© Martin Argyroglo
La dernière création de Philippe Quesne réunit une bande d’épouvantails au chômage technique et à la tête d’une radio pirate qui se démènent pour sauver la planète. Véritable fable écologique, FARM FATALE, célèbre sans fatalisme et avec beaucoup d’humour l’avenir de l’humanité. A voir aux Théâtre des Amandiers de Nanterre jusqu’au 25 septembre.
Alors que de moins en moins de personnes vivent à la campagne, que le nombre d’agriculteurs ne cesse de décroitre, l’agriculture est plus que jamais un sujet d’actualité, que ce soit dans les médias ou le monde artistique. Tour à tour accusée de tous les maux (destruction des sols, méthodes d’élevage barbares) ou considérée comme la solution (le retour à la terre, la nécessité de cultiver son propre potager, de manger local), l’agriculture est partout. En littérature, chez Michel Houellebecq (Sérotonine) ou Jean-Baptiste Del Amo (Règne animal). A la télé, dans L’amour est dans le pré. Au cinéma aussi avec Petit paysan d’Hubert Charuel ou, en ce moment à l’affiche Au nom de la terre d’Edouard Bergeon. Au théâtre, on avait déjà pu voir le sujet abordé dans Le père de Julien Gosselin, d’après Un homme incertain de Stéphanie Chaillou sur l’histoire d’un père qui a tout perdu, sa famille comme son exploitation fermière. Dans toutes ces formes, le discours sur la terre ou le travail agricole (son présent mais aussi son futur) est passablement pessimiste. On y parle beaucoup de solitude, de misère affective, de faillite et de suicide. Une évidence au regard es difficultés de l’agriculture en 2019, entre exigence de rentabilité, pression face aux industriels, concurrence internationale et revendications écologistes. Et c’est ce qui rend l’approche de Philippe Quesne, profondément positive, si agréables réjouissante. Sans naïveté, le directeur du Théâtre des Amandiers de Nanterre (jusqu’en 2020 encore) réussi son paris en composant une fable écologique « non punitive » mais non lénifiante qui réconcilie, si besoin était, écologie et poésie.

Epouvantails activistes
Quatre épouvantails bientôt rejoints par un cinquième – français et répondant au doux nom de Pécuchet – animent une radio dont ils composent les émissions (interview d’une des dernière abeilles d’Europe) et composent la bande musicale à partir d’enregistrements sonores de la nature qu’ils conservent soigneusement. La situation écologique de la planète s’est dégradée et ils se sont tous retrouvés au chômage technique, leur anciens propriétaires se suicidant ou se reconvertissant dans le lobby agroalimentaire faute de pourvoir entretenir leurs exploitations. Retirés au milieu de leur bottes de paille, ils tentent d’archiver ce qui reste du monde et d’assurer l’avènement d’un futur en prenant soin des mystérieux oeufs que leur poule domestique pond à intervalle régulier… Ces globes lumineux contiennent la mémoire du monde (odeurs, sons etc.) et doivent en assurer la persistance. Ils ne s’en rendent pas compte immédiatement, mais ces épouvantails sont des militants qui mènent leur lot d’actions. Une jolie ironie pour des êtres dont la vocation première est de littéralement rester plantés là pour effrayer les indésirables….
Poésie des Freaks
Les créations de Philippe Quesne (récemment Welcome to Caveland et Crash Park) relèvent toujours d’un enchantement pour les yeux tant leur mise en scène regorgent d’inventivité et d’une poésie exceptionnelle. Mais cette douceur est souvent (voire toujours) empreinte d’une certaine étrangeté parfois inquiétante. FARM FATALE ne déroge pas à la règle. Si le monde de ces épouvantails a beau semblé relativement accueillant, il n’est pas bucolique et semble avant tout peuplé de freaks. Les acteurs qui interprètent les épouvantails ont le visage recouverts de masques en tissus – confectionnés selon une méthode allemande ancestrale – qui leur donnent l’air hébété de peluches trop longtemps demeurées sous la pluie. Leur voix aussi est déformée, créant une distanciation déstabilisante au premier abord. Et pourtant, ce sont ces hippies de paille qui s’obstinent à conserver ce que l’ancien monde a de plus beau à offrir, ses sons, ses musiques (toutes les reprises sont absolument géniales), ses odeurs, ses animaux et, surtout son sens de l’humour.

Ecologie positive
Alors que la grève pour le climat des lycéens reprend, que les scientifiques ne cessent d’aggraver leurs prévisions sur l’état d’avancement de la dégradation de la planète et que les injonctions à modifier nos modes dé vie se multiplient, l’écologie peut faire peur. Bien que légitimes et justifiées, ces messages et décisions n’en demeurent pas moins anxiogènes et parfois culpabilisants. Les épouvantails de Philippe Quesne agissent comme de parfaits antidotes à cette angoisse millénaire. Réalistes sur la gravité de l’état de la planète et la nocivité des pesticides, leur arme demeure avant tout l’humour et la poésie. Leur voisin décide de répandre des pesticides sur tout un champ ? Au lieu de le tuer – option envisagée un temps – ils décident de l’effrayer avec un rap écologique. Pour la grille de radio de la semaine suivante, après une séance de brainstorming hilarante dans laquelle les acteurs font montre de tous leur talent de jeu corporel et de mime, ils envisagent le portait d’une abeille (source d’innombrable jeux de mots : to bee or not to bee ? La beesexualité… ) ou celui d’une carotte OGM (une catégorie de légumes souvent stigmatisée et à qui les médias donnent trop souvent la parole). C’est drôle, parfois absurde, souvent caustique mais jamais naïf. Profondément accueillant aussi. Le dosage est parfait et ces cinq épouvantails donnent plus que quiconque envie de se mobiliser pour la planète.
« FARM FATALE », conception, scénographie et mise en scène par Philippe Quesne. Au Théâtre des Amandiers de Nanterre jusqu’au 25 septembre. Durée : 1H30. En anglais et allemand sur-titré en français.