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Carnet de voyage : sur le Chemin de Saint Jacques de Compostelle

Esposende © Charles Dubief

L’été dernier, j’ai décidé de marcher sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle. J’avais lu des récits de plusieurs pèlerins l’ayant effectués lorsque j’étais plus jeune. Depuis, j’ai toujours eu le désir de partir sur ce chemin sans pour autant trouver le courage de le faire, jusqu’au jour où un ami m’a dit «  On y va  ? », ce à quoi j’ai répondu «  ¡ Vamos  !  » (Allons-y  !). 

Nous avons décidé de ne pas faire le chemin le plus fréquenté, le camino francés (le chemin français) pour pouvoir profiter du calme. Nous avons donc choisi le camino portugués, longeant une partie de la côte du Portugal jusqu’à Saint Jacques de Compostelle. Nous avons minutieusement préparé notre sac à dos puis nous sommes partis. Nous étions au début du mois de juillet. 

© ACIR Compostelle

La diversité des paysages

Le chemin de Saint Jacques de Compostelle devait m’apporter le calme dont j’avais besoin après quelques difficultés personnelles. Je comptais profiter de la nature pour pouvoir m’offrir un havre de paix avant de retourner à la capitale. Étant donné que l’itinéraire longeait la côte portugaise, le début du chemin était rythmé par les vagues de la mer. Elle était notre compagnon de voyage. C’était elle qui nous disait où aller. Nous traversions des villages de pécheurs qui semblaient inchangés depuis plusieurs décennies. Puis, quelques heures de marche plus tard, nous nous retrouvions parfois au milieu de nulle part, sur des terres vierges, où seuls des troupeaux esseulés venaient nous aborder. Il n’y avait rien de plus que  : la mer, la nature et les troupeaux. De ma vie, je n’ai jamais ressenti un tel calme. A quelques jours de marche de là, nous retournions au milieu de la foule, dans des célèbres villes balnéaires dont les noms m’échappent aujourd’hui. 

Après de nombreux jours de marche au bord de la côte, nous nous enfoncions dans les montagnes portugaises. Nous nous perdions dans des forêts épaisses. Après avoir perdu de vue notre mer, je me souviens que nous avons marché plusieurs jours dans ces montagnes. Dans ces d’endroits, nous pouvions rencontrer la solitude du chemin, celle qui permet de réfléchir sur nous-même. Nous faisons parfois la connaissance d’endroits inviolés depuis plusieurs siècles. 

Chemin entre Póvoa de Varzim et Vila do Conde © Charles Dubief

Après avoir ressenti cette solitude complète au milieu des montagnes, nous descendions pour traverser des villages. Les habitants regardaient notre coquille Saint-Jacques que nous arborions sur nos sac-à-dos et nous souriaient en disant «  ¡ Buen camino  ! » (Bon chemin  !). Certains nous proposaient du café (ou de la bière en fonction de l’heure). D’autres en profitaient pour nous raconter leurs aventures passées  : l’un rêvait d’être matador, un autre nous racontait ses expériences amoureuses en France.

Des rencontres incroyables

Le chemin de Compostelle ne peut se résumer à quelques paysages. Ce qui m’a le plus marqué sur ce chemin, c’est l’ouverture des pèlerins. Dès le premier jour, nous avions rencontré deux personnes : une Italienne, Béa, et une Allemande, Bastienne, qui avaient un peu près notre âge et avec qui nous nous avions marchés tous les jours lors de cette aventure. Beaucoup de choses nous auraient opposées dans la vie « réelle » mais le chemin nous a rapproché. Nous avons parlé des jours entiers sur nos vies, nos expériences et nos opinions sans que cela nous lasse. 

Si nous rencontrions de nombreux jeunes comme nous en quête de «  vacances d’été originales  », nous faisions connaissance avec des personnes qui avaient fait le chemin pour des raisons plus intimes et spirituelles. Nous avions rencontré à la frontière hispano-portugaise un vieil homme, José, qui faisait le chemin depuis plusieurs années. C’était un homme très gentil et drôle. Pourtant, j’ai appris par une connaissance que celui-ci était un ancien pécheur ayant fait naufrage au milieu de la Méditerranée. Il aurait survécu de cet accident en s’agrippant aux corps de ses compagnons morts. On aurait réussi à le secourir mais depuis ce jour, il a décidé de faire pendant 10 ans le chemin de Saint Jacques de Compostelle.   

Le chemin est un endroit où l’on apprend à relativiser. D’autres ont eu eux aussi des graves accidents et ont décidé de faire ce chemin pour pouvoir réfléchir dessus. Pourtant, ces personnes nous narraient toujours leurs difficiles histoires avec le sourire. C’était ça la magie du chemin. 

Une arrivée émouvante à Compostelle

Saint Jacques se faisait finalement attendre. Arrivé à Tuy, je regardais la colline avec les larmes aux yeux. J’avais terriblement mal aux pieds et une de mes chevilles gonflaient dangereusement. Je n’attendais que d’arriver à Saint Jacques de Compostelle pour enfin me reposer. Tuy était un symbole : c’est la ville qui nous annonce que nous sommes arrivés à la frontière espagnole. A partir de cette ville nous savions qu’il nous restait 4 jours de marche.  

Cathédrale de Saint Jacques de Compostelle © Charles Dubief

Quelques jours plus tard, nous étions le 29 juillet. Nous avions marché de 5 heures à 11 heures et étions déjà arrivés à notre destination du jour. Nous devions arriver le lendemain à Saint Jacques de Compostelle. Or, ce jour-là, c’était mon anniversaire, et je me souviens qu’en riant j’ai dit à mon ami « Viens ! Nous ne sommes pas trop fatigués aujourd’hui, allons à Saint Jacques maintenant. Ça serait un chouette cadeau d’anniversaire que d’arriver aujourd’hui ! », ce à quoi il m’a répondu « C’est à 30 km d’ici, on ne peut pas marcher 55km dans la même journée ! ». J’ai seulement répondu « Pas cap ?  ». Il a souri et nous avons marché 55 km ce jour-là. 

Six heures plus tard, nous sommes rentrés dans cette ville. Je me souviens avoir réussi à percevoir les flèches de la cathédrale une fois que nous étions à quelques centaines mètres de celle-ci. Puis, nous y étions enfin ! Nous avions réussi à marcher plusieurs semaines pour arriver devant cette cathédrale. Les larmes me venaient aux yeux. J’enlassais mon ami. Puis nous nous sommes assis devant. Nous regardions les pèlerins qui arrivaient au fur et à mesure devant cette cathédrale : certains s’agenouillaient, pleuraient, dansaient. Nous avons revu des anciens compagnons de route. Nous nous prenions dans nos bras en disant « ¡ Lo hemos hecho ! » (Nous l’avons fait !).

Nous avions réussi ce défi de marcher plusieurs semaines pour arriver à Saint Jacques de Compostelle. Si on m’avait posé la question « Pourquoi tu as fait ce chemin ?  » avant que je parte, je peinerais à y répondre. Mais si on me posait cette même question aujourd’hui, alors je répondrais sans doute, ému, « Fais-le et tu comprendras ! »

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