SOCIÉTÉ

Carlos Ghosn : l’épopée judiciaire

©swiss-image.ch/Photo Remy Steinegger

On ne le présente plus : Carlos Ghosn, ancien PDG de Renault et Nissan, s’est échappé du Japon où il était détenu. Ce dernier est accusé par la justice japonaise d’avoir utilisé des fonds de l’entreprise Nissan à des fins personnelles, accusations qu’il nie en bloc. Il s’est réfugié au Liban, pays dont il a la nationalité, en l’attente d’un procès. La scène internationale est donc en difficulté, ne sachant que faire du fugitif.

Une fuite “à la James Bond”

Le 29 décembre 2019, Carlos Ghosn a fui le Japon à l’insu de la justice japonaise. La rumeur court qu’il se serait caché dans une malle percée, tel un espion de film d’action. Il semblerait que l’évasion soit en fait beaucoup moins romanesque que ça. Avec l’aide de ses enfants qui lui rendaient visite, il a pu accéder à un téléphone pour joindre Carole Ghosn, sa femme, qui participait à l’organisation de sa fuite. Il a ainsi pu monter dans un jet pour la Turquie, puis un autre pour le Liban. Ce récit “digne de James Bond” selon une source proche du dossier, a fait la une des journaux à l’international.

Au Japon, c’est la preuve de sa culpabilité. Au Liban, il est accueilli comme un héros par la classe politique et les élites économiques, tandis que les manifestants contre le régime y voient la personnification des problèmes de la société libanaise. C’est en fait le prolongement infini des procédures qui auraient précipité sa fuite.

En effet, selon les informations du journal Le Monde, le parquet japonais aurait reçu d’autres éléments à charge concernant des comptes dans les Iles Vierges et à Dubaï. Cette découverte aurait repoussé le procès au-delà de 2020. Alors en résidence surveillée depuis novembre 2018, ce dernier justifie son acte en dénonçant une justice japonaise injuste qui bafouerait les droits de l’homme.

La dénonciation d’une justice bafouée

La justice japonaise est depuis longtemps reconnue comme bafouant certaines règles de droit international, méprisant ainsi le respect des droits de l’homme. C’est sur cette “faille” du système que l’ancien PDG de Nissan fonde les raisons de sa fuite, illégale, puisque condition de sa libération sous caution. Le 31 décembre 2019, il a donné une conférence de presse chargée d’émotion où il raconte les conditions de son incarcération puis de sa détention au Japon. Ce dernier explique qu’il n’a pas fui la justice, mais un système injuste.

« Je n’ai pas fuis la justice, je me suis libéré de l’injustice et de la persécution politique. »

Carlos Ghosn

Il donne le chiffre de 99.4 % de taux de condamnation, avant d’ajouter qu’il est, à son avis, bien plus élevé pour les étrangers. Dans cette même conférence, il se dit victime d’un complot de la part d’anciens collègues de Nissan. Il en a profité pour clamer encore une fois son innocence et a essayé de prouver sa bonne foi : il explique qu’il ne refuse pas qu’on le juge, tant qu’il l’est par une justice qui respecte les droits de l’homme. Pourtant, le Liban n’est pas le pays avec la justice la plus impartiale qu’on connaisse.

Le Liban, ou le refuge juridique

Si Carlos Ghosn s’est rendu au Liban, c’est parce que d’une part il en a la nationalité et d’autre part car la justice libanaise est partiale : elle est liée aux élites économiques et politiques du pays. Cela va dans le sens des intérêts de Carlos Ghosn, qui est très apprécié par ces dernières. Il a été érigé en héros par le pays, dans lequel il a financé des projets éducatifs. Des timbres ont même été édités à son effigie. De plus, le Liban n’autorise pas les extraditions vers le Japon, ce qui permet d’annuler les effets de la notice rouge qu’a communiqués le Japon à Interpol.

En restant au Liban, il peut espérer que le Japon fasse une demande d’extradition, qui sera automatiquement refusée. Cela lui permettra d’être jugé au Liban, sur les bases du dossier japonais mais sur le principe des lois libanaises, qui sont à son avantage. Mais, depuis son arrivée, le pays est assez mal à l’aise de l’image que cette affaire lui donne. Le parquet libanais l’a entendu le 9 janvier, et lui a interdit de quitter le territoire. Il est vrai que Carlos Ghosn ne choisit pas le bon moment pour se réfugier dans le pays, en pleine crise politique, et dont la population rejette le système élitaire.

Une procédure de trop  ?

Il semble que cette épopée juridique rocambolesque ne suffise pas au fugitif. Il a, le 13 janvier 2020, engagé une procédure contre Renault aux prud’hommes. Cette dernière a pour objet de récupérer les primes qu’il estime lui être dû, mais que Renault lui a supprimées comptes tenus de ses déboires financiers. L’ancien homme d’affaires, en plus de clamer son innocence, se présente donc comme une victime.

«  Je réclame mes droits à la retraite ainsi qu’à tous les droits qui me sont acquis. (…) Chacun connaît les conditions dans lesquelles j’ai dû quitter Renault  : j’étais emprisonné  ! Mais, que je sache, il existe un droit en France, il existe une justice. »

Carlos Ghosn

L’audience aura lieu le 21 février 2020. En attendant, il est fort probable que les rebondissements se poursuivent sur le dossier Ghosn. Alors que les procédures à son encontre vont continuer au Japon, son équipe d’avocats sur place, dont Junichiro Hironaka, l’un des principaux, vient de démissionner, abasourdi par sa fuite. Plusieurs enquêtes sont aussi ouvertes en France. Difficile de comprendre cette épopée judiciaire. Une seule chose reste claire : l’ambition de Carlos Ghosn à démontrer qu’il n’est pas coupable de ce qu’on l’accuse.

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