CINÉMA

James Gray, un réalisateur obsessionnel

Copyright Wild Bunch Distribution

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A l’occasion de la sortie d’Ad Astra de James Gray le 18 septembre, Maze se penche sur les thèmes récurrents du cinéaste américain qui sont tous réunis dans un long métrage, qui pourtant parut lors de sa sortie trancher avec le reste de sa filmographie  ; Two Lovers.

Leonard Kraditor marche sur un ponton de Brighton Beach, il traîne la livraison de vêtement qu’il doit apporter pour le compte de l’entreprise paternelle. Soudain, il enjambe une des barrières et saute, mais il se ravise et avec l’aide de passants témoins du geste de désespoir, parvient à s’extraire de l’eau. Leonard finit par rentrer au domicile parental où il est retourné depuis quelques mois.

Un problème familial

Une fois rentré, Leonard est évidement gêné par sa mère, Ruth, (Isabella Rossellini) qui finit par comprendre la nature de son accident, mais c’est son père, Reuben, (Moni Moshonov) qui semble le plus intrusif ne se résolvant à laisser Leonard tranquille qu’à l’insistance de Ruth. Si Two Lovers semblait à l’époque si différent des films réalisés auparavant  ; des films centrés sur le crime organisé dans les quartiers de New-York alors que Two Lovers est un drame romantique  ; James Gray ne renie pas la dimension familiale omniprésente dans sa filmographie, que ce soit le trio Leo Handler (Mark Wahlberg), son cousin par alliance Willie Guttieriez (Joaquin Phoenix) et le mari de sa tante Franck Olchin (James Caan) dans The Yards  ; ou bien la famille américaine d’Ewa (Marion Cotillard) qui n’a à offrir qu’une illusoire nuit de repos dont le réveil est soldée par une amère trahison dans The Immigrant. Dans Two Lovers, Leonard est aussi au sein d’une famille au rapports complexes. La mère épie son fils par le jour du seuil de la chambre de Leonard, qui se manifeste plus comme un représentant de l’identité parentale que comme une mère aimante et pourtant c’est surement la personne qui arrive à cerner et à le plus accepter les aspérités et les différences du protagoniste.

We Own the Night (2007), James Gray
Copyright Wild Bunch Distribution

La figure paternelle dans Two Lovers est moins marquée que d’ordinaire. Dans We Own the Night cette dernière est beaucoup plus présente, par le nombre  ; le héros Bobby Green (Joaquin Phoenix) a deux figures paternelles, une biologique incarnée par Burt Grusinsky (Robert Duvall) qui est froide et austère dont il s’est éloigné en tout cas au début du métrage, et une de substitution, Marat Buzhayev (Moni Moshonov), en qui la confiance est réciproque  ; mais aussi par l’importance dans l’histoire qui rapporte le tiraillement de Bobby Green entre deux mondes auxquels il n’appartient pas complètement, la police et la famille Grusinsky  ; la vie nocturne plus dissolue et sa femme Amanda (Eva Mendes). De manière encore plus flagrante dans The Lost City of Z, Percy Fawcett (Charlie Dunham) représente à la fois le protagoniste principal et la figure du père.

Two lovers (2008) , James Gray
Copyright Wild Bunch Distribution

Bien que le père de Leonard soit plus effacé à première vue, l’entièreté de l’environnement de Leonard est forgée par lui par exemple sa première rencontre avec Sandra (Vinessa Shaw) est orchestrée par ses parents en vue d’une fusion commerciale avec la famille de Sandra, malgré l’intérêt que lui porte Sandra et la relative profondeur des propos échangés, l’invitation à la Bar Mitzvah du frère de Sandra pour prendre des photos ne fait que révéler l’artificialité de la rencontre et la volonté des deux familles de contrôler leurs entrevues.

Un conflit intérieur insoluble

Le lendemain de la rencontre avec Sandra au dîner, Leonard découvre Michelle (Gwyneth Paltrow) en rentrant chez lui sur le palier. Celle-ci semble fuir l’ire de son père et Leonard lui propose d’entrer chez lui et de lui offrir ainsi un refuge. Leonard succombe assez rapidement à son charme et lorsqu’il la croise la journée suivante, il réussit à l’accompagner en ville. Plus tard, il se fait inviter par Michelle à une soirée en boîte de nuit et découvre l’addiction de Michelle aux médicaments, toutefois ses sentiments ne font que grandir au cours de la soirée mais il finit par découvrir que Michelle n’est pas libre. Tout le reste du métrage repose sur le tiraillement de Leonard entre Michelle, qu’il aime et désire passionnellement  ; on découvre qu’il a tenté plusieurs fois de se suicider à cause d’un mariage raté  ; et Sandra qui représente la vie qu’il a vécue jusqu’alors sans passion mais plein de tendresse. Il ne parvient à choisir que lorsque Michelle le repousse après avoir avoué ses sentiments.

The Lost City of Z (2016) , James Gray
Copyright Studio Canal

Le personnage de Leonard s’inscrit totalement dans la lignée des protagonistes de James Gray incapables de se libérer de leurs obsessions, de leurs passions. Percy Fawcett est l’exemple le plus flagrant, dans The Lost City of Z l’explorateur ne vit que pour l’Amazonie et une fois rentré en Angleterre, il ne pense qu’à une chose, y retourner pour échapper au carcan de la société anglaise du début du XXe siècle, ne supportant plus les préjugés réactionnaires mais dont il est paradoxalement porteur notamment vis-à-vis de la condition féminine : sa femme ne va jamais dans la jungle et Percy a un conception de l’éducation qui n’est pas en avance sur son temps. Malgré tous les dangers de la forêt, Percy décide de poursuivre ses illusions et de laisser son fils l’accompagner à sa perte.

Néanmoins, James Gray ne porte pas nécessairement un regard négatif sur la nature des personnages et bien souvent il met en valeur les capacités émancipatrices de ces dernières. Leonard par le biais de Michelle échappe au joug familial et Gray le montre en réalisant un plan séquence lors de la première rencontre de Michelle ce qui contraste avec le du champ-contrechamp de la discussion avec Sandra. Toutefois, les sujets de conversation différent Sandra parvient à apercevoir la personnalité de Leonard et les raisons de son mal être alors que Michelle ne remarque que l’odeur de naphtaline. Mais James Gray prends le soin d’équilibrer le triangle amoureux, Leonard révèle des facettes de sa personnalité jusqu’alors insoupçonnés, lors de la sortie en boite et de la fameuse improvisation dansée de Joaquin Phoenix par exemple.

Two Lovers (2008) , James Gray
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Une tragédie classique

Evidemment un tel attachement au traitements des personnages est renforcé par la capacité de Gray à les inscrire dans un schéma dramatique assez classique mais néanmoins admirablement tissé. Quelques mois après s’être fait repoussé, Leonard se fait rappeler par Michelle car elle a besoin d’aller à l’hôpital et son amant qui est avec sa femme et ses enfants ne réponds à aucun de ses appels. Suite à l’intervention de Leonard qui lui sauve la vie, Michelle commence à réaliser la nature toxique de la relation qu’elle entretient avec son amant et tout en repoussant ce dernier, finit par décider de partir sur la côte ouest avec Leonard dont elle s’est rapprochée. Leonard prépare leur fuite et achète même une bague pour la femme de sa vie. La nuit du voyage c’est finalement la mère de Leonard qui comprend que son fils part et qui le surprend dans les escaliers. Elle accepte son départ, et lui soutien que l’appartement familial sera toujours son foyer. Michelle finit par arriver au point de rendez-vous mais seulement pour annoncer à Leonard qu’elle ne part pas car son amant était parvenu à quitter sa femme suite à la révélation de l’accident de Michelle. Leonard, après un tour sur la plage de Brighton Beach où il jette sa bague puis la récupère, rentre à l’appartement où se déroule une fête et se jette dans les bras de Sandra en lui tendant la bague de fiançailles, seul sa mère comprend réellement la véritable signification des larmes de Leonard.

La dramaturgie de James Gray puise dans des inspirations très classiques, les films de la Nouvelle Vague, la scène sur la plage de Two Lovers rappelle évidement Les 400 Coups de François Truffaut, mais aussi et surtout le cinéma italien et plus particulièrement le cinéma de Luchino Visconti. Le scénario de Two Lovers est inspiré de la nouvelle de Dostoïevski, Les Nuits Blanches, une nouvelle qu’a déjà adapté Visconti en 1957 ainsi que Robert Bresson, une autre de ses influences en 1971 dans Quatre Nuits d’un rêveur. Par ailleurs, dans The Yards, la trame scénaristique est extrêmement emprunté à Rocco e i suoi fratelli, Leo ayant pour modèle Rocco (Alain Delon) et Willie le fraternel antagoniste Simone (Renato Salvatori) et ces deux derniers ayant pour objet de désir Erica (Charlize Theron) dans The Yards et Nadia (Annie Girardot) dans le chef-d’œuvre italien. Même si James Gray admire considérablement le cinéma européen, il n’hésite pas à citer aussi ses exemples états-uniens. La scène d’ouverture de The Immigrant cite ostensiblement The Godfather : Part II de Francis Ford Coppola et sa manière de filmer les scènes de nuits notamment dans We Own the Night ou dans The Yards peuvent rappeler des scènes nocturnes dans Taxi Driver de Martin Scorsese.

The Immigrant (2013) , James Gray
Copyright Wild Bunch Distribution

Enfin la photographie est un point crucial dans la réalisation de films pour James Gray et il y apporte un soin particulier, il a plusieurs fois changé de directeur de la photographie et il a notamment collaboré avec Harris Savides (Elephant de Gus Van Sant, et The Game de David Fincher) et Darius Khondji (Se7en de David Fincher, La Cité des Enfants Perdus de Jeunet et Caro). Dans Two Lovers, c’est l’intensité des contrastes qui marquent l’esprit, beaucoup d’ombres sont projetées ce qui renforce le caractère torturé des personnages.  Encore une fois le classicisme de la photographie, au-delà de l’aspect esthétique permet à James Gray de renforcer sa réalisation qui se permet peu de maestria, laissant du temps pour développer la dramaturgie de son récit. Cependant Gray maîtrise aussi les scènes sous haute tension souvent synonyme d’évènements plus graves comme la course poursuite en voiture sous une pluie torrentielle à en faire pâlir l’industrie du cinéma coréenne dans We Own the Night, et si James Gray s’autorise un tel accès et de violence et une telle virtuosité c’est seulement pour magnifier le tragique de la mort de Burt Grusinsky qui métamorphose Bobby Green en Robert Grusinsky.

James Gray semble s’éloigner depuis Two Lovers des thèmes de sa première trilogie originelle centrée sur la mafia, New-York et la famille, mais l’observation attentive du reste de sa filmographie permet de conclure que le cinéaste originaire de Little Odessa est un véritable auteur avec des sujets récurrents présents dans tous ses films, des sujets qu’il n’est pas prêt d’abandonner si on lit le synopsis de son dernier métrage.

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