CINÉMA

« Les Enfants du temps » – Une pluie de poésie

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Après le succès planétaire de Your Name (Kimi no na wa, sorti en 2017), le réalisateur japonais Makoto Shinkai décide de relever un nouveau défi en nous présentant sa nouvelle œuvre, Les Enfants du temps (Tenki no Ko). Ce nouveau film d’animation va-t-il réussir à tenir tête au géant qu’est devenu son prédécesseur ?

Le synopsis est à la fois novateur et agréablement familier. Hodaka, 16 ans, fugue de chez lui et se réfugie à Tokyo. Après plusieurs semaines de luttes et d’échecs, il parvient finalement à trouver un toit et un travail. Alors que la capitale expérimente depuis des mois des épisodes de pluie incessants, la rumeur de l’apparition de «  filles-soleil  » est sur les bouches de tous les tokyoïtes, dont celle d’Hodaka, qui est chargé d’écrire un article à ce sujet.

Sceptique face à ce phénomène, c’est sans compter sa rencontre avec Hina, une jeune fille qui a bel et bien le pouvoir d’arrêter la pluie pendant un court instant. La rencontre des deux adolescents va donner naissance à une course contre le temps, qu’il soit appréhendé dans sa dimension de durée ou bien météorologique. Hodaka et Hina vont mettre à profit les pouvoirs de cette dernière afin de rendre le soleil à Tokyo. Cependant, comme dans tout bon conte qui se respecte, le pouvoir a un prix. Entre Hodaka, recherché par la police pour sa fugue, Hina qui prend conscience du danger que ses pouvoirs représentent et les étranges phénomènes qui touchent le ciel de Tokyo, c’est un chassé-croisé de mystères que ce film nous offre, plus ou moins habilement.

Sur le plan technique, il n’y a rien à dire. Le génie de Makoto Shinkai nous laisse, encore une fois, sans voix. Le film se passe presque intégralement sous la pluie, l’écran est donc sombre la plupart du temps, et pourtant les décors restent à la fois somptueux et mélancoliques. On se laisse transporter dans une sphère de nostalgie et de beauté, la pluie rend les rares moments d’éclaircies encore plus somptueux. L’utilisation des techniques classiques de l’animation se ressent et rend le tout un peu plus authentique, à force de couleurs, jeux de lumières et détails millimétrés. C’est un émerveillement à chaque nouveau tableau, semblable à celui éprouvé devant Your Name.

Les couleurs et les styles se ressemblent d’ailleurs beaucoup, peut-être même un peu trop. Certains plans semblent entrer en résonnance avec le film précédent, nous empêchant peut-être de nous en émanciper complètement et de profiter de ce nouveau long-métrage à cent pour cent. Un léger défaut dans le parcours artistique sans faute de Shinkai  : bien qu’il soit toujours intéressant de reconnaître le style artistique d’un dessinateur dans ses œuvres, le défi réside justement à permettre cette reconnaissance sans tomber dans la confusion. La situation est plutôt bien gérée dans Les Enfants du temps, si ce n’est pour quelques plans colorés qui rappellent un peu trop le ciel de Your Name.

Un scénario insuffisant

Les films d’animation japonais séduisent tout autant par l’image que par l’histoire. Ce constat prend d’autant plus d’importance pour Les Enfants du temps. En effet, si les éléments graphiques sont un délice pour les yeux, il est plus difficile d’en dire autant pour l’histoire. Si l’on va voir le film avec l’intention de passer un bon moment, sans prise de tête, à admirer de beaux paysages, c’est tout gagné. Cependant, les amateurs de récits alambiqués et haletants risquent d’être déçus. Certes, le scénario part d’une bonne idée  : appréhender le temps non plus de par sa temporalité mais de par sa dimension météorologique est du jamais, sinon très peu, vu. L’intrigue est bien alimentée au début du film mais se perd quelque peu par la suite. La faute peut-être à une trop longue présentation de Hodaka et de sa fugue vers Tokyo, qui vole la place centrale du film et qui ne laisse plus assez de temps pour se concentrer sur les pouvoirs de Hina et les mystères qu’ils suscitent.

Une histoire qui a du mal à décoller donc, mais qui pourtant semble se traîner sur la fin. On aurait pu croire que le film durerait plus longtemps afin de pallier ce démarrage en première et d’exploiter davantage la dimension fantastique, et pourtant on nous présente des longueurs, rythmées certes par des tableaux magnifiques, mais par une  avancée de l’histoire plutôt pauvre. Finalement, la difficulté principale réside dans le fait que l’on ne sait pas vraiment quoi penser de l’histoire  : on ne sait pas sur quels éléments se concentrer, et lesquels seront susceptibles de former le dénouement final. Trop de personnages secondaires sont introduits peut-être, leurs histoires s’entremêlent avec le fil conducteur pour n’aboutir à rien.

On sort du carcan original du film d’aventure, avec (au sens large) un «  méchant  » contre un «  gentil  », et bien que cette originalité se doit d’être saluée, elle a pour défaut de rendre le tout plus confus. Les Enfants du temps se place alors dans une sorte de purgatoire cinématographique  : il y a trop d’action et de mystère pour pouvoir le qualifier de «  fresque animée   » simple promenade graphique, mais l’histoire n’est pas assez construite et accomplie pour pouvoir en sortir et penser avoir vu un bon film d’aventures. Une volonté éventuelle du réalisateur de s’échapper du carcan de Your Name en présentant quelque chose de complètement différent d’un point de vue rédactionnel  ? Peut-être, mais les fréquentes madeleines de Proust graphiques nous empêchent de considérer le film comme unique  : il nous apparaît plutôt comme une version moins saisissante de son grand frère.

Cependant, Les Enfants du temps est un film à voir. Il s’agit de ne pas y aller avec l’envie, voire le besoin d’y déceler une histoire à couper le souffle, faite de suspense et de considérations diverses.  Mais plutôt avec l’idée d’être transportés au sein d’un Tokyo pluvieux et gris, et d’être éblouis par les éclaircies ni trop rares ni trop fréquentes, se faisant tout juste assez désirer pour faire, à chaque fois, des entrées fracassantes. Un film visuel au sens littéral du terme, qui réjouira malgré tout les amateurs des techniques d’animation japonaise.

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