SOCIÉTÉ

La Boucle du Ruban rouge #4 – Vivre avec le VIH en 2019

Avec une meilleure prise en charge médicale et certains progrès sociaux, le quotidien des personnes séropositives s’est nettement amélioré. Cependant, la sérophobie persiste. Dans le cadre du partenariat avec la Boucle du Ruban rouge, Maze a questionné le président d’AIDES, Aurélien Beaucamp, pour traiter ce sujet.

Une personne séropositive traitée ne meurt plus des conséquences du VIH aujourd’hui. Elle peut même vivre longtemps et en relative bonne condition. Pourtant, il paraît toujours autant difficile de vivre avec le virus. Comment expliquer cela ?

En effet, les traitements sont très efficaces depuis la fin des années 90. Aujourd’hui on vit très bien avec le traitement. Il y’a un vrai suivi médical des personnes atteintes, les patients sont amenés à faire des prises de sang régulièrement, les équipes médicales vérifient si tout va bien, elles observent s’il n’y’a pas de maladies ou d’infections opportunes. Cependant, on peut déplorer qu’aujourd’hui, les personnes séropositives sont toujours tout autant stigmatisées. Sur ce point il n’y a eu que peu d’évolutions ces dernières années. On jette toujours l’opprobre sur les personnes qui vivent avec le VIH. Il y’a encore toutes les connotations sociales liées à l’infection sexuellement transmissible. La sérophobie continue et il y’a des situations où cela peut être très gênant. Par exemple, il faut savoir que les personnes infectées par le VIH ont parfois du mal à avoir accès aux soins. Certains médecins se disent, par manque d’information ou à cause de certaines représentations, qu’il faut faire passer un patient séropositif en dernier dans une journée de consultation parce qu’il faut tout désinfecter après son passage, ou refusent carrément de le recevoir de peur d’attraper le VIH eux-mêmes. Il est difficile également d’avoir accès au prêt bancaire lorsqu’on est atteint du VIH, parce que les assurances estiment encore qu’une personne qui a le VIH va mourir très rapidement quand bien même il est maintenant prouvé qu’une personne traitée a une espérance de vie similaire à celle d’une personne séronégative.

Le poids de la représentation sociale liée à la maladie est donc très lourd à porter. Mais au fond, on peut se demander d’où vient cette lourdeur des représentations autour du VIH. Qu’est-ce qui différencie cette maladie sur le plan social d’une autre maladie chronique telle que le diabète  ?

Tout d’abord, permets-moi de faire un petit point de vocable. Jusqu’à la fin des années 90 et l’arrivée du traitement on parlait de «  maladie  », et même de «  maladie mortelle  ». On mourrait des conséquences du SIDA. Maintenant, on ne parle plus de maladie, mais d’infection. C’est-à-dire qu’on vit avec le VIH, et le traitement permet de contrôler le virus et de l’empêcher de se dupliquer. Le traitement garde le virus à un état dormant, ce qui le rend justement intransmissible. Cependant, contrairement à d’autres problèmes chroniques de santé, comme le diabète par exemple, les gens n’ont pas les mêmes représentations des personnes atteintes. Le VIH est très lié à la vie sexuelle. On se trouve dans une société où paradoxalement on parle beaucoup de sexe, mais où, en même temps, on évince toutes les questions relatives aux risques d’infections. Ces sujets restent tabous, et une personne infectée est encore perçue comme ayant commis une faute. A cela se rajoute le fait que les populations les plus à risque sont les populations déjà stigmatisées à la base (les homosexuels, les bisexuels, les trans, les usagers de drogues ou les réfugiés). Il peut y avoir un cumule de vulnérabilités qui fait que si on est gay, si on est précaire et qu’on a accès à moins d’information et moins de soins, fatalement on a plus de chances d’être infecté. Tout cela fait que bon nombre de représentations sur les porteurs du VIH persistent ce qui peut leur rendre la vie dure.

Ainsi si le VIH est une infection chronique qui se gère par un traitement qui permet de vivre même longtemps et en bonne santé, on se retrouve dans une situation où les personnes séropositives n’ont par exemple pas le même accès au crédit, que ce soit pour un projet professionnel ou personnel, que les personnes non infectées. Les assurances continuent de considérer qu’une personne séropositive risque de mourir à tout moment. A l’inverse, avoir le diabète par exemple ne représente pas un souci majeur pour emprunter. Il y’a même des métiers encore inaccessibles aux porteurs du VIH. Je parle des métiers régaliens comme ceux de la police ou l’armée. Pendant longtemps, l’école Polytechnique fermait ses portes aux porteurs du VIH (ce qui n’est plus le cas maintenant, heureusement).  

Les porteurs du VIH peuvent encore être victimes de certaines représentations sociales qui leur collent à la peau. Mais est-ce que les personnes infectées elles-mêmes se perçoivent comme des personnes qu’il est risqué de fréquenter  ?

Cela a changé. On a des témoignages de personnes qui refusaient d’avoir des rapports sexuels avec qui que ce soit, même protégés, de peur de transmettre l’infection à leur partenaire. Mais aujourd’hui, la preuve de l’efficacité des traitements proposés est telle que les gens finissent par comprendre et accepter qu’avoir une charge virale indétectable revient à ne plus risquer de transmettre le VIH à personne. Malheureusement, on a beau communiqué sur ce message il est tellement fort qu’il n’est parfois pas cru par tous. En tout cas, même si les personnes séropositives savent qu’elles ne peuvent plus transmettre le VIH lorsqu’elles sont traitées, elles ont tellement peur du rejet affectif et sexuel qu’elles préfèrent ne pas le dire. Sur Grindr par exemple, il sera plus facile pour quelqu’un de dire qu’elle a un statut sérologique négatif et qu’elle est sous PrEP que de dire qu’elle porte le VIH mais qu’elle ne peut pas le transmettre. Ça fait plus «  clean  ». Ce mot «  clean  » d’ailleurs qui est souvent employé sur les sites de rencontres est évocateur, il montre que certaines personnes continuent de penser que la séropositivité et la séronégativité, c’est une question d’hygiène. 

L’accompagnement et le traitement des personnes séropositives sont cruciaux. Ils permettent à la fois de canaliser le virus, de protéger la santé des personnes atteintes et de les aider à vivre avec. Mais une question que l’on peut se poser est de savoir s’il existe des disparités territoriales dans l’accompagnement et le traitement des personnes atteintes. Est-ce la même chose d’avoir le VIH dans une grande ville qu’en campagne  ?

Il y’a un service d’infectiologie dans tous les CHU, donc une prise en charge du VIH. Mais pas dans tous les centres hospitaliers de France, il faut bien l’admettre. Certains médecins généralistes se forment aux questions relatives au VIH et heureusement. Mais on ne va pas se mentir, c’est plus facile d’avoir accès à un accompagnement spécifique dans les grandes villes comme Paris, Lyon, Marseille, mais aussi Nice ou Strasbourg que dans les petites villes ou en campagne. A Paris par exemple, on trouve des centres qui sont dédiés à cet accompagnement. C’est souvent un accompagnement médical et psychologique. Je pense qu’il faut donc distinguer le besoin d’un accompagnement médical spécialisé éprouvé par certaines personnes et le besoin d’un accompagnement communautaire qu’ils vont trouver dans les associations, comme AIDES typiquement. Et dans ce cas-là, les réseaux d’associations sont plus denses en ville qu’en campagne.

Finalement peut-on espérer mener une vie de qualité avec le VIH en 2019  ?

Cela dépend des personnes. Certaines personnes réagissent mieux que d’autres au traitement. Certaines personnes peuvent même le prendre moins souvent tellement c’est efficace. D’autres personnes se sont dépistées trop tard et des infections opportunes sont déjà là.

Sur le plan affectif et personnel, être capable de dire à son entourage qu’on est porteur du VIH peut rester très difficile pour certaines personnes, on en a parlé. J’insiste vraiment sur le fait que pendant longtemps j’ai cru que le message très positif sur les traitements et l’indétectabilité était entendu et compris par le plus grand nombre, mais force est de constater que ce n’est pas tout à fait le cas et qu’il y a encore un travail de diffusion et de communication à faire.

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