Adapté d’un roman de Stephen King, Christine de John Carpenter s’offre une restauration majestueuse sous l’égide du distributeur Carlotta. Trente-cinq ans après, le film n’a pas pris une ride et confirme la place singulière de John Carpenter dans l’industrie hollywoodienne.
Après un prélude montrant la « naissance » de Christine, une Plymouth Fury des années 1950, l’intertitre nous indique une temporalité : l’année 1978. Arnie Cunningham (Keith Gordon) vit chez ses parents et passe son temps à se faire brutaliser par ses camarades de classe. Son meilleur ami, joué par John Stockwell, tente par tous les moyens de lui redonner confiance. Le regard d’Arnie se métamorphose au moment où il aperçoit une vieille bagnole en état de ruine. Il passe ses journées à la retaper, à lui redonner sa splendeur d’antan. Une fois restaurée, Christine peut à nouveau se mettre en chasse.
En 1982, John Carpenter essuie un revers au box-office avec son chef-d’oeuvre The Thing. Il saisit donc l’opportunité offerte par Columbia Picture qui lui propose d’adapter un livre battant tous les records de vente au même moment. Le studio n’a pas oublié le succès remporté par Halloween, la nuit des masques quelques années auparavant. Bill Philipps, le scénariste, modifie un peu l’histoire originale et soumet le script à John Carpenter.
La limite du corps
Christine est un film de bagnole hantée, où la voiture se transforme en une créature vengeresse. De manière progressive, elle possède Arnie et le modifie physiquement et mentalement. Le jeune homme est traversé par des pulsions de violence et la question sexuelle ne l’effraie plus comme en atteste sa relation de plus en plus charnelle avec sa petite amie. L’enjeu du film se situe bien dans ce domaine, celui de la phobie sexuelle. Arnie se sent empêché par son physique et il voit dans sa relation avec Christine, une passion dévorante qui lui fait pousser des ailes. Si quelqu’un la touche, il lui en coûtera le prix ultime. Lorsque les doigts d’un homme l’approche de trop près et la manipulent de l’intérieur, l’agresseur doit en être puni. Cette remarque est valable dans l’autre sens. Christine semble protéger Arnie, ou du moins réagit après coup quand celui-ci est attaqué.
Tension amoureuse
Ce qui est aussi passionnant dans le film de Carpenter, c’est cette réflexion sur l’importance fondamentale de l’automobile chez les jeunes hommes. Cette fascination pour l’objet vient rompre des relations amicales et sentimentales. Arnie s’éloigne de son meilleur ami et n’arrive pas à oublier Christine lorsqu’il sort avec une fille plus âgée que lui. La séquence névralgique, c’est la projection de Dieu merci, c’est vendredi (1978) dans un drive-in. Les deux tourtereaux s’échangent des baisers dans la voiture sous une pluie battante. Au fur et à mesure de la séquence, nous découvrons Leight et Arnie en pleine étreinte, les deux corps se rapprochent avant qu’une main un peu trop entreprenante d’Arnie vient stopper la scène. Quand Arnie lui demande ce qu’il ne va pas, Leigh répond : « Je ne peux pas. Ici. Dans cette voiture ». Une jalousie s’instaure entre la jeune femme et la voiture, prenant le personnage d’Arnie de court. La mise-en-scène de Carpenter est rigoureuse, chaque plan témoignant de cette tension entre les deux amours d’Arnie. Comme dans tout triangle amoureux, un des trois personnages devra s’éclipser.
John Carpenter est un cinéaste majeur. Il a saisi cette folie matérialiste qui s’empare de la jeunesse américaine des banlieues aisées. Le Mal, thème qui circule dans toute la filmographie du réalisateur américain, est symbolisé par un objet, une voiture tellement fétichisée qu’elle devient « vivante ». En attendant de croiser à nouveau le chemin de Christine, cette réédition de très bonne qualité permet de décrasser le moteur d’un film ludique, stimulant et intemporel.