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« Noura rêve » – Liberté sous condition

©PanameDistribution

Noura Rêve, deuxième long métrage de fiction de la réalisatrice belgo-tunisienne Hinde Boujemaa présent dans de nombreux festivals, raconte l’histoire de Noura, épouse tunisienne d’un détenu multirécidiviste qui attend l’annonce de son divorce pour vivre librement son histoire d’amour avec son amant.

Noura Gargouri, c’est un nom parmi tant d’autres qu’aurait pu choisir Hinde Boujemaa pour parler du tabou de l’adultère dans le monde arabo-musulman. En Tunisie, qui reste un des pays les plus avant-gardiste sur le sujet (le Yémen, ou l’Arabie-Saoudite appliquent encore la lapidation), l’adultère est puni d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison et 500 dinars d’amende. Pour réaliser ce film, la réalisatrice est allée pendant plusieurs semaines au contact de familles pour comprendre et connaître les logiques de l’emprise. Les trois enfants du couple Barbouri, sont d’ailleurs joués par des non-acteurs que la réalisatrice a rencontré pendant ces immersions. Dans un entretien pour Paname Distribution, elle explique comment les jeunes apprentis comédiens ont guidé les acteurs pour incarner la pression et la violence quotidienne sous-jacente vécues dans une famille.  Hinde Boujemaa a réalisé le film à Tunis ( il sortira d’ailleurs en salle là-bas) afin de poser des questions, d’ouvrir les yeux un peu trop clos de la société tunisienne sur l’adultère et la considération de la femme dans le couple. Après son documentaire C’était mieux demain (2012), qui suivait le parcours d’une femme sur un an et demi lors de la révolution arabe, la réalisatrice a décidé de s’engager personnellement dans des associations et d’aller cinématographiquement vers la fiction, pour se questionner sur les rapports insolubles entre l’homme et la femme et les mystères du couple à travers l’irrationnalité de l’amour. Questions, qu’elle s’était déjà posé avec son court-métrage Et Roméo épousa Juliette en 2014.

Si ce deuxième long-métrage est de fiction on comprend bien qu’il n’en reste pas moins politique. Ce parti pris que défend la réalisatrice se ressent aussi dans le choix de ses acteurs. Noura est interprétée par Hend Sabri, grande star tunisienne et égyptienne à l’image glamour et sophistiquée. Elle incarne dans le film tout au contraire une femme du peuple, sans maquillage, parlant vulgairement le tunisien de la rue. Cela faisait quinze ans que l’actrice n’avait pas tourné dans un film tunisien. Le retour inattendu de l’actrice star, actrice qui plus est engagée, comme le montre sa participation en 2010 à la campagne The Uprising of Women in the Arab Work, donne un coup de projecteur au film qui permettra sûrement d’ouvrir un peu plus le débat et le dialogue. La présence également de Lofti Abdelli, grande personnalité tunisienne, danseur, acteur de cinéma primé mais aussi humoriste important qui incarne Jamel, mari détenu de Noura dans le film, renforce le caractère médiatique du film.

Une femme sous tension

©PanameDistribution

Noura travaille au service de nettoyage du linge d’un hôpital. On la rencontre affairée, le téléphone à l’oreille, rieuse, renversant même le café de sa collègue sur le linge propre. Le début du film nous livre avec naturel les informations qui nous permettrons de comprendre son intrigue. On la retrouve quelques images plus tard avec un homme, Lassad (Hakim Boumsaoudi), que l’on comprend être son amant. Dans le hall discret d’un immeuble où ils ont seulement le temps d’une courte rencontre, les deux amants s’étreignent comme deux naufragés qui retrouvent enfin la terre ferme. La caméra se love contre eux, les entourant d’un allo chaleureux avant de les balancer crûment dans les bureaux des aides sociales ou dans la rue où finalement ils ne peuvent pas se connaître. Les deux amants ne connaitront plus le répit de ces rendez-vous salvateurs. Alors que le divorce doit être annoncé dans cinq jours, Jamel, son mari, sort inopinément de prison gracié par le Président. La libération de Jamel annonce alors l’enfermement de Noura. Son visage s’éteint, le cadre l’enferme, le maquillage et le vernis disparaissent et elle s’enterre alors dans une austérité craintive qui remet en cause toutes ses perspectives de bonheur. La tension monte alors entre son mari, son amant, son travail. Les embûches sont partout et le risque de tout quitter sous la menace d’une sanction juridique et d’une réputation bafouée l’immobilise.

Le mari trompé, blessé par la froideur, comprenant la trahison et l’irréversibilité de la situation, ne peut se résoudre. Il piège l’amant amoureux, l’humiliant dans un acte de perversité surprenant que l’on ne doit qu’au cinéma d’être représenté. Tout le monde ment pour se protéger et protéger ceux qu’ils aiment à tords ou à raison.  La scène dans le commissariat désert est pleine d’une tension où l’on sait que chaque mot peut condamner et changer irrévocablement la vie de tous. Mais le silence et la compromission règne. La tension arrivée a son comble a explosé avec fureur aux visages de ceux qui l’alimentaient. Le divorce annoncé ne résout rien. Jamel est repartit en prison, Noura se retrouve encore seule, et Lassad bafoué ne parvient plus à l’aimer sans conditions comme il l’avait toujours fait.

Noura rêve, est un film très bien interprété et juste. Il ne nous propose pas une héroïne sainte pour renforcer la valeur de son propos, mais dresse au contraire le portrait d’une femme qui doute, se trompe, ment. On sent que chaque personnage est regardé avec tendresse par la réalisatrice qui ne cherche pas à pointer du doigt un coupable mais à remettre en question des logiques qui ne fonctionnent pour elle, plus du tout.

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