autant plus que sa hiérarchie le menace de le mettre à la porte, lui qui a tout de même besoin d’argent …

La pièce alterne entre ces moments joués par l’acteur, des sessions musicales et les prises de parole  de Christophe Dejours. Ce dernier s’immisce dans le spectacle en effectuant une pause dans la narration. Il prend le temps d’expliquer, de manière abordable, plus ou moins sous la forme d’une conférence, les différents problèmes, noeuds, conflits que rencontrent le personnage. Il prend le temps de démêler, grâce à l’appui de cette science qu’est la psychologie, les imprécations, et les difficultés qui se posent au sujet étudié. Progressivement, dans une approche bienveillante, le chercheur explique pas à pas les concepts clés de la psychologie du travail. Cette branche de la psychologie s’intéresse aux attitudes et comportements humains en rapport avec le travail et ses enjeux. La vidéo réalisée par Alexandrine Brisson est projetée sur les trois écrans de la scène. Elle a décidé de filmer la nature, de près, de loin, sous différents angles et avec différentes plans. Le jeu des acteurs avec les trois écrans modulables et quelques morceaux de musiques constituent la majeure partie de la mise en scène. 

Travailler impérativement coûte que coûte

Des trois personnages sur scènes au moins sexagénaires, émane une beauté et une douceur particulières. Avec l’air de ne pas y toucher, au rythme de la musique de Bach, de Schubert et de Mendelssohn, ils développent ensemble une critique significative du Travail en mettent en évidence les soucis posés par un management forcené, l’happiness theorie qui règne en entreprise ou encore la pression qui pèse sur les salariés.  

Christophe Dejours, lors de l’une de ses premières interventions, explique en s’appuyant sur L’éthique à Nicomaque d’Aristote l’idée selon laquelle le travail apporte l’émancipation et a directement un lien avec la liberté. Que le travail, au départ, apporte à l’individu, est témoin d’un savoir faire et d’un plaisir à exécuter les tâches. Sans détour, en tant que psychologue,  il accuse les méthodes du monde de l’entreprise qui pressurisent les employés les poussant parfois au burn-out. On peut penser aussi aux techniques d’intimidation, au harcèlement autant psychologique que sexuel dont sont victimes aujourd’hui de nombreuses personnes en France. Le propos avancé par le psychanalyste, issu de multiples recherches et études en centres hospitaliers réalisées depuis des années est sans appel : la qualité du travail, depuis les années 80, se dégrade fortement.

Une culture de résistance

L’intérêt de cette création théâtrale va au delà de ce constat. Tout d’abord, le propos n’est pas intempestif et criard. Les trois personnages-auteurs, très charismatiques en outre, avancent une certaine majesté dans l’affirmation de cette vérité assez noire. Avec chaleur et tendresse, ils invitent ni plus ni moins les spectateurs à la rébellion. Lui qui s’attendait à un spectacle à la croisée des arts et des sciences – ce qui lui était promis, il découvre un spectacle à la croisée des luttes sociales et des luttes écologiques. L’art est, dans ce cas un vecteur de politisation. Ils appellent directement à l’entrée en résistance dans des collectifs militants et des associations afin de palier à la solitude et à l’atomiste individualiste. Ils prônent non pas une radicalité rageuse ou violente, deux termes qui servent de manière bien trop récurrentes à qualifier la radicalité mais une radicalité confiante, affirmée et volontaire. 

Leur présence sur scène créé déjà un autre espace et autre temps pour le spectateur qui les y accompagne. Alors, proposent-ils pourquoi pas créer à plus que trois d’autres espaces et d’autres temps pour créer, travailler et vivre différemment ? Ce beau spectacle est délicat, touchant, brut et fort. Il invite sans heurter à exercer son esprit critique et à réfléchir aux conditions d’existence et de travail du XXème siècle.

L’entrée en résistance, au Théâtre La Reine Blanche — Scène des Arts et des Sciences, 2 bis passage Ruelle, 75018 Paris jusqu’au 5 janvier 2020 du mercredi au samedi à 20h45 & dimanche à 16h. Tarifs : plein 25€, réduit 20€, -26 ans 10€


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