© Andrea Montano
Pour notre première entrevue au Mama Festival, nous avons rencontré le crooner pop Antoine Pesle juste avant son live dans un club latino parisien. Peu de temps après la sortie de son tout premier album Hifi Romance, on a parlé fantasmes sonores, magie musicale et pouvoir sensuel de la voix.
Après avoir expérimenté l’italo disco dans un premier EP Amour Lemon (2013) puis co-produit l’album adulé Petite Amie de Juliette Armanet, le geek charmeur nous offre un premier album aux saveurs érotiques et cosmiques baptisé Hifi Romance. Un disque addictif qui nous téléporte dans un écrin virtuel et sensuel dont on n’a du mal à se détacher . Nous retrouvons Antoine dans sa loge, quelques heures avant son passage au Mama Festival. La voix lascive et l’air ailleurs, on pourrait croire aux premiers abords que le jeune artiste est un grand timide, pourtant c’est une longue discussion passionnante (qui se finira dans les marches d’escaliers) que nous offre l’artiste ce mercredi d’automne dans les loges de l’Elysée Montmartre. Une conversation métaphysique, romantique et musicale pour toucher du doigt l’univers d’un garçon amoureux des machines et du r&’nb des années 90.
Bonjour Antoine, pour commencer, est-ce que tu peux présenter brièvement ta musique à ceux.elles qui ne te connaissent pas ?
Antoine Pesle : Je m’appelle Antoine Pesle, je fais de la musique de manière assidue depuis une dizaine d’années déjà. J’ai fait le choix de la musique en tant que pratique quotidienne et j’ai évacué toutes les autres disciplines professionnelles de mes journées. J’aime faire de la musique sur scène avec mes copains, j’aime aussi regarder des tutoriels youtube sur des instruments de musique, des logiciels… J’ai un petit côté geek mais pas très approfondi car je suis de formation littéraire et les liens de causes à effets ne vont pas au delà de deux étapes dans ma tête sans que j’ai oublié le début de ma démarche. J’aime bien aller à la campagne pour créer du vide qui me permet après d’avoir des idées musicales. J’aime aussi me baigner dans la Drôme.
En 2013, tu sortais un tout premier EP Amour Lemon, depuis le temps a coulé, tu as co-produis l’album Petite Amie de Juliette Armanet . Qu’est-ce que tu as fait d’autres pendant toutes ces années ?
A : J’ai fait pas mal de choses qui ne se voient pas vraiment. J’ai bossé dans d’autres réseaux. J’ai composé pour des pièces de théâtre, pour des artistes vidéos, des performeurs dans l’art contemporain. En parallèle de la co-production de l’album de Juliette, j’ai aussi travaillé sur la conception de mon album et de mon studio d’enregistrement qui me permet d’avoir les moyens de production nécessaires pour créer ma musique.
Est-ce que produire pour un.e autre artiste, ça aide aussi à préparer son propre projet musical ?
A : Au delà de la rencontre avec Juliette – qui est une grande compositrice et interprète – le fait d’avoir travaillé avec elle c’était une opportunité d’être dans des grands studios avec des grands musiciens et des moyens de majors que je n’ai pas. Ca m’a permis de résoudre bien des fantasmes que j’avais avec la technologie, de savoir qu’il n’y a pas forcément besoin d’un studio avec des éléments hors de prix pour faire un album. Collaborer avec Juliette c’était aussi une expérience de travail collectif sur un disque dans lequel notre égo est un peu mis de côté. On est au service d’un projet, d’une personne qui a un perfectionnisme et une exigence assez fine qui lui appartiennent et qu’on se doit de soutenir et de surligner.
Récemment, tu sortais ton premier album Hifi Romance, comment te sens-tu juste après cette sortie ?
A : Je fais encore partie d’une génération où l’album a une importance. Aujourd’hui beaucoup d’artistes réfléchissent en single. Moi aussi, j’ai le goût du single, j’ai grandis avec MTV. L’objet album c’est une vanité qu’on a de vouloir construire quelque chose qui a une cohérence sur 45 minutes. C’est un moment où on a envie de se concentrer sur nos rêves de réalisations et sur les couleurs musicales qu’on a envie de réaliser et de mettre en interaction. Je trouve ça important d’articuler les morceaux entre eux, qu’ils aient une suite cohérente. C’est le fait de les écouter tous ensemble qui nous aide à mieux les comprendre indépendamment, un peu comme un film, il y’a quelque chose d’implicitement narratif. Cet album sonne comme un premier dans la mesure où il y avait des fantasmes de goûts musicaux à assouvir.
C’est quoi une Hifi-Romance pour toi ?
A : C’est cette idée de haute fidélité, quelque chose qui concerne, pour une partie le côté geek car j’aime beaucoup les machines. Et c’est aussi quelque chose qu’on a créé avec mon amie Dominique Gillio, une performeuse qui sévit dans le milieu de l’art contemporain et qui inclut dans ses performances des chansons pop que j’ai le plaisir de produire. C’est un concept qui consiste, dans une relation amoureuse, à être lié à quelqu’un sans avoir besoin de voir la personne, sans être dans ce truc un peu plombant de “couple”, c’est une connexion un peu cosmique comme cette quête qu’on les geeks d’avoir le son le plus pur. La haute fidélité permet de se déjouer des stéréotypes du couple dans lesquels on a du mal à ne pas tomber.

Quand on écoute ton album, on a l’impression que les premiers morceaux valsent plus du côté de l’ébat physique, l’amour des corps, l’amour sensuel et que les trois derniers morceaux se détachent pour laisser place au romantisme et aux ébats du coeur. Comment tu le conçois cet album toi ?
A : Je suis content que les gens aient une lecture qui leur est propre, je ne voudrais pas trop aiguiller les gens. Evidemment, il y a quelque chose de sensuel dans ma musique, des mélodies qui font penser à un héritage de chansons d’amour, de soul. Je voulais faire un album dansant et doux. J’ai une grosse culture r&’nb, Marvin Gaye, Mariah Carey, j’ai grandi dans les années 90 avec ce complexe qu’on a en France de considérer comme un guilty pleasure (ndlr : plaisir coupable) d’aimer les Destiny Child, maintenant ce n’est plus du tout le cas. Aujourd’hui, tu mets Crazy In Love ou Say My Name en soirée, c’est les morceaux qui marchent trop bien. J’ai pas trop calculé la narration de mon album, j’ai mis un ordre selon mon histoire à moi qui ne doit pas être celle que l’auditeur se raconte. J’ai articulé des interludes entre les titres pour que l’entendement du disque aille de soi.
Sensualité et lascivité, ce sont les premiers mots qui viennent à l’esprit quand on écoute ta musique. Qu’est-ce qui rend un morceau sensuel ?
A : Un morceau devient sensuel quand on ose laisser transparaître la fébrilité. Laisser des bruits de bouches, des fausses notes, aller vers la sensation et pas vers la perfection. Pour moi, beaucoup de choses passent dans la voix et moins il y a d’éléments dans une chanson, plus on se doit d’avoir des éléments vocaux pertinents dans le morceau. La voix prend une place forte si il n’y a rien qui pollue son l’écoute. La sensualité vient aussi de la simplicité des mots, je ne suis pas un grand anglophone et j’ai le goût des chansons de Stevie Wonder, des Beatles, de Michael Jackson qui pour même un gamin de CM2, sont compréhensibles hormis quelques mots de vocabulaire qu’on sait pas traduire, on sait s’y retrouver, on comprend. “I want you to stay with me”, “I need you”, j’ai pas peur de ces phrases là. J’ai une écriture pas très originale. J’ai découvert Marvin Gaye assez tard, et j’hallucine quand j’écoute ces chansons, il ne chante jamais pareil, il dit “baby” 27 fois par chanson et ça sonne toujours différemment. C’est sans doute pour ça, que lorsqu’on est jeune, on accroche à des albums en anglais, il y a quelques phrases qui restent. “I leave you in a summertime” ça pourrait être une chanson de Stevie Wonder, de Michael Jackson, c’est une phrase qui fait de mal à personne et elle permet d’évacuer la rationalité. Moi je ne suis pas très attaché aux textes.
Je voulais faire un album dansant et doux.
C’est peu la définition de la pop, dire des choses simples, aller à l’essentiel en se réinventant sans cesse.
A : Pour moi, l’important c’est le lien qui se crée entre un auditeur et une chanson, peu importe ce que l’auteur a voulu dire. Jodorowski a dit “Quand on mange une pomme, on se fiche de savoir quelle racine avait la pomme”, on veut pas connaître sa racine, elle est très bonne, on est heureux, on remercie la nature de nous donner ce fruit magique.
Sur plusieurs morceaux de l’album, tu modifies ta voix avec des vocoder. Qu’est-ce que la technologie peut apporter à une voix ?
A : La musique enregistrée c’est la sensibilité d’une personne qui rencontre inévitablement la technologie. Dès le début, les contraintes technologiques sont tellement fortes qu’elles influenceront forcément le processus d’écoute. C’est une utopie de croire qu’en enregistrant, on retranscrit la réalité. Moi je pense qu’il faut accentuer la place du médium technologique dans l’enregistrement pour ouvrir des imaginaires. Ca me plaît de bidouiller mes machines et ma voix.
Je pense qu’il faut accentuer la place du médium technologique dans l’enregistrement pour ouvrir des imaginaires.
Dans ton univers sonore et visuel, on ressent aussi l’omniprésence du rêve. Est-ce que pour toi la musique, c’est un peu transformer les rêveries en notes pour les faire exister de manière réelle ?
A : La musique, c’est magique. Il y a un truc de très précieux dans la musique, il n’y a plus de pudeur. C’est très intime une voix. J’ai un lien très fort avec certaines chansons, mais pas avec des artistes parce qu’une fois que la voix est enregistrée, c’est déjà plus le chanteur pour des raisons que je ne peux pas expliquer. Quand Michael Jackson est mort, ça m’a rien fait, mais ses disques me feront éternellement quelque chose.
*Départ dans les marches d’escaliers*
Ce soir, tu monteras sur la scène du Cuba Café dans le cadre du Mama Festival. Qu’est-ce que tu peux nous révéler sur tes lives avant qu’on ne le découvre par nos propres yeux ?
A : J’avais la volonté de jouer avec un groupe, et j’ai de la chance parce que j’ai des copains qui sont aussi de très bons musiciens. On est un groupe normal et vivant qui joue des chansons.
Antoine Pesle sera en concert le 21 novembre prochain au Grand Mix (Tourcoing).