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La réforme de la PMA, en particulier son ouverture à toutes les femmes (couples de lesbiennes et femmes célibataires), est le principal chantier sociétal du quinquennat, et il s’ouvre à la rentrée ! L’enjeu majeur est de distinguer les origines biologiques et la filiation. Alors que cette évolution s’inscrit dans la continuité du Mariage pour tous, le gouvernement entend bien en faire une mesure consensuelle et dépolitisée pour ne pas revivre l’épisode de 2012.
La PMA pour toutes : une réforme très attendue
En France, le débat sur le mariage homosexuel s’était particulièrement focalisé sur la question de la reproduction et de la filiation. L’orientation de la Manif pour tous était en effet très familialiste, avec le fameux slogan « Un papa, une maman ». Sur ce sujet, les opposants l’avaient emporté puisque la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes n’avait finalement pas été incluse dans le projet de loi sur le mariage homosexuel.
Depuis 2012, la loi française relative à l’homoparentalité est donc très paradoxale puisqu’elle reconnait le droit à la parentalité conjointe des couples homosexuels sur un enfant mais ne prévoit pas la façon dont ces couples pourraient le concevoir. De nombreux acteurs (magistrats, associations de parents homos) jugent ce droit incomplet et hypocrite : il incite les couples homosexuels à recourir à une PMA ou une GPA à l’étranger (ce qui a un coût important) et à faire reconnaître ensuite la situation issue de pratiques illégales en France.
La situation juridique actuelle contraint à l’adoption de l’enfant par le parent non biologique. L’établissement des deux autorités parentales n’est donc pas préalable (et donc valable dès la naissance) comme elle le sera si le projet de loi sur la PMA est adopté. Il existe un temps de latence où l’enfant n’a qu’un seul parent reconnu, ce qui précarise sa situation juridique, notamment dans le cas où un parent décède ou si les parents se séparent.
La PMA pour toutes les femmes est donc très attendue. Prolongement logique du mariage pour tous, elle est depuis longtemps promise et repoussée. Aujourd’hui, alors que 60 % des Français y sont favorables selon un sondage récent de La Croix, le gouvernement est déterminé à faire voter cette mesure au sein du projet de révision des lois de bioéthique (qui aborde aussi d’autres sujets). Passé en conseil des ministres cet été et débattu actuellement au sein d’une commission spéciale de l’Assemblée Nationale, ce projet de loi sera présenté le 24 septembre aux parlementaires.
La réforme ouvre la PMA à toutes les femmes et prévoit son remboursement par la sécurité sociale comme pour les couples hétérosexuels. Si le traitement est égalitaire en matière de protection sociale, un régime particulier est cependant prévu sur le plan juridique, ce qui est considéré discriminant par les associations LGBT et homoparentales. Les couples de femmes devront en effet effectuer une déclaration anticipée devant notaire qui apparaitra dans les actes de l’état civil de l’enfant, contrairement aux couples hétérosexuels pour lesquels la filiation s’établira automatiquement. Un changement majeur est également prévu pour toutes les PMA : la levée partielle de l’anonymat des donneurs, permettant à l’enfant, à sa majorité, de connaître l’identité du donneur.
Une distinction entre les origines et la filiation encore incomplète
La PMA pour toutes est un jalon d’une véritable révolution : la distinction entre les origines de l’enfant et sa filiation. Les origines représentent la dimension physique de l’engendrement (le patrimoine génétique) tandis que la filiation recoupe toutes les autres dimensions de la procréation : ce sont les dimensions « psychique, mentale, affective, intentionnelle et même institutionnelle qui accordent sens et valeur au sein du monde humain » (Irène Théry, dans Mariage et filiation pour tous. Une métamorphose inachevée).
Cette distinction existe depuis toujours de fait, avec les enfants issus d’un autre père que le père du couple, avec les enfants adoptés, et depuis 1994, les enfants nés de PMA… Cependant, le modèle dominant et normatif était le couple parental qui engendre l’enfant en transmettant chacun une partie de son patrimoine génétique. Cela amenait de nombreux couples recourant à la PMA ou à l’adoption à le cacher à leur enfant. La loi facilite encore aujourd’hui ces pratiques puisque les dons de gamètes sont anonymisés et que le recours au don n’est pas signalé sur l’acte de naissance. La PMA pour les couples hétérosexuels n’est pas conçue comme une façon de séparer engendrement et filiation mais comme une thérapie destinée à soigner l’infertilité et obtenir une procréation, dans l’idée de préserver la vraisemblance de l’accouplement hétérosexuel procréatif. « Aujourd’hui, le droit français de la PMA est entièrement conçu pour masquer le don et faire passer le parent stérile pour le géniteur. » explique Irène Théry.
Si l’extension de la PMA trouble autant, c’est donc peut-être parce qu’elle radicalise la portée de la PMA et change son sens, y compris pour les couples hétérosexuels. Avec la PMA pour les lesbiennes ou les femmes célibataires, impossible de se cacher d’une PMA avec le don de gamètes. La PMA ne peut plus passer pour une thérapie de l’infertilité (elle ne soigne pas l’infertilité du père) mais s’identifie clairement comme ce qu’elle est depuis le début : un arrangement social pour qu’un couple puisse engendrer un enfant grâce au don d’une tierce personne.
Le malaise lié à cette distinction entre origines et filiation est refoulé sur les couples de femmes puisqu’uniquement leurs enfants verront le moyen de procréation inscrit dans l’état civil. Les lesbiennes sont pourtant les seules à l’abris de toute confusion, l’enfant ne pouvant rester longtemps dupe de la façon dont il a été conçu. Le gouvernement suit la proposition du Conseil d’État de conserver pour les couples hétérosexuels la possibilité actuelle de révéler ou de ne pas révéler à l’enfant son mode de conception. Une façon de préserver l’idée que la famille c’est une mère et un père.
« On devrait s’interroger sur le caractère problématique des montages mensongers. Or non seulement on ne le fait pas mais on retourne l’accusation contre les homosexuels, les seuls couples qui ne sont jamais tentés de dissimuler à l’enfant son mode de conception. C’est un mécanisme bien connu de purification collective : la désignation d’un bouc-émissaire. »
Irène Théry, dans Mariage et filiation pour tous. Une métamorphose inachevée. 2016
Quelles oppositions au projet de loi ?
Le gouvernement entend faire passer la réforme sans trop de vagues. Cela pourrait expliquer son inscription dans le projet de révision des lois de bioéthique plutôt que de le présenter indépendamment. Elle se veut une simple évolution du droit suivant les moeurs et les mentalités, et non pas un « marqueur politique » comme l’a été le mariage pour tous. La loi devrait de fait passer sans trop de difficultés.
Symbolique de la démission de la droite sur le sujet, les Républicains seront libre de voter en conscience et il émerge déjà une vingtaine de députés LR favorables à la PMA. La Manif pour tous appelle à une manifestation nationale le 9 octobre mais Christine Boutin, figure centrale en 2012/2013 a annoncé, dans un entretien pour le Point le 23 août, que le combat était perdu : « la PMA se fera ». Alors que la PMA était une question centrale dans les manifestations contre le mariage pour les couples homosexuels, on n’attend pas d’opposition très importante cette fois-ci.
Mais les débats devraient tout de même être agités, car la réforme est loin de faire consensus. Elle laisse particulièrement insatisfaites les associations LBGTQI+ qui dénoncent le caractère discriminatoire et stigmatisant de la voie d’établissement de la filiation spécifique aux couples de femmes. « Cela aura pour conséquence la sortie des couples de femmes du droit commun de la filiation. » regrette Marie-Claude Picardat, coprésidente de l’Association des parents gays et lesbiens (APGL).
Pour la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, cette spécificité serait justifiée par la nécessité de garantir une vraisemblance biologique dans l’inscription de la filiation. Mais pour les associations, rien ne justifie de lier autant la biologie et la filiation. Cela ne ferait que sauvegarder une hiérarchie qui pose comme référence « le couple cis-hétérosexuel ayant recours à la procréation par relation sexuelle », explique Gwen Fauchois, ancienne vice-présidente d’Act Up-Paris dans une tribune pour Libération. Elle poursuit : « En réalité, cela ne vise qu’à marquer symboliquement et fortement la participation masculine à tout processus reproductif. »