CINÉMA

« Banlieusards » – Un autoportrait incisif des banlieues françaises

© Netflix

Banlieusards, c’est le nom du premier long-métrage produit et scénarisé par le rappeur Kery James, réalisé par Leïla Sy. Portrait subtil de la vie des habitants de la région suburbaine de Paris, le musicien réussit l’exploit de narrer des quotidiens difficiles sans misérabilisme. Cela, pour mieux se focaliser sur des questions telles que l’auto-détermination des jeunes issus de l’immigration. 

Pourtant produit en 2016, le long-métrage ne paraît qu’en octobre 2019 sur la plateforme du géant Netflix. En interview, Kery James, producteur, scénariste et acteur de Banlieusards ne cache pas le fait qu’il s’agit pour lui d’une défaite. Il aurait souhaité voir le film projeté en salles. C’est d’ailleurs la raison de la tournée d’une pièce de théâtre : faire la promotion de son film à la suite des premiers refus essuyés. Finalement, il considère que si le film n’a pas été accepté en salle, c’est parce que son producteur et réalisateur, c’est à dire lui-même, est noir. Sa couleur de peau, ou bien la teneur des thématiques abordées dans le film, quelque chose a dérangé au point que le film a été refusé sur les grands écrans.

Respecté de par sa success story musicale, Kery James fait partie des « anciens » du rap français : rappeur engagé et conscient, il est considéré comme un monument de la culture urbaine. Pourtant, ses textes n’ont pas toujours fait l’unanimité. Dans chacune de ses productions musicales, il exhorte son public à se prendre en main, à tout faire pour sortir des ghettos français. Tel un self made man, version banlieues : « Je veux pas brûler des voitures je veux en construire puis en vendre » (Banlieusards – A l’ombre du show Business, 2008). Cependant, il ne remet pas en question la responsabilité du gouvernement français face à la misère de la France d’en bas, la France des oubliés et des immigrés. Il fait le constat lucide que ce n’est pas grâce à l’Etat que les choses s’amélioreront dans les banlieues. Cette réflexion est la pierre d’achoppement du film Banlieusards.

Soulaymaan et sa mère, dans le film Banlieusards. © Netflix

Trois frères vivent avec leur mère en banlieue parisienne. L’aîné est joué par Kery James. Il ne s’agit pas du personnage principal, ce qui est rafraîchissant, dans un film ou celui-ci est déjà au scénario ainsi qu’à la production. Il joue le rôle d’un caïd torturé, exclu de sa famille. Ce n’est pas lui qui mènera les réflexions sur la condition d’immigré ghettoÏsé tout au long du métrage, mais son frère. En études de droit il se destine à devenir avocat, et prépare une joute verbale autour de la question « L’État est-il seul responsable de la situation actuelle des banlieues en France ? » Il est à la négative. Le plus jeune des frères est au collège et prépare le brevet entre mille et une bêtises.

Si Kery James manque un peu de conviction au début du film, il se reprend bien vite, et les deux acteurs jouant ses frères livrent une très bonne performance. (Jammey Diangana et Bakary Diombera)

Dès la scène d’exposition le métrage trace une ligne entre ce qu’il tend à exprimer et l’habituelle manière qu’ont les scénaristes français de traiter des banlieues. Dans une petite salle de bain confinée d’appartement étroit, là où Vincent Cassel s’entraîne à donner des coups en hurlant « C’est à moi que tu parles enculé » dans La Haine (Mathieu Kassovitz – 1995), Soulaymaan fait son noeud de cravate, et s’entraîne à dire bonjour.

Il est essentiel de se dire dès le départ que ce film ne s’adresse pas vraiment au public d’Entre les murs ou La Tête haute par exemple  (Laurent Cantet – 2008 et Emmanuelle Bercot – 2015). C’est peut-être pour cela qu’il ne s’embarasse pas de cadrages extraordinaires, d’un scénario rocambolesque. Ce film est à destination des banlieusards, pas du public curieux de savoir ce qui se passe dans les banlieues par des angles originaux et subjectifs. On y aborde pas de professeurs sous Prozac, d’assistants sociaux héroïques ou d’éduc’ spé’ au grand coeur. Ce n’est ni un film inutilement tire-larmes, ni clamant l’héroïsme que cela représente de défendre l’anti-racisme en France. Non, la violence de classe est entière et accablante, et les aides extérieures inexistantes. 

Kery James, jouant le rôle du frère aîné. © Netflix

L’art oratoire est mis en scène de manière rafraîchissante. On ne daigne pas donner une place dans un concours oratoire à Soulaymaan, il n’y a pas de coach de la France d’en haut qui s’éternise tout du long à clamer « vous pouvez y arriver » à des jeunes défavorisés. Soulaymaan mérite sa place au concours, et le prépare seul, avec sa volonté. Il joute face à une jeune fille privilégiée, issue du cinquième arrondissement, qui est son égale. Et il répond avec grande dignité lorsque la jeune fille entame le discours entendu victimisant les jeunes de banlieues et réduisant leur condition à la seule conséquence d’une ingérence étatique.

Kery James donne du cran, du coeur, des tripes à la banlieue. Là où habituellement, un acteur extérieur joue toujours le rôle du sauveur, la part belle est donnée aux solidarités, à la famille, au pardon. Certes parfois, le long-métrage donne le sentiment d’être cousu de fil rouge, et l’on présume de la fin comme on présume d’un danger imminent dans la vie réelle. Le film ne surprend pas. Cependant, la vie nous surprend-elle beaucoup ? Cette oeuvre n’est pas une immersion sensorielle dans un autre monde, ou un divertissement du coeur pour éprouver nos empathies. C’est un film politique, à message, pour réfléchir la société française sous d’autres prismes.

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