ERIC BONTÉ / CNC
En juillet dernier, Dominique Boutonnat, que les MacronLeaks avaient révélés comme un des plus généreux donateurs de la campagne présidentiel, était bombardé nouveau président du CNC. Une élection qui a bouleversé le paysage audiovisuel français, et n’a pas manqué de faire réagir les professionnel.le.s du cinéma, profondément opposé.e.s à sa nomination.
En mai 2018, paraissait le rapport commandé par le ministère de la culture à Dominique Boutonnat. Un rapport sur le financement et la distribution cinématographique dont l’argumentaire se fonde sur la nécessité de réformer l’économie cinématographique française, afin d’affronter les transformations qui traversent le paysage cinématographique mondial depuis déjà plusieurs années ( le pouvoir économique grandissant des plateformes de streaming, la difficulté à contrôler le streaming et le téléchargement, la relative efficacité des abonnements VOD/VAD censé compenser la baisse de la fréquentation des salles). L’enjeu étant de conserver l’image française d’une « grande nation créatrice » et la dominance économique dans le secteur au niveau mondial .
Dès les premières lignes du rapport, le nouveau président du CNC est formel « La bataille de demain sera la bataille des contenus » et elle implique selon lui une privatisation du secteur cinématographique qui inquiète, à raison, les cinéastes et les petites structures indépendantes.
La bonne santé du cinéma français
Le rapport commence pourtant sous de relatives bonnes augures, avec l’affirmation d’une industrie cinématographique française placée parmi les premières mondiales ces vingt dernières années. Un cinéma qui a su se distinguer par la qualité et le professionnalisme de l’ensemble de ses filières qui composent un tissue de distribution dense ( la France possède le premier parc de cinémas en Europe, avec 5 909 salles et se situe au 5ème rang mondial.), et d’acteur.trices dynamiques qui n’ont cessé de faire évoluer le savoir faire et l’innovation ces dernières années (effets spéciaux, nouvelles images et réalité virtuelle). Une série de louanges auxquelles s’ajoutent le prestige d’écoles reconnues à l’international ( la FEMIS…) et la rayonnement des festivals de cinéma français : Cannes, Annecy pour l’animation, ou encore Clermont-Ferrand pour les courts-métrages, qui participent de la perpétuation de cette image de la France comme étant « le pays du cinéma ». Un dynamisme qui a permis au pays de stabiliser le volume de ses productions fictionnelles depuis dix ans (912h produites en 2018), dépassant le niveau d’audience des fictions importées des USA.
Les films à petits budgets dans le viseur
En 2018, la constance de l’intervention publique a permis le maintien des productions françaises à ce rang mondial, mais le rapport pointe une certaine « dispersion des moyens mis en œuvre ». Dominique Boutonnat cible ainsi directement le fonctionnement du financement de la création cinématographique, qui repose sur de nombreuses aides, l’aide à la création du CNC, entre autre, qui se serait majoritairement portées ces dernières années sur des enjeux de « diversités » profitant aux films à petits budgets. Pour le producteur, cette donnée, couplée à la stabilisation du financement global des films, est responsable de la phase de décroissance des ressources dans laquelle le cinéma français est entré, et qui n’irait qu’en s’accentuant avec l’effritement des ressources publicitaires et télévisuelles.
Le rapport souligne pourtant que le nombre de productions a doublé en 25 ans, ce qui signifie qu’à ressources égales ou inférieurs, la France produit plus de films.
Rapport sur le financement privé de la production et de la distribution cinématographiques et audiovisuelles , Dominique Boutonnat p.17
« Il y a donc urgence à trouver d’autres voies de financement des filières du cinéma et de la production audiovisuelle qui, dans l’idéal, devraient être compatibles et complémentaires des composantes actuelles du financement des deux filières, mais en même temps suffisamment innovantes et porteuses pour leur permettre de se projeter dans l’avenir et aménager pour elles les conditions d’une nouvelle dynamique de croissance. »
Une révolution des modes de consommation
L’une des grandes menaces pointée par le rapport c’est évidemment la percée sur le marché cinématographique mondiale des plateformes de diffusion comme Netflix, qui avait pris toute la profession de court au Festival de Cannes 2017 en se réservant l’exclusivité de la diffusion de ses deux films en compétition officielle : Okja de Bong-Jong-Hoo et The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach. La direction s’était retrouvée pieds et poings liés, contrainte de ratifier un traité, pour acter ce qui relevait jusqu’ici du tacite : tout film en compétition officielle s’engage à faire l’objet d’une exploitation mondiale en salle.

Un événement qui n’a fait qu’accentuer la visibilité des plateformes de streaming qui sont de plus en plus nombreuses à proposer des films originaux, et des séries dont le modèle attire les réalisateur.trices mondiaux (la même année David Lynch et Jane Campion présentaient respectivement à Cannes les dernières saisons de leurs séries Twin Peaks et Top of the Lake).
Dans son rapport, Dominique Boutonnat insiste sur le fait que cet engouement pour les séries a entraîné une augmentation de leurs budgets, permettant de concurrencer le cinéma en terme de qualité et de rentabilité, en témoigne la création de festivals comme Canneséries ou Série Mania qui ont fleuris en France récemment.
Les « champions nationaux » au secours du cinéma français
Face à un scénario catastrophe établi pour 2022, Dominique Boutonnat appel à concentrer les financements sur des « champions de la création » dont la qualité des contenus permettrait de créer une concurrence solide à l’internationale. Une stratégie concentrée sur les attentes du marché national et qui place les logiques de rendement au dessus de celle de soutien à l’« œuvre ».
« À cet égard, le système français de financement du cinéma a été conçu presque exclusivement comme un soutien à l’œuvre, jusque dans l’ADN du CNC, au détriment d’une approche plus entrepreneuriale sur le tissu et la capacité de développement des entreprises de production. Or aujourd’hui, les deux approches, qui ne sont pas incompatibles, sont indispensables. »
Rapport sur le financement privé de la production et de la distribution cinématographiques et audiovisuelles , Dominique Boutonnat p22
Cette approche « économique et industrielle », visant à permettre aux financements privés de trouver pleinement leur place dans l’économie cinématographique, inquiète les petites maisons de productions et les réalisateurs.trices de films dits « indépendants ». Dans une tribune publiée dans Libération au début de juillet, iels dénoncent une stratégie agressive dont les victimes collatérales seront les TPE ( Très Petites Entreprises) et les cinéastes « indépendants ». En effet quatre société de production dominent aujourd’hui le marché en France (Gaumont : 6 films/an, Pathé : 5,6 films/an , UGC et Europacorp : 3, 4 films /an) des modèles économiques rentables sur lesquels le rapport appel à focaliser les investissements, au détriment de structures moins « productives » (entre cinq et dix entreprises produisent au moins trois films chaque année, comme Agat films, Les productions du trésor, Légende, Nord Ouest , Les Films Pelleas , Wild Bunch …) et dont les productions sont moins axées sur les attentes du marché international.
Autre élément majeur du rapport qui a fait scandale, l’appel à ouvrir le financement des films aux investisseurs privés, et simplifier l’encadrement juridique du dispositif des SOFICA dont Dominique Boutonnat n’est autre que le co-fondateur et président. Une « idéologie mortifère pour la diversité du cinéma » selon les signataires de la tribune et les étudiants de la FEMIS, iels aussi auteurices d’une tribune relayée massivement par la presse cet été, et dont les griefs n’ont pas été entendus par le gouvernement.
À l’horizon d’octobre
La rentrée s’annonce donc chargée pour les étudiant.e.s et professionnel.le.s du cinéma qui attendent la proposition de loi qui devrait être dévoilée par Frank Riester début octobre.

Copyright Le Pacte
Parmi les cinéastes signataires de la tribune contre l’élection de Dominique Boutonnat, on retrouvait, entre autre, Aude Léa Rapin, réalisatrice du brillant Les Héros ne meurent jamais, sélectionné cette année, ou encore Alain Raoust réalisateur d’ Un Rêve de Jeunesse qui faisait l’ouverture de l’ACID, une sélection qui s’est toujours construite comme un soutient indéfectible au jeune cinéma indépendant. Autant de films qui nous ont surpris, émus, intrigués, et qui n’auraient probablement pas pu voir le jour dans le contexte de production que dessinais le rapport Boutonnat, aujourd’hui libre de se concrétiser.