CINÉMA

« Lillian » – Une traversée de l’Amérique

Lillian, échouée à New-York décide de rentrer à pied dans sa Russie natale. Seule et déterminée, elle entame un long voyage à travers l’Amérique profonde pour tenter d’atteindre l’Alaska par le détroit de Béring.

Le film s’inspire d’un fait-divers : en 1927, Lilian Alling décide d’entreprendre un tel voyage. Fait inédit et histoire rocambolesque, sa disparition a fasciné le photographe et réalisateur Andreas Horvath pendant plus de quinze ans jusqu’à ce qu’il décide de la transposer à l’écran. 

Un personnage énigmatique

L’idée est assez originale et même surprenante. Le film qui dure plus de deux heures suit la jeune Lillian dans son périple. Le mystère est conservé en tous points : jamais le spectateur n’apprend la raison de la présence de Lillian aux USA, de même que jamais l’on ne comprend sa volonté opiniâtre de rejoindre la Russie. Le film ne brode pas autour de l’histoire vraie mais se contente de moderniser le contexte en faisant se dérouler les événements dans l’Amérique contemporaine. Ainsi, aucune identification n’est permise avec le personnage de Lillian qui demeure incompréhensible dans son mutisme tout le long du film. Ne parlant pas anglais, la jeune femme reste toujours seule dans le plus complet dénuement ce qui nous apparait très peu vraisemblable. 

Portrait de l’Amérique

En effet, même si ce n’est pas une finalité de relever les points d’invraisemblance du film, celui-ci échoue à nous transporter complètement et l’incompréhension et l’étonnement font éprouver un léger malaise tout au long du périple. Iniatique, le voyage ne l’est pas tellement mais c’est l’occasion pour le cinéaste autrichien de montrer une Amérique périphérique, rurale et pauvre. Le film est intéressant parce qu’il relève des Etats-Unis : des zones rurales et pauvres où joints et magazines pornographiques habitent des maisons abandonnées. Lillian fait la rencontre d’Indiens qui plaident contre l’impérialisme américain mais aussi de fervents patriotes qui fêtent avec grand plaisir l’indépendance de l’Amérique en célébrant les vétérans des guerres du Vietnam et d’Irak et dont les discours ne sont pas sans rappeler ceux de Donald Trump. L’extériorité et le vide qui habitent le personnage principal en fait un relais du regard du spectateur et permet d’établir un lien intéressant avec cette Amérique rarement montrée comme telle. Ce parcours des USA est d’autant plus intéressant qu’il se fait sans commentaire de la part de la jeune femme et seule la radio américaine rythme le voyage. Il est à déplorer que Lillian ne rencontre aucune personne noire de toute sa traversée. Néanmoins, le road movie a été tourné pendant sept semaines par une épique de cinq personnes et suit le temps du récit : les rencontres que l’on trouve dans le film ont été saisies à la suite d’occasions inédites. 

Le road movie américain d’une migrante

La jeune fille vole pour s’habiller et se nourrir. Elle manque de mourir, de se faire violer, rencontre un shérif qui l’aide un peu. Chien errant, sans ressource et presque sans parole, son destin s’avère tragique : elle meurt de froid alors qu’elle arrivait près du Pacifique. Mort muette, infime, anecdotique, elle offre au film une jolie fin en léger décalage avec le reste de l’histoire. Quelle était l’intention d’Andreas Horvath ? Travailler sur l’anecdotique, revenir sur l’histoire individuelle d’une migrante en accordant toute son attention à l’unique personnage dont les allers et venus  demeurent constamment étrangers ? Fabriquer une image de l’Amérique contemporaine ?

Le propos du réalisateur reste tout aussi mutique que celui de son personnage. Si l’on ne ressort pas de ce film incroyablement changé, son regard et son propos critique ont le mérite de présenter une Amérique contrastée, parfois même archaïque dans sa conception de la femme, par exemple, mais intrigante par l’ensemble des contradictions qu’elle véhicule. 

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