Dix ans après le déluge de larmes du troisième volet, la saga Toy Story revient nous combler avec un opus à part dans l’historique des films Pixar. Car, plus que jamais, pour la bande à Woody, il est temps de vivre sa vie.
On la pensait impossible, cette suite, estimant la fin du troisième volet de 2009 (dix ans, déjà) parfaite par l’assemblage entre la nécessité de cohérence, celle de la trilogie, et l’explosion d’une émotion (le déluge de larmes). Dès les premières minutes de Toy Story 4, le doute laisse place à l’excitation, à la renaissance des images. On est comme rassuré quand Je suis ton ami revient bercé nos oreilles, tandis que l’on observe Andy, toujours là, jouer avec ses/nos jouets. Rassuré car les souvenirs reviennent. Ils sont une sensation, surtout pour la génération 90’s à laquelle j’appartiens, celle qui a pu toucher virtuellement du doigt le chapeau de Woody, les ailes de Buzz et même l’appareil dentaire de Sid. Tandis qu’on se rappelle, Pixar nous confirme qu’il fallait bien continuer, confronter leur génie à une aura, celle des jouets, plus contemporaine : la farouche lutte pour l’indépendance et la différence, à travers les notions de féminisme, mais aussi de handicap. Pixar non seulement confirme qu’ils sont les plus grands conteurs de notre époque, et greffe leur savoir-faire sur une belle promesse d’avenir : pour ses jouets et ses spectateurs.

Pixar, à part
C’est donc ce ressort contemporain qui a convaincu Pixar de continuer et se contient dans un concept de mise en scène assez à part. Le contrechamp humain, celui du propriétaire, n’est plus tellement d’actualité : la vie des jouets, bien sûr, se fait dans le dos des hommes, mais l’action pensée par Josh Cooley se cloisonne pour mieux donner l’impression d’une seule et même unité d’espace et de temps. Preuve : les deux tiers du film se déroulent dans un parc d’attraction bon marché, en marge d’un village modeste. L’unité de mesure de l’action, ici, est assez à part dans le registre Pixar, si l’on excepte Vice-Versa et son faux huis-clos (les émotions étant constamment enfermées dans la tête de Riley). Dans l’historique Disney, on pense beaucoup à The Last Jedi de Rian Johnson, qui justement fermait son récit pour mieux repositionner le point de vue d’une saga.
Le film donne clairement cette sensation de pause dans l’univers, sans se contenter de gérer les transitions entre l’univers perdu (Andy) et retrouvé (Bonnie) du volet précédent, ou juste de prolonger. Si nous utilisons le verbe « continuer », c’est qu’il est tout bonnement indicatif de l’esprit qui possède les jouets à ce moment précis de l’univers. Il est le vecteur d’une conviction que l’on connaît – continuer sa mission protectrice envers son propriétaire, incarnée par Woody – et d’un renversement de celle-ci. Toy Story 4, surtout par son cow-boy malicieux mais un brun égoïste, est en fait une vaste théorisation des conditions à travers l’alternance entre un confort conscientisé et la possibilité d’en suivre de nouvelles. Par la relation Woody-Bo – le premier voit ses certitudes bouleversées par la réapparition de son ancienne amoureuse, et la création d’un déchet devenu jouet (génial Fourchette) –, le jouet devient le propre contrechamp de sa condition. Plus que jamais, Toy Story 4, par sa mise en scène et son propos, incarne sa promesse de départ de la saga : donner la vie aux jouets.

Jouet du moment
Par les notions de féminisme (la Bergère, badass mais toujours aussi sensible dans le cœur) et de handicap (Fourchette encore lui, mais aussi Gabby Gabby et son système vocal défectueux), Toy Story 4 est forcément le volet le plus engagé, sans dénaturer l’émotion : on pourrait reprocher au deuxième voire troisième volet de ne pas trop se livrer pour la favoriser. Or, Josh Cooley et ses animateurs se ne se permettent aucun écart : le film passe à une vitesse folle, même la fin paraît trop courte. Comme Alita plus tôt cette année, voilà encore un film qui utilise le contemporain pour mieux créer une tension dans sa narration, et la rendre plus belle encore.
Alors bien sûr on serait tenté d’en dire plus sur la fin, l’absence certaine d’antagonisme – autre fait à part chez Pixar – et la recherche constante d’une lumière (à l’extérieur de l’antiquaire, ou à l’intérieur de la conscience de Buzz), mais Toy Story 4 a tout l’air d’un cinéma du moment. Comme si chaque fait et geste reposait sur l’instant présent : ce motard québécois loser qui se concentre sur l’instant pour réussir, Fourchette qui joue naïvement à cache-cache, plusieurs regards qui se croisent… Et à travers cette conviction se cache un instant de réflexion, propre aux images et à la parole que les créateurs souhaitent leur conférer. Vivre la vie d’un jouet, c’est accepter de vivre en tant qu’image, et vice-versa. Rien n’est plus beau que cette conclusion pour cette fiction, et à posteriori pour les spectateurs qui ont été bercés par celle-ci, comme heureux d’apprendre qu’eux-mêmes et les jouets pourront, enfin, vivre leur vie, en même temps, mais chacun de leur côté.