CINÉMA

La saga Rambo – Pour une première goutte de sang

À l’occasion de la sortie du cinquième opus, retour sur une saga qui arbore les désillusions de l’Amérique avant de bomber le torse d’un homme et d’un pays qui ne croit plus qu’en la fiction pour gagner une guerre.

Au début des années 1980, la guerre du Vietnam a défait les héros et le Watergate a défait les politiques. Pas d’hommage national aux soldats envoyés défendre le drapeau entre 1963 et 1973. Les radicaux leur reprochent d’avoir pratiqué le torture, sont insultés de « baby killers » et les conservateurs leur reprochent d’avoir perdu une guerre. Pris entre ces deux feux, la figure de John Rambo émerge dans la fiction. Issu d’un roman de David Morrell, l’homme revient après le conflit en Amérique. Il tente de retrouver une place dans la société mais celle-ci n’est pas prête à le recevoir. La saga Rambo, c’est le récit de la création et de la potentielle fin d’un monstre dans Rambo : Last Blood.

Avant d’en arriver à Rambo, Sylvester Stallone fait ses premières classes au cinéma en tant qu’acteur dans des films pornographiques. Surnommé « L’étalon italien », il connait la gloire en 1976 avec la sortie de Rocky, autre saga importante dans la carrière de l’acteur. Plus que Rambo, le personnage de Rocky est ancré dans le réel. Il gravit les marches du Philadelphia Museum of Art de Philadelphie à la vitesse d’un homme qui croit au rêve américain. Rambo est différent. C’est l’héritage américain par excellence, « le retour à la prairie perdue » pour citer les mots de l’historien André Muraire. Il a quelque chose de John Wayne, le côté sale gosse en plus. Le premier film de ce qui deviendra une série sort sur les écrans en 1982, soit un an après l’élection de Ronald Reagan à la Maison blanche.

Rambo : First Blood

Peu de temps après l’arrêt des combats, John Rambo fait halte dans la petite ville de Madison. La première séquence du film se déroule dans un cadre idyllique, la belle musique de Jerry Goldsmith accompagne les pas du personnage sous un soleil éblouissant. Après deux minutes de film, l’ambiance change radicalement. L’ami de John n’est pas rentré vivant du Vietnam, un cancer l’a rongé. Dès lors, les phrases du personnage deviennent très courtes, plus rien ne fait le lien entre le Vietnam et son pays qu’il pensait avoir protégé. Le réalisateur australien, Ted Kotcheff, le cadre de loin, jamais à l’aise dans le cadre, toujours prêt à se faire éjecter. Il refuse d’être arrêté pour vagabondage et une longue traque démarre entre la police et l’ancien béret vert.

Le premier sang qui coule, c’est celui de John Rambo, frappé et humilié dans les sous-sol du commissariat. L’approche du rasoir lui évoque la torture subie au Vietnam, les images subliminales viennent nous le rappeler. La violence de ces flics met en lumière leur lâcheté, prêt à frapper un type en position de faiblesse. En frappant Rambo, ils mettent à terre les derniers souvenirs du traumatisme causée par la défaite au Vietnam. Le film ne lésine pas sur l’action, donnant la part belle aux poursuites à moto et aux explosions bien senties. C’est l’une de ses grandes qualités, instiller une réflexion profonde dans le cadre d’un blockbuster.

L’animalisation progressive de Rambo est visible à travers les dialogue et la mise-en-scène. Il parle de moins et moins et son corps se fond dans la forêt. Les chiens sont envoyés pour le traquer avant d’être confiné dans un tunnel, parmi les rats. Cela étant, John Rambo ne tue personne volontairement dans le film. La seule mort causée par le personnage résulte d’un jet de pierre porté contre un hélicoptère pour le faire fuir. L’image d’un Rambo ultra-violent n’est pas encore à l’ordre du jour. Après une heure de poursuite, le personnage met le feu à la ville avant de se réfugier dans une boutique pour affronter le shérif. La première version du film, et celle du livre, donne une résolution tragique au destin du personnage. En effet, il se suicide face au colonel Trautman. Nous reviendrons sur cette figure tutélaire un peu plus loin. Pour l’heure, les raisons commerciales poussent les producteurs à conserver une autre fin, John Rambo se rend à la police.

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Rambo et Trautman

Rambo II : la mission

Trois années après le succès en salle du premier volet, le personnage de John Rambo est de retour avec un scénario de James Cameron et Sylvester Stallone. Rambo II : la mission reprend la thématique du retour au Vietnam déjà développée en 1983 dans Retour vers l’enfer (Uncommon Valor, Ted Kotcheff), et qui va constituer une sorte de sous-genre dans le film de guerre relatif au Vietnam, les Missing In Action Movies, dont la narration se permet une réécriture de la guerre à des fins bien souvent idéologiques. Pour ce deuxième volet, l’idée est de panser les blessures du réel par la fiction. Cette opération se concrétise par l’envoi de Rambo au Vietnam pour confirmer la présence d’Américains dans les camps vietnamiens. Le film développe l’idée selon laquelle le Vietnam n’aurait pas livré tous les prisonniers à l’issue de la guerre. Le personnage devient l’incarnation d’une Amérique triomphante, au moment-même où Reagan offre une parade nationale aux « Vietnam vets ». Ainsi, tandis que le premier Rambo donnait l’image d’une guerre civile à l’issue de laquelle le personnage faisait voler en éclat le carcan idéologique d’une petite ville américaine, l’ennemi devient vietnamien dans le deuxième opus.

Le contexte politique est fondamentale pour comprendre les enjeux de Rambo II : la mission. Au-delà de la volonté de réparer une blessure, il y a l’idée d’une bureaucratie corrompue symbolisée par le personnage de Murdock. Le moment où Rambo mitraille les ordinateurs est un moment de libération qui, d’un point de vue idéologique, exprime toute la méfiance reaganienne envers les bureaucrates de Washington. La grande erreur critique serait de réduire ce film à sa dimension politique, le scénario de James Cameron et Sylvester Stallone est assez malin pour offrir des scènes d’actions impressionnantes, parfois à la limite du cartoon. Le film est un plaisir coupable qui permet à Stallone de tout donner. Au moment de récupérer Rambo par hélicoptère, le colonel Trautman est contraint de l’abandonner sous la pression d’une arme. Ce dernier va protéger le héros pendant toute la trilogie, devenant même le cœur de l’intrigue du troisième numéro.

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Pitbull de flipper

Rambo III

On prend les mêmes et on recommence. John s’est retiré dans un monastère thaïlandais. Il refuse de partir en Afghanistan pour affronter les Soviétiques. Le colonel Trautman s’y rend seul et est capturé. Lorsqu’il apprend la nouvelle, Rambo décide se rendre sur place pour sauver son ami, il est alors recueilli par les moudjahidines. Difficile d’être indulgent avec ce troisième opus. Véritable figure christique, il doit passer par la souffrance rédemptrice pour retrouver la pureté originelle. Le scénario prend des symboles au premier degré et empile des dialogues complètement débiles.

Au tout début du film, après la séquence du combat au bâton, pratique qui lui permet de gagner de l’argent pour les bonzes, on le voit aider à reconstruire des pagodes. On est dans le primitivisme rousseauiste le plus caricatural. La quête du héros américain, c’est la quête inconsciente du mythe des origines, l’union entre la nature et la civilisation. Ce troisième volet ne prolonge donc pas la réflexion mais tourne en rond et ne sert plus que de carrosserie vulgaire à l’idéologie reaganienne. Il n’est pas excessif de parler de nanar pour ce troisième volet. En ce sens, le film conserve un certain intérêt au troisième degré. Étonnamment, le personnage refait surface trente ans après, pour un dernier tour de piste surprenant.

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Rambo III en une seule image

John Rambo

En 2006, Sylvester Stallone réalise Rocky Balboa et nous offre l’un des plus beaux films de sa carrière. Il a accepté de vieillir mais ne s’est pas renié. Du côté de la saga Rambo, c’est un peu différent. En 2008, il repasse à nouveau derrière la caméra. L’intrigue est simple : John Rambo vit à l’Ouest de la Thaïlande, près de la frontière birmane mais un groupe de missionnaires chrétiens décident de l’embaucher pour les aider à remonter le fleuve Salouen jusqu’en Birmanie pour y apporter une aide humanitaire. Dans un premier temps il refuse mais accepte sous l’instance de Sarah, une jeune idéaliste. Si l’introduction du film est classique, c’est la suite qui étonne.

En effet, les forces armées birmanes (tatmadaws) déploient une telle énergie à massacrer le peuple karen que la violence est omniprésente pendant tout le long-métrage. Les bébés sont jetés dans le feu, les enfants transpercés à coup de baïonnettes et les femmes violés et fusillés. On a rarement vu un tel déferlement de violence lors du premier affrontement dans un village. Ce regard noir sur le monde témoigne d’une réelle volonté de comprendre le personnage. Stallone a bien compris qu’il ne reste plus qu’à Rambo ses mains pour tirer. Trop vieux et trop meurtri pour aimer – C’est déjà le cas dans Rocky Balboa -, l’homme se pose en figure paternel, conjurant sa malédiction dans un déluge de violence final qui vire à l’écœurement. L’homme tire encore et toujours, comme pour en terminer une bonne fois pour toute avec le personnage. C’est le charme de Stallone, avoir un pied dans les années 1980 et un autre dans la boue birmane, ce qui permet à l’acteur/réalisateur de réussir une bien meilleure fin de carrière que Schwarzenegger.

Après cette escapade humanitaire ratée, John Rambo semble repartir en Amérique, le pays où tout a commencé. C’est une créature américaine, élevée puis brisée par ses mensonges et sa trahison. La saga n’a cessé de raconter cela, la violence infligée à un homme par une société qui ne le désirait plus. La fiction a permis de lui offrir deux tours de pistes spectaculaires au Vietnam et en Afghanistan avant de la ramener à ce qu’il est vraiment, un paria rejeté par son pays. La belle fin de John Rambo a un sens, son retour au pays peut-être vu comme un fantasme, comme la possibilité d’un retour serein à la maison, lieu filmé comme un rêve avec ses chevaux et ses longues plaines. Stallone n’est pas nostalgique. Ce qui était n’est plus ou n’a peut-être jamais été. L’industrie hollywoodienne n’est pas vraiment de cet avis.

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Goodbye, John ?

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