© AP Photo / Hassan Ammar
Dans les rangs du mouvement de soulèvement qui touche le Liban depuis près d’un mois, beaucoup de révolutionnaires sont des femmes.
En plus des nombreuses revendications liées à la corruption, au coût de la vie, au chômage, aux services publics et au système politique, elles se battent pour leurs droits. Dans ce pays, qui figurait l’année passée dans le top 10 des nations du monde où les inégalités hommes-femmes sont les plus fortes, les Libanaises font face à des discriminations systémiques profondes liées notamment à l’absence d’un statut personnel unifié.
Gardiennes de la paix
Elles se tiennent par la main. Elles crient : « Non-violence ! Non-violence ! ». On pourrait les comparer à un cordon de sécurité, tant elles semblent invincibles. Le 18 octobre, on a pu assister pour la première fois à cette scène stupéfiante dans le centre de Beyrouth, en marge d’une manifestation pacifique sur le point de basculer : des centaines de femmes font bloc, formant une ligne de front infranchissable entre les forces de l’ordre et des manifestants prêts à en découdre. Véritables gardiennes de la paix, les Libanaises qui participent à la “Révolution contre la peur” sont devenues des symboles féministes forts. Le deuxième soir de la Révolution donnait d’ailleurs déjà la couleur : une activiste assène un coup de pied royalement exécuté dans l’entrejambe d’un soldat armé, un geste capturé dans une vidéo qui fera bientôt le tour du Net, propulsant Malak Alaywe Herz au rang d’icône.
Des lois profondément inégalitaires
Mercredi 6 novembre, rendez-vous 19 heures, Place des Martyrs, pour un grand rassemblement de femmes. Des casseroles, des tambours et des bougies, voici les armes utilisées par ces révolutionnaires féministes. « Ô pouvoirs patriarcaux, les droits des femmes ne sont pas un détail. », peut-on lire sur une pancarte tenue par une manifestante. Les Libanaises veulent leurs droits, et elles les veulent maintenant. Pour le moment, leur situation est critique. Pas le droit de transmettre leur nationalité, 6 députées sur 128 sièges que comptent le Parlement, pas de mariage civil et pas de statut personnel unifié… Les droits des femmes Libanaises au divorce, à l’héritage, à l’âge du mariage ou encore à la garde des enfants sont donc aux mains des communautés religieuses : il existe au Liban plus de 15 statuts personnels différents. Une situation décriée aujourd’hui par les protestataires, qui demandent l’abolition de ce système confessionnel pour un système laïc.
Un travail en amont mené par les associations
Mais si les femmes sont aujourd’hui dans la rue, c’est aussi grâce au travail colossal mené depuis des années par diverses associations féministes, assez nombreuses au Liban. En 2017 déjà, une grande campagne menée par l’une d’entre elles, ABAAD, demandait l’abrogation d’une loi qui permettait à un violeur d’échapper à la prison s’il épousait sa victime. Avec l’appui de la société civile, et des actions coup de poing comme des robes de mariées pendues sur la corniche de Beyrouth, l’abrogation avait été finalement actée. Néanmoins, deux ans plus tard, une étude menée par la Banque mondiale mettait en lumière ce chiffre : 58,5 %. Les Libanaises bénéficient de 58,5 % des droits octroyés à leurs compatriotes masculins…
Une Révolution contre la peur, pour le meilleur et pour le pire
« Révolution contre la peur », voilà un surnom qui semble convenir à merveille à ce soulèvement sans précédent. Noura Amer et Rania Maallawi, respectivement présidente et professeure d’arabe de l’Arab Women’s Solidarity Association-Belgium, m’expliquent : « On a toujours peur de quelque chose au Liban : peur de l’extérieur, d’une crise économique, des réfugiés, d’une guerre civile… (…) On peut comparer la Révolution avec la situation des femmes battues : ces femmes qui se sont tues pendant des années pour une raison ou une autre et qui finalement n’ont plus d’autres choix que de dire stop. On ne sait pas ce qui va arriver après, on ne sait pas si ce sera mieux ou pire, mais la société libanaise était arrivée à un point de non-retour : il fallait se révolter. » Elles soulignent aussi le caractère unique de cette révolte qui a réussi à fédérer toute la nation autour d’un but commun, la chute du système politique : « Au bord du gouffre économique, la société libanaise a réalisé qu’aucune religion ne pourrait éviter que le pays ne s’enlise dans une situation catastrophique. Et c’est à présent le drapeau libanais qui flotte au-dessus des têtes, alors que des millions de personnes pensaient précisément que ce n’était plus possible. »
Espoirs et accomplissements
Il ne reste plus qu’à espérer que le schéma habituel d’écartement des femmes une fois les révoltes achevées ne se reproduira pas cette fois. Dans tous les cas, ce qu’ont accompli les manifestant.e.s est déjà historique : réussir à pousser le Premier Ministre Saad Hariri à la démission après seulement deux semaines de contestation. Et même si on ne peut pas prévoir ce qu’adviendront des revendications portées par les Libanaises, elles n’ont jamais été aussi fortes et unies et il est certain que si quiconque essaie de les reléguer au second plan, les bruits de leurs casseroles retentiront à nouveau avec force dans les rues animées du Liban.