MUSIQUEMusique en bref

MUSIQUE EN BREF – Mélancolie Heureuse

La rentrée musicale se prolonge et cette semaine, la rédaction vous décortique quatorze disques de long en large. Découvertes, déceptions et belles surprises : en octobre, les disques tombent comme les feuilles d’automne pour le plus grand plaisir de nos oreilles.

Nick Cave & The Bad Seeds – Ghosteen

Annoncé de façon impromptue, le dix-septième album de l’icône australienne a fini par débarquer sur la toile ce week-end. Conçu autour du deuil de l’un de ses fils (mort accidentellement à l’âge de 15 ans), Ghosteen s’étend sur deux disques, deux parties représentant à la fois “les enfants et les parents”, comme un “esprit migrant”, selon les mots du principal intéressé. En reprenant exactement là où il s’était arrêté avec son disque précédent, il se frotte aux limites de l’impudeur et de la vulnérabilité pour transcender ses fragilités et blessures intimes, tout en enrichissant une nouvelle fois sa mythologie à travers le spectre de son histoire personnelle. Si l’on retrouve bien les sonorités synthétiques et minimalistes propres à Push The Sky Away et Skeleton Tree (l’omniprésence du MicroKorg de Warren Ellis), rien ne semble nous avoir préparé à un tel monolithe, qui revêts des habits sonores mélancoliques, parfois désuets mais toujours chatoyants. Si chroniquer un album pareil si tôt après sa sortie semble être une hérésie (ne serait-ce que pour la portée des paroles), l’évidence qui s’impose, notamment sur la seconde partie, est celle que le songwriting toujours aussi édifiant de Nick Cave s’adapte même aux formats les plus ambitieux, pour imposer Ghosteen comme l’un des grands disques de cette fin d’année.

Coups de cœur : Bright Horses, Waiting for You, Sun Forrest, Ghosteen, Fireflies, Hollywood

Sortie le 4 octobre

Camille Tardieux

Ibrahim Maalouf – S3NS

Un album, c’est une promesse. Ibrahim Maalouf en a réussi plusieurs ces dernières années : une pop-rock avec Red & Black Light  ; celle de rendre hommage à une grande voix d’Orient avec Kalthoum  ; ou encore celle de réinventer Dalida. Sur S3NS, la promesse semble être un voyage vers la musique latino des Caraïbes. C’est le cas sur le très bon Una Rosa Blanca, qui ouvre l’album, mais ensuite, et malgré de nombreuses collaborations avec des musiciens cubains, le voyage s’arrête rapidement. Les percussions et les semblants de rythmes salsa sont noyés dans bien trop d’autres influences, à l’exception du titre Gebrayel, enregistré avec le pianiste Roberto Fonseca. Si S3NS reste un bel album de “musiques du monde”, la promesse n’est pas tenue.

Coup de cœur : Gebrayel.

Sortie le 27 septembre

Kevin Dufrêche

DIIV – Deceiver

Après un passage à vide certain, la formation originaire de Brooklyn fait son retour, pas moins de trois ans après le succès de leur deuxième album Is the Is Are en 2016. Pas de doute il s’agit bien de la formation DIIV, ici dans un ton bien plus post-rock qu’à l’accoutumée. Les guitares, la basse tout particulièrement, prennent le dessus, laissant la voix du leader Zachary Cole Smith feutrée en arrière plan. On est définitivement loin de la dream-pop adulescente et impeccable d’Oshin, mais DIIV initie ici un retour plus qu’intriguant et somme toute convaincant, réalisant un tour de force dans ce registre bien plus sombre sur la majeure partie de Deceiver, une esthétique réciproquement transmise dans la cover de l’album. Certains morceaux s’imposent cependant comme des retours aux sources évidents et jubilatoires comme The Spark ou Blankenship.

Coup de coeur : The Spark et Like Before You Were Born


Sortie le 4 octobre

Caroline Fauvel

Angel Olsen – All Mirrors

En même pas dix ans de carrière et trois albums, Angel Olsen n’avait déjà plus rien à prouver. Son talent, on le connaissait. Pourtant, voilà un quatrième opus à la hauteur de toutes les attentes. All Mirrors fait partie de ces disques qui prennent aux tripes, qui vont chercher loin chez vous des sensations et des souvenirs, qu’ils soient heureux ou non. Aux moments opportuns, et avec une justesse inouïe, ses compositions se parent de cordes, que ce soit pour durcir ou pour adoucir, et toujours pour sublimer. Et puis cette voix, connue et reconnue, est ici centrale : explosive presque agressive sur Lark, chuchotée et nue sur Tonight, elle est un instrument à part entière. Entre douceur et puissance, Angel Olsen est magnétique.

Coups de coeur : All Mirrors, New Love Cassette, Tonight

Sortie le 4 octobre

Kevin Dufrêche

Alex Beaupain – Pas Plus Le Jour Que La Nuit

L’automne vermeil se pointe, la grise mélancolie se joint à lui et le sixième album studio d’Alex Beaupain aussi. Trois ans près Loin (2016), l’auteur/compositeur/interprète dévoile Pas Plus Le jour Que La Nuit chez Polydor, un disque triste et politique fait de cendres et poussières, de souvenirs et de drames. On succombe au beau duo désir avec la grande Clara Luciani sur Sitôt mais aussi au message engagé de Cours Camarade, ou encore à la balade funèbre de Orlando en hommage aux victimes de l’attentat sanglant. Un album où s’emmêlent les notes de piano classique, les bandes électroniques composées par les deux acolytes du chanteur : Superpoze et Sage où se dépose la voix douce et tremblante de Beaupain. Un retour vers la modernité musicale qui lui sied à ravir. On achève l’écoute de cet album le coeur lourd mais bientôt soulagé d’avoir pu effleurer du bout des doigts une âme qui nous ressemble, celle d’un artiste capable de voir la nuit en plein jour, celle d’un homme qui met en mots et en musique les deuils que la vie dépose sur sa route.

Coups de coeur : Tout le contraire de toi, Ektachrome, Sitôt, Poussière Lente.

Sortie le 4 octobre

Pauline Pitrou

Thomas Fersen – C’est Tout Ce Qu’il Me Reste

Quelle rentrée pour la chanson française ! Alain Souchon, Jeanne Cherhal, Vincent Delerm, Alex Beaupain et évidemment Thomas Fersen. C’est tout ce qu’il me reste, douzième album du chanteur le plus fantaisiste de France et de Navarre. Comme toujours entre Vian et Brassens, sa voix chaude nous conte de nouvelles histoires parfois nostalgiques, parfois rocambolesques. On y croise son habituel bestiaire : coq, chat coquin, singes amateur de poux ou ode à King Kong ; des zombies gentils (Les Zombies du cimetière) ; de la drague adolescente pour les jeunes et les vieilles (Mes parents sont pas là / Les Vieilles) ; un puceau de 40 ans (C’est tout ce qu’il me reste) ; un Alexandre Le Bienheureux (Envie de ne rien faire). Toujours à la frontière du surréalisme, on se laisse porter par les notes de banjo et les sublimes 10:30 de La Mare.


Coups de coeur : La Mare, C’est tout ce qu’il me reste, Les Vieilles

Sortie le 27 septembre

Diane Lestage

Chaton – Princesse Pigalle

“J’suis pas pressé d’une carrière qui décolle” nous lance Chaton dès les premières notes aériennes du morceau d’ouverture Concorde. Après avoir écrit et composé pour de multiples artistes, la jungle musicale et ses déceptions n’ont plus de secrets pour l’artiste. Après Possible (2018), et Brune Platine paru au début de cette année, le chat noir de l’autotune revient avec Princesse Pigalle, un troisième album mélancolique et touchant. Effleurant du bout de sa voix les sujets qui l’habitent depuis ses débuts : le business cruel, le succès et la rancoeur, l’amour pour sa chère et tendre Lola et leur petite fille. En douze titres, Chaton se livre sans filtre sur son passé, son présent et ses démons sur des bandes électroniques aux inspirations reggae. Une errance dans ce Pigalle aveuglant où se côtoient anges et diables, néons colorés et trous noirs. Peut-importe ce qu’on en pense, le chanteur nous fait comprendre qu’il écrit pour lui et pour les personnes qu’il aime qu’importe les avis, il aura gagné même s’il perd.

Coups de coeur : Mea Culpa, Je ne sais pas, Jamais, Concorde.

Sortie le 27 septembre

Pauline Pitrou

Chromatics – Closer To Grey

Sept ans de réflexion. C’est le temps qu’il aura fallu à Chromatics pour offrir au monde un nouveau long format. Après le très acclamé Kill For Love, le groupe préparait son sixième album intitulé Dear, Tommy, maintes fois repoussé, pour finalement ne jamais voir le jour. Pour le meilleur ? C’est aujourd’hui avec Closer To Grey que Chromatics revient avec sa synth-pop rêveuse. Dès le dévoilement de la pochette, le ton est donné : Closer To Grey sera sanglant, ou ne sera pas. En témoigne des morceaux baignés dans l’esthétique des films noirs, comme Whispers In The Hell. Si Kill For Love s’ouvrait sur Hey Hey, My My de Neil Young, c’est ici une reprise de Simon & Garfunkel qui sert de morceau introductif. Clin d’oeil à ces nombreuses années de silence. À mesure que l’on avance dans le disque, la voix éthérée de Ruth Radelet et les mélodies morbides se montrent toujours diablement efficaces, malgré la présence d’un morceau datant de 2014 (Closer To Grey), ou d’une énième reprise (On The Wall de The Jesus and Mary Chain). Pas si facile de sortir de sa zone de confort.

Coups de coeur : Light as a Feather, Wishing Well.

Sortie le 2 octobre

Lolita Mang

Samba De La Muerte – A Life With Large Opening

Merveille sensible de cette rentrée musicale A Life With Large Opening est l’album de l’épanouissement pour l’artiste normand, Adrien Leprêtre, aka Samba De La Muerte. Si les premiers aperçus qu’incarnaient des morceaux comme Land ou Side by Side composaient d’ores et déjà avec une profondeur et une écriture satisfaisantes, la totalité de l’album établit une synergie intelligible. Et pourtant chaque titre présente une singularité qui lui est propre, en travaillant une base électronique générale et évolutive. A Life With Large Opening atteint un équilibre efficient qui fait la part belle à la transmission et au voyage immersif dans des horizons synthétiques et progressifs. L’album prend sous cet angle une dimension très intime en suscitant l’idée d’une escapade, comme sur les mélodies évolutives de Motech ou Even If.

Coup de coeur : Even If, Side by Side


Sortie le 27 septembre

Caroline Fauvel

Pierre Daven-Keller – Kino Music

Basse ronronnante, claviers vintage et sonorités old school en tout genre composent ces thèmes sans paroles qu’on croirait tout droit sorti des 60’s, non loin de Forever Pavot, et, surtout des grandes heures d’Ennio Morricone, à qui l’album se veut un hommage. Alliant rythmes bossa (Melancholia, Salvaje Corazon avec Arielle Dombasle), sensualité (La fiancée de l’Atome avec Helena Noguerra) et références musicales amoureuses (Farfisa), ce nouveau disque de Pierre Daven-Keller s’illustre comme la bande originale d’un film qui n’existerait pas encore, ou plutôt aurait été définitivement perdu, la faute à une pellicule en nitrate victime d’une combustion symptomatique du support. Frôlant le kitsch, parfois redondant, Kino Music a bien de quoi faire sourire lorsque défile par exemple Intermezzo Retro tant rien ne semble bien moderne : mais c’est justement là aussi toute la force du projet. Une sorte de capsule temporelle qui souffre peut-être d’un certain manque d’ambition mais n’en demeure pas moins un ensemble de pastilles pop plus que charmantes, comme la bande-son idéale des soirées d’automne bien au chaud entre amis.

Coups de cœur : Champs Magnétiques, Dakota Jim

Sortie le 27 septembre

Camille Tardieux

Antoine Pesle – Hifi Romance

On aurait tous.tes aimer tomber amoureux.se sur une chanson d’Antoine Pesle. Après Amour Lemon (2013), un EP flirtant entre italo disco et groove frenchy et la co-production de Petite Amie, très romantique premier album de la chanteuse Juliette Armanet, Antoine Pesle dévoile Hifi Romance, un premier disque aérien et lancinant. Dès les premières notes de Latence, nous voilà transporter dans un univers torride et voluptueux où l’on roucoule comme on respire. Dans la langue de Shakespeare, l’artiste à la voix haut perchée se ballade entre les onze pistes , navigant entre funk lancinante, et pop léchée. Un éloge tendre et sensuel de la lenteur qui convoque secrètement le fantôme de Prince. Tantôt la voix trafiquée à la daft punk, tantôt la voix claire, il réussit à nous convaincre et dessine un univers musical qui cache aussi quelques volutes de mélancolie (La Romance Hifi, Quite Still). On branche la chaîne, on monte le volume au maximum, le slow langoureux peut alors commencer.

Coups de coeur : Latence, Too Much, Close To You, Haute Fidelité, Quite Still.

Sortie le 4 octobre

Pauline Pitrou

Zimmer – Zimmer

Le petit dernier du label Roche Musique Zimmer dévoile son premier album éponyme. Fidèle à la marque de fabrique de cet excellent label français, Zimmer nous propose un disque dans les tons deep-house, accompagné d’accord planants et reposants. Dans l’ensemble Zimmer est un projet cohérent, et l’artiste nous dévoile un véritable savoir faire, ainsi qu’une identité bien à lui. Cependant, quelques morceaux ont du mal à décoller et restent relativement plats. Et un tel manque de relief ne passe pas inaperçu, surtout pour un album provenant d’un label connu pour son groove impeccable et ses disques de grande qualité. Mais certains titres tirent leur épingle du jeux, notamment Side of You en feat avec la chanteuse Laumé, qui de sa voix sublime le doux mélange électronique concocté par Zimmer. Le morceau Make it Happen accompagné du chanteur Panama se défend lui aussi, et livre un clip sublime disponible sur youtube. On vous conseille d’y jeter un oeil !

Coups de coeur : Side Of You, Movement, Thunder

Sortie le 27 septembre

Tristan Pilloix

Tomasi – Somnambule (EP)

“Le monde peut bien courir, moi je reste seul à l’attendre”, vêtu de son plus beau peignoir, Tomasi regarde le monde à sa fenêtre, il écrit sa vie et ses tourments en toute sincérité. Après Astronef (2017), le rappeur sensible dévoile Somnambule, un cinq titres prometteur. Sous ses airs de solitaire arrogant (Du Sperme Sur Le Peignoir) et de mythomane (Menteur, Menteur), c’est un garçon touchant à la poésie contagieuse qui se cache sous cette carapace. Brisant les codes du rap classique, il navigue entre les genres, s’offrant volontiers des détours vers l’électronique ou la pop. Somnambule se dessine comme un conte de jeune adulte dans la lune se cherchant dans un monde qui ne lui ressemble pas. Un EP qui se clôture en beauté avec le titre éponyme de l’album où l’artiste nous crie de tout son corps “Est-ce que quelqu’un m’entend ?”, sur lequel nous vient l’envie de poser une main sur son épaule, de lui murmurer qu’on est bien là et qu’on écoute ses mots.

Coups de coeur : Somnambule, Avotaru, Round 1.

Sortie le 3 octobre

Pauline Pitrou

Octatonic Records – Volume 1 & 2

Tout nouveau au rayon des labels de musique classique, Octatonic Records n’est autre qu’une création de Jonny Greenwood, guitariste de Radiohead et compositeur, entre autres, de la plupart des scores des films de Paul Thomas Anderson. Mettant depuis des années un point d’orgue à démocratiser la musique contemporaine -et plus largement classique- auprès d’un grand public souvent novice et plutôt craintif en la matière, il publie aujourd’hui deux premiers disques pour initier ce projet salutaire, voué à la publication d’œuvres pour instruments solistes ou petits ensembles. Le premier s’attaque ainsi à la quintessence du baroque avec la Partita No.2 en Ré mineur de Bach, exécuté par un Daniel Pioro virtuose et magnétique au violon solo. Le second met l’accent sur la musique contemporaine avec une pièce trop méconnue de Michael Gordon (Industry, jouée ici par Oliver Coates) et surtout Three Miniatures from Water, variations sur une création originale de Greenwood déjà enregistrée par l’Australian Chamber Orchestra, ici dotée d’une orchestration et d’une interprétation radicalement différente. C’est donc avant cet amour de la musique, au sens large, qui porte ce projet et qui risque encore de nous délivrer encore de très belles pages du répertoire.

Coups de cœur : Tout.

Sortie le 24 septembre

Camille Tardieux

AMOUREUX DES SONS, DES MOTS ET DES IMAGES, DE TOUT CE QUI EST UNE QUESTION D'ÉMOTION, DE RYTHME ET D'HARMONIE.

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