Treize à la douzaine ; c’est en grande pompe que nous avons accueilli cette rentrée musicale, avec une sélection de disques plus ou moins attendus, plus ou moins réussis, mais toujours intéressants.
Iggy Pop – Free
« I wanna be free » : c’est sur ces mots que s’ouvre le nouvel album solo du célèbre iguane aux milles vies musicales. Après son aventure californienne en compagnie de Josh Homme (Post Pop Depression) et sa parenthèse électronique avec Underworld (Teatime Dub Encounters), James Osterberg semble revenir à son premier amour confidentiel : le jazz. Résolument moderne, ne s’interdisant pas un certain côté éthéré guidé par de grandes nappes synthétiques (Free) ou cuivrées (Dirty Sanchez, Page), l’âme du punk devenu quasi crooner semble au cœur de ces dix titres sobres et intimistes. A la fois méditatifs, habités et mélancoliques, ils donnent accès à une facette plus introspective et apaisée d’Iggy Pop, où même les rares percées électriques (Loves Missing) sont synonymes de recueillement. Mais au delà de ses sonorités audacieuses, c’est plus que tout la voix, intense et pénétrante, qui fascine à travers ce disque en forme de libération esthétique, agrémentée par les textes des regrettés Lou Reed (We Are The People) et Dylan Thomas (Do Not Go Gentle Into That Good Night). Un album presque testamentaire, aux liens évidents avec le Blackstar de David Bowie, du saxophone crépusculaire (ici trompette) aux phrasés prophétiques en passant par son efficace concision (33 minutes au total). Voguant ainsi entre différents états d’âmes, univers et influences, Iggy Pop semble, en 2019, plus proche de lui-même que jamais.
Coups de cœur : Loves Missing, Sonali, Glow In The Dark, Page, We Are The People
Sortie le 6 septembre
Camille Tardieux
Lana Del Rey – Norman Fucking Rockwell !
Aurait-elle pu sortir ce disque à un meilleur moment ? Après un été brûlant et à l’aune d’un automne qui s’est presque fait attendre, Norman Fucking Rockwell ! sonne comme une porte d’entrée vers un entre-deux infini : celui de la fin des vacances, des plages désertées, des amis salués, des amours sans lendemains, et le souvenir des aventures que, pour une fois, on aurait voulu poursuivre. Mélancolique et nonchalante, Lana Del Rey fait ce qu’elle sait faire, et elle le fait très bien, aidée en cela à la production par Jack Antonoff (Taylor Swift, Charli XCX). Mais pas question de mélancolie pour la mélancolie : Lana Del Rey raconte comment nostalgie du rêve américain et modernité s’entrechoquent, sous le soleil enivrant de la Californie, où la New-Yorkaise vit depuis la sortie de son premier album. Jusqu’au titre de l’album, nom détourné de Norman Roswell, dessinateur de l’Amérique heureuse des années 50-60. Des mots doux presque à l’eau de rose à la vulgarité, de l’amour complet aux claques que l’on prend dans la gueule à cause de lui, de l’Amérique éternelle à son dépouillement en cours, Lana Del Rey explose, en faisant, comme toujours, parfois trop. C’est sans sortir de sa zone de confort et de ses thèmes de prédilection que la diva offre un album de haute volée. Mais attention, la recette ne marchera peut être pas toujours.
Coups de cœur : Norman Fucking Rockwell, Venice Bitch, Love song
Sortie le 30 août
Kevin Dufrêche
L’Epée – Diabolique
On connaissait le rock aérien des Limiñanas. On connaissait aussi le rock impétueux d’Anton Newcombe avec The Brian Jonestown Massacre. Et enfin, on connaissait l’actrice Emmanuelle Seigner. L’Épée, c’est tout ça. L’Épée, c’est un peu cette analogie entre la cuisine et la musique qui est qu’avec de bons ingrédients, c’est difficile de faire de la merde. Et il se trouve qu’on en a d’excellents ici. A ceci près qu’on a quand même un peu la sensation d’avoir à faire à un Liminañas bis, jusqu’à ce que le crossover tant attendu se mette en marche et que la magie d’Anton vienne nous frapper de plein fouet (Une lune étrange) ou que la voix flottante d’Emmanuelle ne provoque chez nos sens ce qu’on appelle communément et simplement ; un frisson.
Coups de coeur : Une lune étrange, Springflied 61
Sortie le 6 septembre
Guillaume Lacoste
Clio – Déjà Venise
“Je tombe amoureuse sitôt qu’on me touche, c’est de l’encre pour mes cartouches” nous confie la chanteuse parisienne dans sa déclaration à l’amour Amoureuse. Sans amour, il n’y aura sans doute pas de Clio, et sans Clio, il n’y aurait sans doute pas d’amour, la preuve avec son deuxième opus Déjà Venise paru fin août. Nous avions découvert son univers rétro où elle dessinait avec sa voix des scènes de vie poétiques entre dérision et romantisme averti à travers son premier album Clio (2016), pour ce deuxième volet, elle opte pour un virage électronique sans perdre une once de sensibilité et de romantisme. En onze titres, elle déroule le film de son histoire d’amour qui se liquéfie de jours en jours, la décortique entre chanté et phrasé, une poésie tendre, parfois amère qui console et fait pleurer. Petit coup de foudre pour la reprise française du morceau culte de Jeannette Porque Te Vas. On navigue sur Déjà Venise comme on naviguerait sur le Grand Canal vénitien, pagaies en mains pour ramer, s’en sortir vivant, sans se noyer dans les eaux troubles de l’amour.
Coups de cœur : Romy. S, Amoureuse, Sur les horodateurs, Porque Te Vas.
Sortie le 30 août
Pauline Pitrou
Oxmo Puccino – La Nuit du Réveil
Ce vendredi Oxmo Puccino a sorti son dernier album solo, La nuit du réveil. Pour son retour sur la scène hip-hop, Oxmo s’est essayé au « rap d’aujourd’hui » en nous proposant un album à mi-chemin entre « ancienne » et « nouvelle » école. Cependant, cette décision fut peut-être un peu trop ambitieuse. Pour certains morceaux tels que Social club en featuring avec Caballero & JeanJass, ou Ma life accompagné d’Orelsan, c’est un pari réussi. Mais d’autres titres se voulant dans cette mouvance actuelle, en particulier le morceau Ali baba, ne collent pas du tout. Ce qui décrédibilise le projet, tout en faisant du tord aux autres morceaux et à sa plume d’habitude si poétique. Cependant, d’autres titres tels que Le droit de chanter, Le nombril ou Horizon sensuel parviennent à montrer Oxmo sous son vrai jour. Malgré cet essai à la trap peu concluant, sa poésie demeure, et c’est ce qui compte le plus.
Coups de cœur : Ma life, Le nombril
Sortie le 6 septembre
Tristan Pilloix
Whitney – Forever Turned Around
Avec la rentrée arrive Whitney et ses voix apaisées et indulgentes appelant à la quiétude. C’est dans une folk informelle bien plus affirmée mais toujours mélancolique que Forever Turned Around, le second album du duo américain, s’offre à nous. Si Light Upon the Lake possédait une dimension résolument inde bien ancrée dans son temps, le ton est ici plus langoureux appelant sans concession des genres comme la country qui ne transparaissait pas tout autant auparavant. Quoi qu’il en soit, la formation des deux anciens de Smith Westerns, Julien Ehrlich et Max Kakacek, sait toujours aussi bien accorder ses paroles axées comme des implorations parfois troublantes, et cette musique sobre au rythme plus léger. Forever Turned Around est donc une bonne surprise dénuée de prise de risque édifiante, mais le plaisir de l’écoute demeure.
Coups de cœur : Song For Ty, Used To Be Lonely
Sortie le 30 août
Caroline Fauvel
Caravan Palace – Chronologic
On ne les attendait plus trop mais les revoilà. Quatre ans après Lone Digger, Caravan Palace revient avec un nouvel album, Chronologic. Déjà emprunté par le changement sur le précédent, on sent que ce nouvel opus fait office d’essai transformé, tant les gimmicks swing se font rares et les virages artistiques sont nombreux. Du RNB sur Melancolia aux gros drops ambiance Flume sur Leena en passant par un cocktail (plus ou moins intéressant) reggaeton-zumba sur Plume, les parisiens tentent le coup de bluff, en ne signant que quelques titres de leur tonalité habituelle, mais qui ressemblent davantage à des interludes qu’autre chose et qui font nous demander à quoi ressemblera le suivant tant le collectif perd en cohérence sur celui-ci.
Coups de cœur : Aucun.
Sortie le 30 août
Guillaume Lacoste
Las Aves – I’ll Never Give Up on Love Until I Can Put A Name On It
A l’aube des nouvelles technologies, les relations amoureuses se transforment, se développent derrière des écrans noirs jusqu’à devenir parfois irréelles. Après Die In Shanghai (2016), un premier album puissant et futuriste, les oiseaux bizarroïdes de Las Aves reviennent avec I’ll Never Give Up on Love Until Put A Name On It produit par Krampf (Hyacinthe, Oklou) et Geoff Swan (Grimes, Charli XCX). Un opus vibrant où les petits protégés de Dan Levy (The Do) expérimentent les sonorités complexes tout en posant un regard moderne sur la société et sur l’amour. Un album pop toujours plus recherché qui s’ouvre sur le très décalé You Need A Dog et qui continue sur des morceaux mélancoliques (A Change Of Heart, Baby), à la frontière du raggaeton (Latin Lover) ou encore robotique et sublime à l’image de Thank You qui clôture le disque. Un ensemble où la musique urbaine prédomine, pour conter un amour 3.0, le refuge parfait pour sécher ses larmes et se remettre de sa chute. Ce qui est sûr, c’est que de notre côté, on peut poser un nom sur l’amour : il s’appelle Las Aves.
Coups de cœur : A Change Of Heart, Worth It, Where Did You Go
Sortie le 30 août
Pauline Pitrou
The Slow Show – Lust and Learn
Après une majestueuse ouverture (Amend), le timbre de voix qui transperce cette musique en suspend surprend dès son arrivée sur Eye to Eye. Un équilibre exemplaire au départ, qui perd malheureusement un peu vite son attrait, sauvé par des chœurs synthético-angéliques (Low, Hard to Hide), de fins arrangements orchestraux et un certain lyrisme romantique. Romanesque, ce troisième album l’est tout en restant pourtant sur la défensive, préférant jouer la sécurité d’harmonies bien sages, voire sans reliefs ; et ce qui aurait pu être un enfant caché de Sigur Ros se mute alors en ersatz des plus conventionnels The National. Mais c’est étrangement dans ses interludes que Slow Show atteint des sommets (le sublime Breath:Air), dessinant alors des territoires proches des grands espaces permis par la musique de film. Car, même en demi-teinte, avec ou sans images, The Slow Show s’impose peu à peu dans notre esprit comme la révélation soft rock la plus intrigante depuis Cigarette After Sex.
Coups de cœur : Amend, Breath:Air
Sortie le 30 août
Camille Tardieux
Kindness – Something Like A War
Projet solo et inclusif du britannique Adam Bainbridge, Kindness dévoile son troisième album, Something Like A War, après avoir œuvré en tant que DJ et producteur notamment sur les albums de Solange, Robyn ou encore Blood Orange. Il s’inscrit ainsi dans une lignée géniale de producteurs qui conduit attentivement ses compositions, n’hésitant pas à s’affranchir des limites trop établies de la pop music. Dans cette création ambivalente, Kindness joue sur tous les tableaux alliant à la fois de la synth pop enivrante mais aussi un rnb plus affirmé sur la fin de l’album, comme en témoigne le morceau éponyme. En parallèle, des morceaux comme Raise Up ou Lost Whithout – en featuring avec la chanteuse Seinabo Sei- ont des allures de tubes intimistes. Car la force de cet album réside indéniablement sur des collaborations recherchées (Robyn, Cosima, Nadia Nair…) qui se fondent pourtant toutes ici dans l’ensemble très homogène et linéaire que constitue cet album.
Coups de cœur : Raise Up, Call It Down
Sortie le 6 septembre
Caroline Fauvel
Eric Legnini – Six Strings Under
Assez méconnu, celui qui fût pianiste pour Claude Nougaro ou Ibrahim Maalouf livre un nouvel album (le quatorzième en près de 30 ans) en forme de déclaration d’amour à un autre instrument à cordes, pincées cette fois : la guitare. Eric Legnini tisse, au fil de ces douze titres colorés et légers, un spectre assez large des grandes heures de la six cordes : jazz manouche, bossa nova, afrobeat et même pop, avec une remarquable reprise du Space Oddity de Bowie. Le belge, primé aux Victoires du Jazz en 2011, s’entoure ainsi d’un contrebassiste (le fidèle Thomas Bramerie) et de deux guitariste de premier choix (Rocky Gresset et Hugo Lippi) tout en évitant la batterie, laissant un espace et une rythmicité unique au centre de sa musique. Un résultat convaincant, à la chaleur et la musicalité communicative.
Coups de cœur : Breakfeast At Dawn, Eterna Gioventu, Daydreaming
Sortie le 6 septembre.
Camille Tardieux
BB Brunes – Visage
Il y a des retours qu’on n’attend pas, d’autres pour lesquels on trépigne d’impatience, et d’autres encore pour lesquels on a quelques craintes. Le nouvel album des BB Brunes répond à cette troisième catégorie. Après le four subi par Puzzle, les rédactions n’attendaient pas de grands exploits du nouvel opus Visage. Et pourtant, la surprise est bien là. Il faut bien avouer qu’il y a du bon dans cette nouvelle sortie. Tout n’est pas à prendre, ni à jeter, mais il y a enfin de la qualité dans les productions des BB Brunes. L’album précédent surfait beaucoup trop sur une electro non maîtrisée, avec des sonorités bancales et des textes pauvres. Aujourd’hui, pourtant, nous pouvons célébrer le nouvel équilibre atteint par le trio français anciennement fana de rock. Non sans avoir totalement abandonné leurs premiers amours rock’n’roll, Adrien Gallo et sa bande ont trouvé une nouvelle façon d’aborder leur musique. Un peu soft rock, un peu indie, un peu pop, le mélange fonctionne bien, pour le plus grand plaisir des pavillons des anciens fans et des néophytes. Seulement onze titres dans ce nouvel LP, et pourtant le choix du minimalisme semble porter ses fruits. Nous n’avons plus qu’une hâte, entendre cette production sur scène, puisqu’elle semble totalement se prêter à la folie légendaire des BB Brunes. Mention spéciale à la chanson Orgasme dont les sensations provoquées correspondent totalement au titre de celle-ci.
Coups de cœur : Visage, Orgasme
Sortie le 6 septembre
Sofia Touhami
Girl In Red – Chapter 2 [EP]
Projet solitaire de la norvégienne Marie Ulven, Girl In Red écrit ses peurs, ses émois, sa vie dans ses chansons. Après Chapter 1, un premier EP remarqué sorti en 2018 où l’on découvrait une jeune fille d’à peine vingt-ans affirmée et tourmentée qui revendiquait son amour pour les filles sur un fond indie rock mélancolique, elle nous dévoile Chapter 2, deuxième volet de son épopée personnelle musicale. Appels à la solitude (i need to be alone, bad idea), balade amoureuse (watch you sleep), angoisse de la mort (i’ll die anyway), ce deuxième volet s’avère être une continuité logique au chapitre qui le précède, un souffle de liberté et des textes sincères qu’on découvre au fil des morceaux, un 5 titres qu’on fait tourner comme on tournerait les pages d’un journal intime de jeunesse. Des hymnes tragiques, vaporeux et libérateurs à chanter en chœur qui conviendront aussi bien aux adolescent.es qu’à ceux.elles qui le sont toujours resté.es.
Coups de cœur : watch you sleep, dead girl in the pool, i’ll die anyway
Sortie le 6 septembre
Pauline Pitrou