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Rencontre avec MNNQNS : « La contradiction est artistique »

Crédit : Sarah Bastin

© Sarah Bastin

Le 13 octobre dernier, le quatuor de MNNQNS (Adrian, Grégoire, Félix et Marc) sortait son premier album, Body Negative. Nous les avons rencontré au Point Ephémère quelques jours avant leur passage à l’Olympia.

De négatif, l’album n’a que le nom. En douze titres, le groupe qui se définit lui-même comme faisant de la “pop post-punk” a réussi à séduire le milieu musical – et pas que – à coup de titres efficaces. Leur point commun, au-delà d’avoir tous commencé par la batterie et de venir de Rouen, est leur amour pour des titres à la fois accessibles et tordus. Une recette qui fonctionne visiblement. Rencontre. 

Vous venez tous de Rouen, un berceau de la scène rock. Est-ce que ça a influencé votre envie de faire de la musique ?

Grégoire (batterie)  : Oui, on se voyait tout le temps dans les mêmes endroits. Déjà Rouen n’est pas une très grande ville, il n’y avait pas non plus beaucoup de concerts pendant un moment, ce qui a pas mal changé depuis. On côtoyait les mêmes lieux et ça a participé à notre rencontre. Aujourd’hui ça s’est énormément développé, il y a plein de gens qui font de la musique avec goût, tact et un certain dandysme. On les cite souvent mais We Hate You Please Die, Baked Beanes, Servo…

Il y a eu beaucoup de formations différentes, celle-ci est fixée depuis 2016, est-ce que musicalement ça aide ? 

Adrian (chant et guitare)  : Oui, dans le sens où vu qu’on se connaît bien musicalement, ça accélère les choses dans l’écriture, on a appris à se connaître et c’est beaucoup plus facile d’amener des choses différentes dans les morceaux. La base des morceaux c’est généralement moi qui les amène, et le fait de savoir bien comment peut chacun apporter des choses c’est plus facile d’étoffer des trucs que j’aurais laissé en mode ébauche. 

G : C’est Adrian qui a commencé le projet au départ, on reste des pièces rapportées, et je pense que vu qu’il nous laisse assez de place pour faire ce qu’on veut niveau créativité, il faut en profiter pour garder ce qu’il apporte et qui fait aussi l’essence du groupe. C’est une balance qui marche bien en tout cas. 

Question obligatoire, mais pourquoi le nom MNNQNS ? 

G : C’est mannequin sans les voyelles et c’est parce qu’il y a encore très peu de temps on avait tous la taille mannequin (rires). Non, plus sérieusement, MNNQNS parce qu’on est excessivement beaux, et accessoirement parce que sans les voyelles c’est plus facile pour le référencement sur Google, Youtube, Amazon Japan, Bing et Ecosia bien évidemment. 

Vous êtes français mais vous chantez en anglais, c’est un choix qui s’est imposé à vous dès le début ? 

A : Oui, j’ai crée le groupe quand j’habitais à Cardiff au Pays de Galles, et tout est parti de ma période là-bas. J’étais en erasmus en musicologie mais j’ai passé plus de temps à voir des concerts dans les pubs qu’à aller en cours, donc c’était un peu logique finalement, quand tu es en immersion dans une ville et avec une langue comme ça, que ça devienne ta priorité.

Plus jeune, quelle éducation musicale est-ce que vous avez eue ? Pas scolairement parlant, mais chez vous etc… 

A : Je suis passé par toute une période très punk, grunge, noise quand j’avais 13 à 16 ans un truc comme ça. Au fil des rencontres, j’adore dire ça (rires), je suis tombé dans pas mal d’autres genres musicaux. Il y a une période où j’ai vraiment pris dans la gueule le hip-hop et la musique électronique et ça m’a fait totalement vrillé. Et je pense que ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui on a des choses un peu étranges qui tombent de nulle part dans nos morceaux, des structures un peu chelous.. Je pense qu’on est tout sauf un groupe exclusivement rock, en tout cas ce n’est pas quelque chose qu’on défend. 

Musicalement, comment est-ce que vous vous qualifiez ? 

A : De la pop chelou. 

G : Du post-punk avec beaucoup de pop. Mais on dit tout le temps ça, j’aimerais bien le dire mieux ! Une fois on avait dit post-punk contemporain, c’était bien mais je trouve qu’il manque des éléments. C’est de la pop plus vraie que la pop française ! 

Marc (guitare) : Dit variété (chuchote). 

G : J’ai l’impression qu’en France tu as la chanson, la variété, et dès qu’il y a un peu de guitares on va dire pop, alors que ce n’est pas du tout de la pop. C’est pour ça que je disais “vraie pop”, car on mets de vrais éléments pop dans du punk. 

Qu’est-ce que vous pensez de la scène française dont on parle beaucoup en ce moment : Clara Luciani, Juliette Armanet, Voyou… 

A : La variété en tant que telle je ne sais pas trop ce que c’est, ça renvoie vraiment à un truc chanson très franco-français. On est plus touchés par ce qui va se passer dans la scène indé en France, hyper florissante en ce moment, il y a tellement de groupes cool qui sortent : Psychotic Monks, Rendez-vous, T/O… Il y a un vrai truc qui se passe en France et c’est cool d’en faire partie. 

G : Le terme variété je trouve ça très français oui, ça me renvoie à Christophe etc, avec un renouveau aujourd’hui… C’est un phénomène assez intéressant : c’était devenu assez péjoratif de faire de la variété avant, genre Patrick Fiori et tout le bordel. Je détestais Christophe de base, alors que je ne connaissais pas, et l’autre jour j’ai entendu Les mots bleus et en fait le morceau est hyper bien arrangé. 

Félix (basse)  : C’est Jean-Michel Jarre ! 

G : Et bah voilà. Mais ça reste de la variet. Juliette Armanet c’est de la variet faut pas se leurrer, mais il y a ce truc dans l’écriture. Ce qui compte c’est quand il y a une arrière-pensée, quelque chose de plus construit. Après peu importe le mot qu’on met dessus, tant que l’écriture est pensée. Et ça arrive de plus en plus. 

Vous définissez votre musique comme anglo-saxonne, être en France vous restreint ?

A : On ne peut pas dire qu’on se considère comme anglo-saxon (rires) mais on se sent plus proches de cette culture. Et oui, le meilleur exemple c’est les textes. Je passe un temps absolument fou à écrire les paroles des chansons, ça se compte en dizaines d’heures, et évidemment on nous en parle jamais ou alors pour nous demander “de quoi ça parle”. Alors que dans les médias anglais on parle des paroles, et c’est normal car ils comprennent, ce n’est pas une critique. Donc je pense que ce n’est pas un coup d’épée dans l’eau que d’écrire des paroles un peu cool. 

Est-ce que vos concerts sont mieux reçus en Grande-Bretagne ? 

G : C’est différent. Ce qui me marque le plus c’est que les gens ne réagissent pas sur les mêmes morceaux. En France on sait à peu près lesquels vont changer l’ambiance etc., et en Angleterre ce n’est pas pareil. En France, sans jugement encore une fois, je pense que c’est un peu plus frileux, ils comprennent un peu moins ce qu’on fait, il y a plus d’observations, tandis qu’en Angleterre, ça arrive plus souvent que les gens se lâchent vraiment, ça fait partie de la culture.

Vous avez notamment été en Chine pour des concerts, comment a été l’accueil là-bas ? 

A : C’était un autre monde. Après ça dépend des villes, la Chine est un continent à elle-seule, tu passes d’une ville à l’autre et tu as déjà l’impression d’avoir changé de pays. On a eu des concerts où les gens étaient complètement zinzins, et à l’inverse tu te retrouves dans des villes où le concert est le seul événement culturel de l’année, il y a autant de flics que de public devant toi et les gens n’ont pas les codes. Tu termines un morceau personne n’applaudit et le seul truc qu’ils font c’est agiter des petits drapeaux français. Et puis il y a la barrière de la langue aussi, ils parlent très peu anglais, et nous pas chinois. 

G : Tu dis bonjour en anglais personne ne répond, en français personne ne répond, et en chinois personne ne réponds non plus car personne ne comprends ce que tu dis (rires)

Vous serez à l’Olympia samedi, il y a des salles qui vous font particulièrement rêver ? 

F  : Je crois que niveau salle l’Olympia c’était vraiment celle que je voulais faire. 

A : Moi c’est le Golden Wave à Lille, c’est une boîte dans une ancienne chapelle réaménagée avec des peintures sur les murs du meilleur goût. T’as des faux branchages, un fumoir à la place de l’orgue, c’est exquis. Ou la boîte de David Lynch, le Silencio. Globalement, dans les vieilles architectures. 

M : C’est hyper bobo ça ! 

G : Le stade de France sinon, tout simplement. 

L’album est sorti le 13 octobre, vous êtes contents des retours ?

A : Oui, notamment grâce aux médias, c’est super bien accueilli, que ça soit en France ou en Angleterre. Et j’ai la sensation que les gens commencent à piger ce qu’on essaye de faire, c’est à dire des chansons hyper accessibles mais aussi des larsen pendant dix minutes, et c’est le meilleur tremplin pour un second album, quitte à évoluer après. 

Pour vous, quel a été le déclic ou vous vous êtes dit “on est connus” ? Si ça vous est arrivé ! 

A  : Mon centième follower Instagram. 

F : Ça me l’a fait quand on a été programmé à des festivals à la dernière minute, et où au final beaucoup de gens venaient pour nous et savaient qui on était. Je ressortais des concerts, notamment de Rock en Seine cet été, en me disant qu’on avait pris un step. On a été programmés la veille, et au final c’était blindé, les gens connaissaient les titres. 

A : J’ai jamais eu cette sensation mais je pense que c’est plutôt sain au final, on a tout fait de manière progressive, donc il n’y a aucune raison qu’on pète un plomb d’un coup. Je me suis jamais dit “banco”.

Vous pensez déjà au prochain album ? 

A  : Oui, on écrit beaucoup, on a de l’avance. Même pour le premier album, qui fait douze titres, on avait énormément d’ébauches et en short-list on en avait déjà 22 ou quelque chose comme ça, ça a été une opération de tri. Là on essaye d’avancer sur la manière dont on veut qu’il sonne.

Vous aimez bien la scène  ? 

G : Oui, j’ai même un sentiment de stress si on ne joue pas assez, si on joue moins de quatre fois par mois je trouve ça étrange. Même s’ils sont un peu teubés et qu’il faut se les coltiner dans le van ou à l’hôtel (rires). 

A  : Le studio est hyper important pour moi, le travail du son en général, c’est intrinsèque dans MNNQNS, prendre une chanson pop et la dégommer, ce qui passe par le son ou par la structure. Mais j’aime aussi beaucoup la scène. 

Dans une interview vous disiez que c’était important d’être extrême dans ses choix artistiques, à quel niveau ? 

A  : Ça rejoint cette question du second album. Je pense qu’il n’y aura pas un changement drastique par rapport au premier, mais tous les choix qu’on a amenés seront exploités de manière plus extrême. 

Est-ce que le fait d’être maintenant plus médiatisé vous fait parfois craindre d’être poussé à être moins extrêmes ? 

G : On est partis de ce qu’on avait envie de faire et c’est ce qui nous a aidé à chopper les partenaires qu’on a maintenant. Donc je pense pas que ça puisse devenir consensuel. 

A : Dans la mesure où personne ne nous dit vraiment quoi faire musicalement, je ne pense pas. Et le propos même du groupe casse ça, car l’idée qu’on a c’est de faire les titres les plus accessibles du monde. On veut faire un truc que tout le monde puisse écouter, mais derrière on va faire n’importe quoi, des bruits qui n’ont aucun sens. Mais la base du morceau doit être la plus ouverte possible, donc déjà impossible de nous demander d’être plus commerciaux, on essaie déjà d’être hyper pop. 

L’esthétique est importante pour vous ? 

G : Totalement. Je ne sais pas quel groupe se fiche de la pochette de son album. Les clips peut-être plus. Nous les vidéos c’est Woods, Florent Dubois, l’ancien batteur et notre réalisateur de toujours. C’est notre ami et c’est un gars qui a une vision du groupe complètement en accord avec nous. On a une confiance presque aveugle dans ce qu’il propose.

A : Il a des références à la fois très films grand public mais aussi des films un peu pointus. Un truc hyper léché dans l’esthétique et crado dans le traitement. C’est hyper logique par rapport à la musique qu’on fait. 

G : Sur la pochette c’est un peu différent, ça traduit une facette un peu plus compliquée de ce qu’on est dans MNNQNS. C’est les deux extrêmes finalement : la pochette on ne sait pas faire donc on n’a pas délégué sans regarder, alors que les clips au final je dirais presque “on sait le faire” car Woods c’est MNNQNS, mais on a quand même des vraies idées. En fait ça revient à parler de la variété : du moment qu’il y a un fond, ça va. 

MNNQNS – Body Negative (2019)

D’où vient le nom de l’album d’ailleurs, Body Negative ? 

G : C’est parti d’une blague dans le van, où on comparait nos modes de vies à des instagrameurs et instagrameuses du body positive. Puis on aimait bien l’association des mots pour un nom d’album, et on s’est dit que quand on reparlerait à sa sortie, ça ferait le reste. Dans cette blague il y a un vrai fond, c’est que ce mouvement body positive prêche un truc de bonheur presque philosophique mais sur les réseaux, c’est complètement antinomique. Il y a rien de plus opposé au bonheur que de le mettre sur Instagram. On a mis la tête de notre ami Clément, sur une pochette d’album. Et chacun l’interprète comme il veut. Les gens vont sûrement chercher un truc qui va pas sur sa tête, c’est peut-être malsain mais ça fait réfléchir. La contradiction est artistique au final. 

En ce moment, si on fait des généralités, les gens écoutent majoritairement des “musiques urbaines” et des musiques électroniques, comment est-ce que vous voyez le rock et la pop dans tout ça ?

A : Je suis convaincu que ces genres vont revenir. La musique est un cycle. Dans toutes les formes d’art tu as toujours des cycles, c’est une vérité. Et c’est déjà en train de revenir petit à petit. Ca ne nous pose aucun soucis pour le moment, ce n’est pas frustrant parce qu’il n’y aurait “pas assez de public pour nous”, au contraire ça relève encore plus du défi : proposons de la musique ultra-bien plutôt que de choisir la facilité avec des musiques ultra cliniques. Sans critiquer ce qui est dans le mainstream. Mais il y a des choses faites par les mêmes moyens, quantifiées, qui ont les mêmes structures, et qui passent partout en radio. Sortir de ce modèle là, est encore plus gratifiant. Et quand tu commences à être reconnu tu te dis que tu ne fais pas ça pour rien. 

Dans une interview vous disiez aimer l’aspect hit des morceaux, aujourd’hui j’ai l’impression que ça s’est un peu perdu, est-ce que vous aimeriez un retour du hit ?

A  : Je ne ressens plus ce truc de hit dans la musique aujourd’hui, ou très peu. Ou Beyoncé oui ça fait sens, en France, Jul par exemple, ça c’est pas un hit pour moi. Je ne dirais pas que c’est bien ou pas, qui est-ce qu’on est pour dire ça, je ne prends pas la qualité musicale en considération mais ce n’est même pas écrit comme étant un tube. 

M : Personne ne dit ça si ? 

A : C’est le plus vendu en France donc par définition… Nous on est des dinosaures à sortir des albums construits selon un enchaînement de morceaux et pas “titre 1 qui a fait plein d’écoutes sur Spotify, titre 2 plein de vues sur Youtube”… 

G : Pour moi hit et tube c’est très différent, hit ça me fait penser aux charts. Nous on aime la culture du tube, le truc qui va rester et qui ne vieillit pas trop. Des morceaux qu’on va ré-écouter, des années 2000 ou autres, qui étaient ultra-passés de mode il y a cinq ans et les redécouvrir maintenant. Quand j’étais au lycée les mecs se fringuaient comme dans les années 70, c’est cyclique. Il y a un mélange fabuleux entre une bonne écriture, un propos trop cool et un aspect populaire. Je pense que ça se retrouve beaucoup plus dans la musique anglo-saxonne, même si Les mots bleus de Christophe je suis sûr que c’est un tube. On rêve d’une partie où Marc fait du bruit pendant 3 minutes 30 et où tout le monde essaye de chanter le son, comme la partie de guitare des White Stripes ! C’est ce qu’on aime dans la pop nous, c’est joyeux, c’est beau, c’est du bon côté de la force. 

Vous avez récemment repris un titre de The Fall, est-ce que les reprises sont quelque chose qui vous intéresse particulièrement ? 

A  : On s’y met doucement. Ce matin on a justement fait une reprise de Nirvana. Classique pour un groupe de rock tu me diras, mais l’exercice est assez stimulant. Tu dois te débrouiller pour faire un truc qui ressemble plus ou moins à ton écriture et qui a du sens avec le reste de tes morceaux sans que ça vienne de toi à la base. Et les collaborations aussi, on a déjà des noms en tête pour le second album d’ailleurs. 

G : Si on collaborait avec un artiste il y aurait une sorte d’arrière-pensée, tu écris le morceau en te disant “cette personne peut apporter un truc en plus”.

A : Johnny va revenir c’est évident ! 

Votre dernier coup de coeur musical ? 

G : Corridor. 

A  : Ce n’est pas de la nouveauté mais LCD Soundsystem, sur lequel je suis retombé à fond dernièrement. Y’a vraiment un truc que je trouve fabuleux dans ce groupe-là. Hyper ouvert et très pointu dans le choix des sens. 

F : Weyes Blood, que j’ai découvert pas Drugdealer. 

M  : Deeper, un peu la même scène que Corridor, avec plein de riffs de guitares trop cool. 

MNNQNS, en concert à l’Olympia le samedi 9 novembre avec Rival Sons.

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