©Editions OneWorld Publications
Première traduction française pour l’autrice atlantienne Tayari Jones, Un mariage américain nous plonge dans le quotidien d’un couple afro-américain. Un quotidien rapidement bouleversé par une erreur judiciaire qui condamnera Roy, l’époux, à quinze ans de prison.
Présenté par Barack Obama comme un de ses romans préférés de l’année 2018, Un mariage américain a crée l’événement aux États-Unis. Pour couronner le tout, son autrice, Tayari Jones, a reçu le Women’s Prize of Fiction 2019. Voilà un livre de la rentrée littéraire qui devrait intriguer les amateurs de romans américains.
Un roman choral réaliste
Le diable est dans le détail, dit-on. Tayari Jones semble l’avoir saisi puisqu’elle nous offre, avec Un mariage américain, un récit bouleversant de réalisme où chaque détail n’est pas dénué de sens. Au fil des chapitres, des éléments, jusqu’ici anodins, s’expliquent par les voix des multiples protagonistes. Successivement, Roy, Celestial, puis Andre, nous donnent leur point de vue sur la situation qui est la leur et mettent leurs âmes à nu. Si une seule et même anecdote revient à plusieurs reprise, ce n’est pas sans intérêt pour l’avancée de l’histoire puisqu’à chaque nouvelle évocation, un détail supplémentaire nous permet de mieux comprendre le point de vue et le ressenti de chacun. A la fois roman choral et roman psychologique, Un mariage américain nous conte, avec beaucoup de justesse, la vie d’un couple marié. Tiraillé entre deux personnages, dont on comprend les propos, les objectifs et les réflexions, Tayari Jones nous montre la complexité de la vie de couple, « tapisserie fragile », surtout lorsqu’elle implique une incarcération. Une complexité qui va au-delà des murs de la prison, à la libération.
Un drame contemporain
A la limite de la tragédie contemporaine, Un mariage américain est un drame porteur d’une pluralité de messages forts. Dès les débuts de l’ouvrage, l’autrice nous fait ressentir le poids du destin inéluctable qui pèse sur les frêles épaules de ses personnages. Au cours de son roman, elle aborde la question de la trahison, de l’oubli mais nous questionne, avant tout, sur le quotidien des descendants d’esclaves au pays de l’Oncle Sam. Accusés à tort, victimes de ce que le père de Roy nomme « l’AmériKKKe », ces Noirs-Américains, dont regorgent les prisons, voient leurs rêves d’ascension sociale se briser. L’autrice nous fait à la fois le récit d’une Amérique noire parvenue, à travers la famille de Celestial, mais également celui d’une Amérique noire meurtrie, à travers celle de Roy. Son seul tort aura été d’incarner « le type de la mauvaise couleur au mauvais endroit au mauvais moment. »
Ce qu’est être père
Mais à travers ce roman, Tayari Jones met également sous le feu des projecteurs les questionnements de ces Noirs-Américains : doit-on élever nos enfants dans le souvenir des souffrances passées de nos aïeuls ? Doit-on expliquer à nos enfants qu’ils seront irrémédiablement jugés coupables de fautes qu’ils n’ont pas commises ? Doit-on céder au déterminisme ? Un mariage américain c’est aussi un roman sur la parentalité. Tout au long du roman, l’autrice met en exergue la thématique de l’éducation et de l’héritage, qu’il soit culturel ou social. Père-absent, père-aimant, père-inconnu, nos protagonistes masculins sont « le jouet des caprices de tous ces pères » et se questionnent, eux-même, sur la manière de donner à leurs propres enfants une meilleure éducation, de « [mettre] à jour [le] logiciel d’éducation ». Malgré sa volonté d’être « lié à perpétuité » à Celestial par la naissance d’un enfant, Roy verra ses espoirs déçus : la perpétuité n’existe qu’en prison.
Dans un roman d’une intimité folle où règne une ambiance lourde de secrets, Tayari Jones nous narre l’histoire de deux arbres généalogiques aux embranchements complexes. Deux arbres d’une fragilité jusqu’ici insoupçonnée. Grâce à ce livre, l’autrice fait le procès de la justice américaine. Un procès auquel nos protagonistes assistent en tant que témoins et victimes collatérales. Un roman contemporain, cousu de fil blanc, à ne surtout pas manquer.