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En menaçant de taxer les vins français, Donald Trump lance une escalade pouvant mener à la guerre commerciale avec la France. Après la Chine, l’économie française et, par extension, celle de l’Union européenne (UE), sont-elles menacées par les Américains ?
Le 26 juillet dernier, Donald Trump annonçait souhaiter taxer le vin français, en représailles d’une loi sur la fiscalité des géant mondiaux du numérique, votée par l’Assemblée nationale dix jours plus tôt. Le texte prévoit notamment l’instauration d’une taxe que devront payer les entreprises dont les activités numériques (vente de données personnelles, publicité en ligne etc.) rapportent un chiffre d’affaire de plus de 25 millions d’euros par an en France. Les GAFA, ces entreprises américaines comme Google, Apple ou Amazon, sont les principales cibles visées par le gouvernement, qui espère récupérer en 2019 près de 400 millions d’euros en réclamant 3 % de leur chiffre d’affaire national.
Ce qui n’était censé être qu’un tweet a pris des tournures de chantage. Ripostant à la taxe « GAFA », le président américain a ouvert une enquête fédérale pour l’autoriser à prendre des mesures punitives contre les importations françaises viticoles. Cette même procédure, surnommée « section 232 », a été utilisée à l’origine de la hausse des taxes sur les produits importés de Chine, dont l’économie pâtit d’une des plus grosses guerres commerciales de son histoire. Au nom de leur « sécurité nationale », les prix des échanges commerciaux entre les États-Unis et la France pourraient donc significativement augmenter, dans les semaines à venir.
Si elles sont appliquées, les menaces de Donald Trump concerneraient un secteur valant 1,7 milliards d’euros : 30 % du vin importés aux États-Unis est français. En cas de conflit, les consommateurs de chaque côté de l’Atlantique paieront la facture du bras de fer commercial, viticulteurs français et acheteurs américains en tête. A l’inverse, la hausse des mesures fiscales contre les GAFA en France pourrait être la première législation d’une longue liste d’autres taxations similaires partout dans l’Union européenne. Malgré ces répercussions économiques, pourquoi les deux alliés ont décidé de se lancer dans la guerre commerciale ?
Entre représailles commerciales et intérêts politiques
La France et les États-Unis ont motivé leur décision avec des arguments macroéconomiques : il s’agissait respectivement de mesures de justice fiscale et de réduction du déficit commercial. Pourtant, les choix d’une taxe GAFA et d’une taxe sur les vins se justifieraient plutôt par des considérations purement politiques.
Donald Trump n’en est pas à sa première proclamation de représailles commerciales. Candidat à sa propre succession, de telles menaces servent sa popularité avant d’amorcer les élections présidentielles de 2020. En se positionnant comme le défenseur des intérêts américains contre les puissances étrangères, le président s’assure du soutien d’une partie de la population, qu’elle soit conservatrice ou démocrate. Pour le moment, la Maison Blanche profite de l’appui de la commission des finances du Sénat, où siègent les deux partis.
De l’autre côté, la taxe GAFA représente une opportunité inédite pour la France de reprendre l’initiative politique au niveau européen sur ce sujet. La fiscalité des géants du numérique a été l’un des sujets brûlants de la dernière législature européenne. Après des mois de négociations, le Parlement européen a refusé de voter un texte pour mettre en place une taxe similaire, à l’échelle européenne. En cause, certains pays comme l’Irlande, la Suède ou le Danemark refusaient d’encadrer leur marché national, où les règles plus favorables aux entreprises numériques leur permettent d’engendrer d’importants revenus publics. Pour contourner la règle de l’unanimité, contraignant les 28 États-membres à s’entendre avant d’agir, Emmanuel Macron a lancé seul sa réforme. Ainsi, il espère entraîner ses voisins européens et se positionner comme le champion européen de la protection du marché unique.
L’Union européenne, véritable adversaire de Donald Trump
Même si les menaces de Donald Trump ne concernent que le secteur viticole français, la réelle victime d’une guerre commerciale entre les États-Unis et la France pourrait être l’Union européenne. Depuis son arrivée au pouvoir, en janvier 2017, ce ne serait pas la première fois que l’Europe subirait les conséquences de sanctions commerciales américaines adressées à un seul État-membre.
L’été dernier, les États-Unis ont imposé des droits de douanes importants sur l’acier et l’aluminium produits en Europe. Les constructeurs automobiles allemands Volkswagen, Daimler et BMW se sont également retrouvés dans le viseur du président américain, qui reprochait à Berlin une concurrence déloyale. En menaçant régulièrement le secteur automobile ou sidérurgique, l’Europe s’est retrouvé à devoir négocier pour empêcher toute nouvelle surtaxes de ses importations. Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avait dû se rendre à Washington pour parvenir à désamorcer l’escalade des tensions commerciales.
Dans le bras de fer entre Washington et Paris, Bruxelles aura donc son mot à dire. La Maison Blanche le sait bien : en menaçant les filières françaises du vin, Trump adopte la même stratégie que celle utilisée contre les voitures allemandes. L’instabilité de sa politique et la virulence de ses tweets participent pleinement à l’intimidation souhaitée par l’administration américaine. L’idée reste de dissuader tout autre pays européens à suivre l’exemple de la France, comme l’Espagne, la Belgique ou le Royaume-Uni l’avaient laissé entendre. Malgré la démarche unilatérale de la France, l’Europe reste le principal rival des États-Unis.
Le marché unique est-il en danger ?
La perspective de surtaxes américaines sur les biens européens est un danger réel pour l’équilibre du marché européen. Les imports de biens européens outre-Atlantique se chiffrent à 267 milliards d’euros en 2018, et les États-Unis restent le premier pays exportateur de biens vers l’Europe, pour une valeur de 406 milliards d’euros. Globalement, c’est un déficit commercial de 110 milliards d’euros que Donald Trump cherche à compenser en attaquant, individuellement ou collectivement, les 28 partenaires européens.
Le président américain s’appuie habilement des dissensions internes en Europe. L’affaiblissement des partis européens traditionnels, le Parti populaire européen (droite libérale) et des Sociaux-Démocrates (gauche) démontre une fragmentation des orientations politiques de l’UE. Que ce soit au Parlement européen ou au Conseil, l’Union peine à imposer un consensus transnational sur les questions économiques. La règle de l’unanimité n’arrange pas les choses puisqu’elle rend structurellement plus difficile l’adoption d’une réaction commune et indivisible des 28 contre les pressions américaines. Un autre avantage pour Donald Trump est le calendrier, puisque la présidence de la Commission européenne est actuellement en période de transition. La passation de pouvoir entre Jean-Claude Juncker et Ursurla von der Leyen n’aura pas lieu avant le 1er novembre prochain.
L’Union européenne a pourtant le pouvoir de riposter. En 2002, elle faisait plier l’ancien président George W. Bush, qui avait lui aussi annoncé une surtaxe des importations sidérurgiques européennes. Suite à la non-intervention de certains pays européens dans la guerre d’Irak, les États-Unis avaient décidé une hausse de 5 à 30 % des frais de douanes. Après un an de conflit commercial, l’Europe s’imposa d’un seul bloc et défendit ses intérêts. Aujourd’hui, le marché unique représente le vivier de consommateurs le plus important du monde : 500 millions d’européens incarnent la puissance commerciale de l’Union européenne, englobant à eux-seuls près de 15 % du commerce mondial des biens. Si Donald Trump est un adversaire infiniment plus coriace et imprévisible que ses prédécesseurs, l’Europe bénéficie toujours de sa force commerciale et peut, à ce titre, protéger les intérêts économiques de ses États-membres.