La commission nationale d’investiture du parti de la majorité doit désigner mercredi soir le candidat à la mairie de Paris. Mais ce qui semblait être une formalité tourne au casse-tête rue Sainte-Anne.
Jusqu’à présent, Cédric Villani faisait figure de personnalité publique que l’on pouvait facilement qualifier d’originale. Mathématicien, il a obtenu la médaille Fields en 2010, habituellement décrite comme l’équivalent du Prix Nobel pour la discipline. Celui qui fut un temps professeur à l’ENS Lyon a également dirigé l’Institut Henri-Poincaré pendant près de 10 ans — l’un des instituts de recherches universitaires les plus célèbres de France. Cette notoriété, il la doit aussi, pour partie, à son style vestimentaire, qui contrebalance une composé des indissociables coupe au carré, broche araignée et lavallière. Avec cette dernière, au moins, il n’a pas eu de problème avec l’application du règlement de l’Assemblée Nationale.
Car, en effet, Villani, après avoir été le soutien peut-être le plus atypique de Macron à l’élection présidentielle, a été élu député du parti majoritaire dans l’Essone, ce qui lui a valu quelques moqueries. Notamment Jean-Luc Mélenchon, qui, lors de la rentrée des députés, avait voulu jouer au professeur avec celui qu’il appelait dédaigneusement “le matheux” : « Quand je vais lui apprendre ce qu’est un contrat de travail, il va tomber par terre ».
Mais Cédric Villani a fait fi des railleries. Il faut dire qu’avant l’épopée macronienne, il avait déjà expérimenté le terrain politique, en soutenant notamment Anne Hidalgo à la conquête de la mairie de Paris de 2014. Aujourd’hui, il veut la lui ravir, au point de mettre La République en Marche ! dans une situation délicate.
En effet, pour Emmanuel Macron en 2017, le soutien de Cédric Villani dans sa course aux présidentielles cochait grassement la case “société civile”, une de ses marques de fabrique. Le problème, c’est que ce soutien original, qui a pu paraitre un temps risible, se transforme en menace pour le premier cercle du président, et précisément pour Benjamin Griveaux car s’il y avait bien un parachutage certain depuis un moment au sein du parti, c’est bien le sien à Paris. Une récompense à la mesure de la loyauté dont l’ancien porte-parole du gouvernement a fait preuve à l’égard d’Emmanuel Macron.
Mais voilà que Cédric Villani vient mettre des bâtons dans les roues de Griveaux. De par ses soutiens, tout d’abord. À ses côtés depuis quelques jours déjà, Mounir Mahjoubi et Anne Lebreton, deux des trois autres candidats à s’être désistés, en premier, pour soutenir Villani. On compte aussi le soutien de Mathieu Orphelin, député démissionnaire d’En Marche, et porte-parole un temps de la fondation Hulot. Face à cela, Griveaux a bénéficié du soutien d’un autre candidat démissionnaire, Antonio Duarte, et de 34 élus parisiens, ayant signé une tribune. Mais au-delà de cette bataille de soutien qui polarise le parti, ce qui rend Villani embarrassant, c’est qu’il reproduit la stratégie mise en avant par Macron lors de l’élection présidentielle de 2017. S’appuyer au maximum sur la société civile, face à des candidats d’appareil. L’“ancien monde” que prétendait combattre Macron, c’est aujourd’hui lui qui le représente, en avançant Griveaux sur l’échiquier des municipales parisiennes. Par ailleurs, dans sa recherche d’appui sur la société civile, Villani se montre pragmatique : sur la question de la police municipale, il compte dialoguer avec son soutien Jean-Michel Fauvergue, député de la majorité mais surtout ex-patron du RAID. Imparable. Ce pragmatisme dans la recherche de l’adéquation du poste avec la question à traiter rappelle là encore Macron, qui a nommé l’ancienne dirigeante de la RATP au Ministère des transports, ou encore l’ancienne dirigeante d’Actes Sud à la Culture.
En même temps, Macron reste un modèle pour Villani, à qui il a rappelé sa loyauté. Villani a d’ailleurs la même vision rassembleuse que le Président de la République, son projet visant à réunir de l’écologie socialiste à la droite progressiste.
Mais il met également en avant sa vision rigoureuse de la politique, et, logiquement, probablement par déformation professionnelle, basée sur l’analyse scientifique. Sur le passage à 50 km/h du périphérique, au micro de Jean-Jacques Bourdin, il considère que « ça n’a pas été fait sur bases rationnelles ». Avant de poursuivre : « est-ce que ça s’appuie sur des faits, une analyse scientifique ? La réponse est non. », Auguste Comte a trouvé là un fervent disciple.
Puis, il n’hésite pas à sortir les crocs et critique sans sourciller le bilan d’Anne Hidalgo, qu’il ne trouve pas satisfaisant. Il joue également sur la corde sensible du banlieusard qui vit les mouvements pendulaires comme de nombreux franciliens. Utilisateur quotidien du RER B, il connait même le prix du Navigo. Oui vraiment, sa vision est d’une précision mathématique.
« Transformer Paris en ville écologique modèle, une ville qui protège et accompagne ses habitants, une ville qui s’inscrit dans le futur avec beaucoup de rigueur et beaucoup d’ouverture. »
Il a donc de quoi faire réellement chanceler la voie toute tracée de Griveaux, du moins y provoquer quelques turbulences. Griveaux de son côté lui, souffre depuis le début du mandat et même avant de l’image de l’homme arrogant, bien que certains marcheurs lui reconnaissent des qualités de travailleur. Mais Griveaux ne débarque pas. Depuis quelques mois, il laboure la capitale en sous-marin, armé d’un petit carnet, comme Delanoë fut un temps.
Le casse-tête des municipales, bien qu’il se pose sur tout le territoire et cause actuellement des dissension entre LREM et son allié, le MoDem, ne fait que commencer rue Sainte-Anne . D’autant que le mode de désignation du candidat semble en ennuyer certains, à commencer par les principaux intéressés. D’autant que si la lutte s’envenime autour de cette désignation — Hugues Renson, député de Paris et vice-président de l’Assemblée, est le troisième candidat encore en lice — le Premier ministre pourrait bien être appelé en dernier recours. Bien que le patron des marcheurs à l’Assemblée, Gilles Le Gendre, démente toute forme de candidature de la part d’Édouard Philippe, la rumeur s’est solidement ancrée et l’intéressé n’a pas démenti. Et l’expression “premier ministrable” commence à revenir dans les colonnes et les coursives parisiennes. Paris ne se gagne pas en un jour.