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« Elephant Man » – Bête et Belle de foire

Un duo JoeyStarr/ Béatrice Dalle annoncé comme le plus excitant de la rentrée, voire de l’année, dirigé par David Bobée, grand metteur en scène contemporain. Elephant Man respire la sincérité, or le résultat est une déception bien trop raisonnable, un feu étouffé qui aurait du enflammer les Folies Bergère.

Approchez mesdames et messieurs, le célèbre Elephant Man mis en scène pour la première fois en France, sous la direction de David Bobée. Les Folies Bergère accueille jusqu’au 20 octobre le mythe populaire, l’histoire de Joseph (John) Merick : l’homme éléphant. Ce « monstre » vivait sous l’ère victorienne en Angleterre. Sa tête difforme, son corps déformé, son extrême sensibilité intellectuelle et la relation qu’il entretint avec le chirurgien Frederick Treeves – qui tenta de lui rendre une dignité humaine tout en étudiant son unique pathologie – inspirent déjà les artistes depuis quelques décennies. En 1977, le dramaturge américain, Bernard Pomerance en écrit une pièce où l’acteur interprétant Elephant Man ne doit porter ni grimage, ni masque. The Elephant Man est monté pour la seconde fois à Broadway en 1980 avec dans le rôle-titre, nul autre que David Bowie. La même année, David Lynch réalise un film du même nom mais adapté de la véritable histoire et non de la pièce de théâtre. Aucun français ne s’y était encore confronté. 

David Bobée, à la tête du CDN Normandie-Rouen, amateur de pluridisciplinarité (danses variées, cirque, textes classiques ou contemporains, chants) et de diversité scénique (professionnels ou amateurs, acteur.rices aux différentes origines et accents, mixité, marginalité) était une évidence pour porter sur la scène le conte voyeuriste de l’homme éléphant. Et qui d’autres que Didier Morville plus connu sous le nom de JoeyStarr, le jeune rappeur banlieusard d’NTM devenu un acteur aimé du cinéma français, qui a expérimenté le changement de regard des autres sur lui. Un monstre médiatique connu de tous les milieux depuis les années 1990 ; sa brutalité et ses origines antillaises pour rappeler le racisme et le colonialisme soulevé dans le texte de Pomerance. À ses côtés, son ex-compagne (dix ans de vie commune), l’actrice sex symbole des eighties depuis son rôle de Betty dans 37°2 le matinde Jean-Jacques Beneix, célèbre provocatrice au physique hors normes  : Béatrice Dalle. La comédienne retrouve David Bobée qui l’avait sublimée en tragédienne dans Lucrèce Borgia en 2015. Une promesse de spectacle monstrueuse, irrévérencieuse, insolente.  

Phénomène de communication

Sur scène, David Bobée excelle comme toujours dans sa vision du plateau, et la mise en espace de ses comédiens. Le rideau rouge du théâtre couvre la scène comme unique teinte colorée des près de trois heures de spectacle. Une fois tombé, apparait un laboratoire/ chambre de l’homme éléphant  : hauteur de plafond considérable, carreaux anciennement blancs garnis de moisissure, un soubassement amianté comme un lieu où se réfugie le jeune homme près des cauchemars ténébreux toujours observé de haut, surplombé par les autres personnages observant la bête de foire de leur piédestal de «  normalité  », derrière une vitre ou dans l’embrassure d’une porte. Ce décor clinique est agrémenté – pour seuls meubles -d’une table de chirurgien, d’une baignoire, de deux lavabos surmontés de miroirs destinés à être brisés. Un espace physique, dans lequel il faut laver le monstre de son physique «  inhumain  », et mental, reflet de sa psychologie, lieu où son esprit va se révéler brillant, poétique, amateur de littérature et grand romantique. La vidéo projetée du visage de JoeyStarr déformé lui donnant l’aspect du véritable visage de Joseph Merick, un questionnement très actuel sur l’image de soi et le rapport au regard des autres. 

Arnaud Bertereau

En dépit de ces qualités évidentes, d’un projet sincère que chacun souhaite porter le mieux qu’il le peut, la magie d’Elephant Man n’opère que partiellement. Les deux têtes d’affiches si provocatrices dans leur vie publique ne parviennent pas à jouer ensemble. Si JoeyStarr malgré quelques écarts de justesse est effectivement pertinent dans son rôle, Béatrice Dalle celui de Madame Kendall, une actrice célèbre – entre en scène très tardivement dans le spectacle -déclame avec une voix blanche des «  Mon amour  » dans lesquels nulle passion amoureuse ne l’anime. Quelle déception d’un duo incandescent n’apparaissant jamais, comme un calcul de communiquant plaçant ses espoirs dans ces têtes d’affiches sublimées par l’affiche de la pièce. L’inconstance des seconds rôles – notamment Michael Cohen, rarement crédible, dont sa voix à lui ne donne pas non plus de corps au personnage de Ross, forain violent – est vaillamment rattrapée par l’excellent Christophe Grégoire donnant parfaitement le texte à entendre tout en étant dans la générosité envers les autres comédiens et les spectateurs. Or, un autre immense acteur est pourtant né sur ce plateau  : Luc Bruyère, jeune mannequin charismatique, au bras manquant. De sa voix particulière, sa manière de se mouvoir, sa présence à elle seule, le discours de son particulier personnage sur la normalité, un véritable instant de théâtre. Longue carrière à lui  ! 

Informations Pratiques : Elephant Man de David Bobée aux Folie Bergères. Jusqu’au 20 octobre 2019.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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