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Avec Knives and Skin, Jennifer Reeder signe un film poétique, envoûtant et mystérieux autour de la disparition d’une jeune fille dans une petite ville des États-Unis. Le métrage interroge avec beaucoup de bienveillance les doutes et les questionnements adolescents.
C’est l’histoire de Carolyn Harper, une jeune fille qui aussi brutalement que soudainement, disparaît sans laisser de traces. Dans la petite ville de l’Illinois qui l’a vu grandir, la nouvelle ne suscite pas l’intérêt qu’elle devrait : la majorité des habitants continuent leur train de vie habituel entre relations extra-conjugales et matchs de football américain hebdomadaires. La mère de la lycéenne est laissée dans le désarroi le plus total et ne bénéficie que de maigres tentatives de soutien de la part de la communauté.
Pourtant, l’onde de choc est bel et bien là même, si imperceptible et silencieuse. Elle déclenche les passions des adolescents autour d’elle qui se mettent alors à avouer leurs sentiments enfouis et réprimés.
La photographie d’une communauté
Ainsi, la disparition de Carolyn est en réalité un biais pour parler de ses camarades : le film traite aussi bien des relations parfois compliquées avec les parents que de la découverte de sa sexualité ou encore de la difficulté de se trouver une place au sein de la hiérarchie sociale. C’est par exemple Joanna qui doit affronter de plein fouet la dépression de sa mère, le chômage de son père et les avances d’un professeur beaucoup trop insistant. Laurel, quant à elle, doit faire face au désir dévorant qu’elle éprouve pour une amie de son lycée.
Aussi, il est intéressant de remarquer la manière dont Jennifer Reeder représente adolescents et adolescentes. D’un côté, on trouve des personnages féminins à la personnalité très forte et qui ne se laissent pas faire. Dans le dossier de presse, la cinéaste elle-même estime qu’elle a montré des « femmes impatientes et énervées » qui « ont du mordant ». De l’autre, les personnages masculins ont donc bien du mal à rivaliser avec elles, apparaissant comme plus passifs et moins courageux.
Une atmosphère onirique
Mais ce qui fait véritablement la force de Knives and Skin, c’est l’atmosphère onirique et étrange qui s’en dégage. C’est d’abord la photographie et la mise en scène qui participent à la construction d’un univers magique et imaginaire. Les superpositions des visages des personnages, une lumière néon qui nimbe les plans, les phares d’une voiture qui fendent l’obscurité de la nuit… Voici autant d’images qui appellent à la rêverie et qui subliment une intrigue à priori presque ordinaire. À ce propos, la cinéaste convoque la vision de David Lynch à qui Knives and Skin a souvent été comparé. Dans le dossier de presse toujours, elle déclare qu’elle « aime la façon dont il se penche sur des gens ordinaires dans de petites villes en y injectant du surréalisme et de la magie ». Un processus qui semble similaire à celui de Jennifer Reeder même si celle-ci apporte une patte esthétique qui lui est propre. On pense notamment à des couleurs très vives dans les costumes et les décors et au contraste entre des scènes très sombres et d’autres dont la lumière est pratiquement aveuglante.
C’est également la musique qui confère au long-métrage tout son mystère. Alternant entre la musique vaporeuse de Nick Zinner qui a composé la bande-son du film et des reprises planantes de tubes des années 80 (Our lips are sealed, Blue Monday), le spectateur flotte dans un territoire peu irréel.
On ressort de la salle, des images et des sons en tête, bercé dans une atmosphère qui emprunte définitivement au merveilleux. « Le merveilleux est toujours beau, n’importe quel merveilleux est beau, il n’y a même que le merveilleux qui soit beau » disait André Breton dans le Manifeste du Surréalisme.