CINÉMA

« La Familia » – Géographie de la misère

La Familia © Tamasa

Après une discrète sortie en salles, La Familia est édité en DVD par Tamasa. L’action se déroule dans une banlieue de Caracas, au Venezuela. Loin des images télévisuelles qui colonisent nos cerveaux, le film ausculte la violence structurante d’une société à deux vitesses. Les favelas, la banlieue et un quartier résidentiel. Aucun de ces espaces ne communiquent, si ce n’est dans le cadre d’affrontements. Le réalisateur, Gustavo Rondón Córdova, dresse une géographie sociale implacable d’un pays en pleine mutation.

Pedro est âgé de douze ans et son quotidien se partage entre le collège et ses amis de banlieue. Un gamin le braque pour récupérer son téléphone portable. L’altercation tourne mal et Pedro blesse à mort l’autre enfant. Son père l’emmène avec lui, loin des favelas où les représailles sont monnaies courantes. De cette violence originelle se tisse des rapports nouveaux entre un fils et son père. Ce dernier étant absent du domicile familial par addition de petits boulots. La violence subie par Andrès, le père, est avant tout sociale. Il n’arrive pas à s’extraire de sa condition puisque ses salaires de maçon et de serveur ne lui permettent pas de mettre de côté. Cette précarité se double d’un vagabondage imposé par l’altercation de son fils. La première grande réussite du film, c’est d’arriver à nous faire ressentir l’enfermement psychologique et physique de Pedro. En effet, la caméra ne le lâche pas pendant 1h20, rendant l’arrière-plan difficilement discernable. Pour lui, son horizon ne dépasse pas les favelas. Il ne peut concevoir une alternative à sa vie, dont ses errements sont imprégnés des codes des gangsters.

La séquence d’ouverture du film est probablement la plus intéressante. Pedro et ses amis jouent sur le toit de leur immeuble. Ils brandissent un morceau de ferraille qui ressemble à une arme, leurs gestes sortent tout droits des clips de rap américain : armes portées sur le côté, exagération dans la démarche, outrance des mots. Ils trouvent un préservatif et charrient les jeunes filles de la bande. Machisme, homophobie et goût pour la violence charpentent cet échange inaugural. Ce décalque de situations qui adviennent quelques mètres plus loin permet de montrer à quel point ces enfants sont prisonniers de leur environnement, aussi bien social que géographique. Ce toit, c’est le seul endroit pour échapper à la violence réelle des quartiers périphériques de Caracas.

Fuir, pour aller où ?

Mais cette violence du geste s’accompagne d’une violence sociale. Lors de leur fuite, Pedro et Andrés acceptent tous les petits boulots dans l’objectif de se nourrir. L’enfant n’est pas rémunéré lorsqu’il aide en cuisine pendant une fête très alcoolisée. Pire, le recruteur ne lui adresse pas un regard en distribuant les payes après le service. Avant d’être une violence de classe entre bourgeoisie et prolétariat, c’est une violence des plus pauvres entre eux. Chacun a peur de perdre le petit salaire qui lui permet de (sur)vivre. Il n’y a donc aucune solidarité qui puisse émerger sur le long terme. Devant l’acte irréparable causé par Pedro, reste la fuite. Vers quoi ? Vers où ? L’illusion de la fuite comme seule échappatoire. Le mouvement permet de renouer les liens entre le père et son fils. Giovanny García (Andrés), par son regard, fait ressentir la position difficile qu’il occupe. Impossible pour lui de contester ses employeurs sous peine de perdre son maigre salaire, impossible non plus de répondre aux demandes de son fils par peur de le voir mourir. C’est dans la confrontation que le personnage progresse. Tout le contraire pour Pedro, profitant des moments d’accalmie pour interroger sa place dans le monde.

Ce sont ses brefs moments de respiration qui donnent à La Familia toute sa grâce. Vers la fin du film, le père et son fils échangent autour d’un verre une nuit durant. La fatigue les plonge dans un état second, proche du rêve. Andrès raconte à son fils que ce bar est un moment de bonheur pour lui, quand il termine le travail. Il précise, dans la foulée, que la banlieue où ils vivent est trop dangereuse pour sortir le soir. L’enfant n’a aucun lieu régénérant. Il est confiné à la violence du quartier et à l’absence de changement. Son meurtre vient confirmer un déterminisme. Ce terrible constat vient s’affiner avec un beau dernier plan, qui répond aux moments plus calmes du film. En plein milieu de la nature et des ruines de l’homme, peut-on échapper à sa condition sociale ?

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