ART

Opéra de Paris – La 3ème scène fête ses quatre ans

© “Le Couronnement” de Jonathan Littell

La plateforme vidéo de l’Opéra de Paris s’enrichit de nouveaux films et continue de proposer un croisement élégant des arts.

L’Opéra de Paris n’en finit plus de célébrer ses anniversaires. L’Opéra Garnier fête cette année ses 350 ans, l’opéra Bastille ses 30 ans et la «  3ème scène  » ses quatre ans. Lancée en 2015 par Stéphane Lissner, cette 3ème scène a fait rentrer l’Opéra de Paris dans le XXIème siècle en le dotant d’un espace entièrement numérique accessible à tous. Si l’un vient tout juste de sortir, quatre nouveaux films intègreront prochainement cette plateforme où des artistes de tous horizons sont invités à s’emparer de l’univers de l’illustre institution parisienne. 

“A bout portés” de Clémence Poésy © SILEX Films

D’abord confiée à Dimitri Chamblas, danseur et producteur proche de Benjamin Millepied – le directeur de la danse d’alors – la 3ème scène a dans un premier temps suscité la curiosité, l’enthousiasme mais aussi quelques moqueries. Par quel miracle des petits films de quelques minutes signés par des acteurs grands public (Mathieu Almaric, Fanny Ardant), des artistes ultra-pointus (Xavier Veilhan, Apichatpong Weerasethakul) ou des auteurs (Brett Easton Ellis, Jonathan Littel) seraient en mesure de d’égaler l’émotion provoquée par le spectacle vivant mais aussi de rendre plus accessible le ballet ou l’art lyrique ? Il existait pourtant des précédents étrangers prometteurs qui pouvaient laisser penser que ce n’était pas une si mauvaise idée. La plateforme anglaise Nowness notamment, fondée par le rédacteur de mode Jefferson Hack et financée par LVMH (et sur laquelle on retrouve très régulièrement Benjamin Millepied d’ailleurs), offrait déjà des petits formats vidéos en lien avec les arts (mais pas que) très stimulants. 

A l’usure

Quatre années plus tard, force est de constater que la 3ème scène est désormais bien installée. Entre temps, la direction a été confiée à Philippe Martin afin de favoriser une ligne éditoriale plus “scénarisée” mais également plus tournée vers l’opéra. Le fond de vidéos s’est étoffé, les noms prestigieux se sont alignés mais l’ambition est restée la même : demeurer un espace des possibles où chaque artiste puisse développer sa vision en explorant d’autres champs artistiques que le sien. Si la plateforme n’a jamais eu vocation à être une simple vitrine numérique de la programmation salle de l’Opéra, les invités ont évidemment la possibilité de célébrer cet univers voire de travailler avec les personnels de l’Opéra, artistes, danseurs comme techniciens. On pourra notamment citer les vidéos de Clémence Poésy avec des jeunes danseurs de l’Ecole de l’Opéra ou celle de Bertrand Bonello avec l’étoile Marie-Agnès Gillot. Naturellement et progressivement donc, la 3ème scène a également créé des liens avec les autres scènes. Certains habitués de Garnier tels que le chorégraphe William Forsythe ont eu la possibilité de réaliser un film pour la plateforme tandis que d’autres ont fait le chemin inverse. Ainsi, c’est sa vidéo « krump » réalisée en 2017 sur la musique des Indes galantes de Jean-Baptiste Rameau qui a ouvert les portes de l’Opéra Bastille à l’artiste et réalisateur Clément Cogitore, où sa version scénique de l’opéra baroque, très réussie, vient de remporter un immense succès public.

5 nouveaux films, de Pierre Bergé à Degas

Entre octobre 2019 et mars 2020, quatre nouveaux films viendront compléter la vidéothèque déjà bien fournie de la 3ème scène aux côtés de la création du réalisateurs Arnaud des Paillières sur la figure d’Edgar Degas (Degas et moi) en ligne à compter du 30 octobre.

Le réalisateur de Michael Kohlhaas signe un portrait passionnant du peintre Edgar Degas, qui fait justement l’objet d’une exposition au Musée d’Orsay depuis le 24 septembre. Filmant en partie avec une caméra Pathé de 1912, le réalisateur transpose à l’écran des extraits de correspondance évoquant l’ambivalence de la figure de Degas, interprété par Michael Lonsdale. D’abord avec la lettre d’un ami du peintre qui décrit l’état de décrépitude physique dans lequel Degas tombe à la fin de sa vie. Puis la lettre d’une petite danseuse-modèle qui évoque plutôt la dureté de l’artiste et son effondrement moral. Degas est alors profondément anti-dreyfusard, il est convaincu que les juifs “sont partout” et qu’il faut les exterminer. D’une délicatesse formelle tout à fait saisissante, le court métrage d’Arnaud des Paillères offre également une plongée dans l’œuvre de Degas grâce à des flash-back où Degas jeune, interprété par le dessinateur Bastien Vivès (Le goût du chlore, Polina), observe et dessine des danseuses pendant une répétition à l’Opéra Garnier. Un film au montage particulièrement intelligent qui, comme le souhaitait son réalisateur, célèbre les artistes (chorégraphe, peintre et danseuses) au travail.

Pierre Bergé et Carlos Ott, architecte de l’Opéra Bastille en 1989
© Michel Szabo

Le mois prochain, une seconde proposition (Le crépuscule des Dieux), cette fois-ci des réalisateurs Phillipe Beziat et Gordon retiendra l’attention. L’histoire débute en 2017, alors qu’ils interviewent longuement Pierre Bergé dans son ancien bureau de l’Opéra Bastille, institution qu’il a dirigée de 1988 à 1993. A l’époque, ils savent déjà que les images qu’ils tournent ne serviront pas à faire un film ou un documentaire. Ils envisagent plutôt un livret pour lequel l’orchestre de l’opéra pourrait composer une musique. Mais, le 8 septembre 2017, Pierre Bergé décède et le projet évolue alors radicalement. Ce sera finalement un petit film qui prendra la forme d’une déambulation nocturne dans Paris, en voiture, en musique (Wagner, forcément) et avec la voix, si précieuse, du grand homme. Évocation de ses souvenirs de l’Opéra (dont il n’aime pas spécialement l’architecture), de son rapport au chant (“je déteste la musique baroque !“), à la culture en général, à la gauche française mais aussi au travail et, bien sûr, à Yves Saint-Laurent, ce petit film signe un portrait honnête et sensible de la personnalité complexe de Pierre Bergé, un homme aussi intelligent que drôle et méchant. Un film “tombeau” – comme on dit en musique baroque d’une œuvre qui rend hommage – absolument envoûtant.

Les trois films à venir sur la plateforme sont signés du prix Goncourt 2006 Jonathan Littell, de la metteuse en scène de théâtre Julie Deliquet et du réalisateur Karim Moussaoui. Degas et moi sera en ligne le 30 octobre 2019, Le crépuscule des Dieux le 20 novembre 2019. Tous les films sont accessibles sur : https://www.operadeparis.fr/3e-scene

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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