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Depuis quelques années, la bande-dessinée crée un véritable engouement chez les plus jeunes, en attestent les ventes d’albums, qui augmentent de façon significative. Alors comment passer à côté du neuvième art dans le cadre de notre dossier spécial sur l’enfance ?
La saga BD Seuls est un véritable phénomène et pour cause, chaque nouvelle parution annoncée fait trépigner d’impatience, les enfants comme les adultes, à la vue des nouvelles aventures de leurs jeunes héros. Le scénariste de la série, Fabien Vehlmann, a accepté de répondre à nos questions thématiques d’un point de vue personnel et artistique. Mais avant cela, petits rappels sur l’histoire et l’historique de la série devenue incontournable.
La consécration d’un monde fantastique sans adultes
À Fortville, un matin, tous les habitants semblent avoir disparus sans aucune raison apparente. Mais cinq enfants sont encore présents dans la ville fantôme. Cinq enfants avec des histoires et des schémas familiaux différents. Il y a Dodji, le meneur de troupes et le protecteur, Leïla, la jeune femme habile de ses mains, Yvan, le rêveur, Camille, la petite fille discrète et droite, et enfin Terry, le plus jeune de la bande. Tous ensemble, ils vont devoir affronter de nombreuses péripéties pour comprendre ce qu’il s’est passé et retrouver leurs parents et amis.

D’abord écrite et publiée pour le Magazine Spirou, cette série jeunesse d’aventure fantastique sera finalement éditée chez Dupuis à partir de janvier 2006. Actuellement, onze tomes ont vu le jour et le douzième devrait paraître dans le courant du mois de mars 2020. Mais il faudra encore être patient pour découvrir le fin mot de l’histoire, normalement dans le vingt-deuxième épisode.
Récompensée à deux reprises par le Prix Jeunesse des 9/12 ans au Festival International de la bande-dessinée d’Angoulême, en 2007 et 2010, et par deux Grands Prix du Journal de Mickey, la consécration est totale pour Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti, en 2017, grâce à l’adaptation cinématographique par David Moreau des cinq premiers tomes de la série.
Fabien Vehlmann : fantasme, inspirations et premières fois
Quel enfant, puis adolescent étiez-vous ?
Fabien Vehlmann : J’étais un enfant plutôt joyeux et sociable, quoique paradoxalement fasciné par des sujets morbides (un psy passé dans ma classe s’était étonné que je passe mon temps à dessiner des arbres morts et des scènes de massacre : qu’est-ce qu’il a dû penser de moi et de ma famille, haha ! !). Mon adolescence a été plus compliquée : comme beaucoup, j’étais plutôt complexé, pas hyper-bien dans ma peau, et l’imaginaire a souvent constitué un refuge de choix pour oublier mes soucis. Je passais déjà beaucoup de temps à écrire et dessiner toutes sortes d’histoires fantastiques et sanguinolentes ! Mon rêve secret était déjà de devenir un auteur ou un écrivain.
Que lisiez vous enfant, puis adolescent ?
F.V : Enfant, je lisais beaucoup de BD classiques (Lucky-Luke, Astérix, Isabelle…) puis j’ai peu à peu découvert la SF et la Fantasy américaine (Frédric Brown, Fritz Leiber, Heinlein, Robert Howard et son fameux Conan), ainsi que – à partir de treize ans environ – des livres plus « adultes » qui m’ont passablement marqué (Ravage, de Barjavel, Sa Majesté des Mouches de Golding, Journal du voleur de Genet, Si c’est un homme, de Primo Levy…)
Quel personnage de votre série Seuls vous ressemble le plus ?
F.V : C’est clairement le personnage d’Yvan, d’abord trouillard puis devenant, peu à peu, plus courageux, et puis très imaginatif et blagueur. On retrouve aussi chez lui, comme chez moi, une forme de souplesse vis-à-vis du genre (masculin/féminin) : pour lui, être un garçon ne signifie pas forcément arborer tous les codes classiques de virilité (goût pour le foot, misogynie, etc…) mais autorise aussi à accepter sa part féminine ! Après, je dois quand même préciser que les autres personnages de Seuls représentent tous et toutes, à leur manière, des facettes de ma personnalité : Dodji quand je suis en colère, Camille pour mon côté « respectueux des lois », Leïla pour mon côté féministe, et Terry… pour mes gaffes à répétitions ! !
Se retrouver seul, sans adulte, était-ce un fantasme d’enfant pour vous ?
F.V : C’était à la fois un fantasme et une phobie : rien n’aurait pu plus me réjouir… et me terroriser que de me retrouver soudain seul dans la ville ! Mélange de frayeur à l’idée de ne plus pouvoir être avec mes proches, et d’excitation à l’idée de pouvoir (enfin) faire tout ce qui me chante ! C’est, d’ailleurs, cette dualité qui me semble caractériser le passage à l’âge adulte : car devenir un adulte, c’est précisément ce moment excitant et flippant où l’on devient autonome et qu’on peut prendre sa vie en main, pour le meilleur… et pour le pire, car on va devoir aussi assumer les conséquences de nos actes.
Avez-vous toujours votre âme d’enfant ? Si oui, comment l’avez-vous préservé ?
F.V : En tous cas, je tente à tout prix de la conserver, en restant toujours curieux de tout, et surtout, en cultivant une forme de candeur face aux événements, aux choses et aux gens auxquels je suis confrontés dans la vie.
« Rester un peu « naïf » sur ce qui nous entoure, apprendre à toujours apprécier ce qui nous arrive, ça permet de garder le goût unique des « premières fois » ! »
Fabien Vehlmann
Et il ne fait aucun doute que la lecture des albums Seuls aura plus tard, pour de nombreux enfants actuels et adultes de demain, le goût d’une première fois : celle qui invite à l’imagination, à la création, à l’envie de faire de belles choses… celle qui fait grandir !
Seuls de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti, Éditions Dupuis – 10,95 euros