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Festival d’Avignon – « Granma. Les Trombones de La Havane » : le Rimini Protokoll tire le bilan de la révolution castriste

© Christophe Raynaud de Lage

A travers le récit de quatre jeunes cubains, le collectif allemand dresse le portrait de Cuba, de la révolution castriste à nos jours. Une réussite formelle mais un peu trop donneuse de leçons.

Diana, Milagro, Daniel et Christian sont des cubains de moins de 35 ans et des petits-enfants de la révolution castriste. Leurs grands-parents, chacun à leur manière, ont pris part à la révolte communiste qui, depuis le renversement de la dictature de Batista en 1959, constitue détient le pouvoir sur l’île. Pendant deux heures, il nous font le récit de soixante ans d’histoire et d’utopie. Dans une mise en scène rythmée et inventive, qui mêle témoignages intimes, musique et vidéo, le Rimini Protokoll poursuit son œuvre de théâtre documentaire et offre un autopsie bienvenue – même si passablement hagiographique – du régime cubain.

Protocole bien rôdé

Régulièrement invité à Avignon, le collectif allemand mené par Stefan Kaegi a l’habitude de proposer des expériences politiques, sensorielles et immersives. Au  Festival, on peut notamment citer Avignon remote en 2013 qui proposait aux spectateurs de faire une ballade dans la ville, sorte de super-visite guidée et, plus récemment à la MC93 de Bobigny, on peut rappeler le très touchant Nachlass, pièces sans personnes où le public était invité à découvrir en quelques minutes l’intimité de personnes disparues. Dans Granma, le Riminki Protokoll s’intéresse à Cuba et à l’héritage de la révolution castriste et évoque, par le prise de l’intime, ses réussites et ses échecs.

© Christophe Raynaud de Lage

Pour concevoir ce projet, Stefan Kaegi a passé plusieurs mois sur l’île à la rencontre de ses habitants aux vies souvent difficiles, confrontés à une situation économique fragile et une crise du logement chronique. De cette contrainte, qui oblige encore plusieurs générations à vivre ensemble dans des habitations exiguës, est né le spectacle. Car de cette cohabitation passablement forcée découle une connaissance très fine du passé de l’île par les jeunes générations, à même de raconter l’histoire de leur pays. On pourrait craindre une narration chronologique lassante et rébarbative mais la recette est bien rodée et, avec intelligence, Granma ne s’arrête que sur les évènements marquants ou significatifs, sans pour autant délaisser les petites choses qui font tout le sel du quotidien. Ainsi, entre les grands discours et le récit de la crise des missiles de 1962, on se régale d’entendre conter les avaries de l’électroménager russe progressivement remplacé, évolution géopolitique oblige, par les ustensiles chinois (tous aussi moches mais plus fiables parait-il).

Kaléidoscope de la révolution

Sur scène donc, les quatre jeunes cubains décortiquent à tour de rôle cet héritage historique et familial depuis l’arrivée sur l’île du Granma, le bateau sur lequel les premiers révolutionnaires ont débarqué en 1959. Une vision à 360° de la révolution au travers du destin de leurs aïeux : une couturière noire, un homme politique proche de Castro, un chanteur et un militaire.

Evidemment, leurs visions diffèrent. Milagro, jeune étudiante, rêve de devenir professeure même si cela sous-entend se contenter d’un salaire de 16$ par mois – une somme qu’elle gagnerait en quelques heures en tant que guide touristique- Pour elle, il s’agit de perpétuer le rêve castriste d’une éducation populaire et gratuite pour tous comme elle a pu en bénéficier elle-même. Elle considère qu’en dépit de toutes ses limites, le système cubain vaut mieux que la société capitaliste, ses supermarchés hypertrophiés et ses SDF. Daniel a une vision plus mitigiée. petit-fils d’un ancien ministre des biens mal acquis de Castro, son grand-père déjà avait pu constater les limites et l’hypocrisie à l’œuvre dans le mouvement révolutionnaire. Si elle a effectivement permis un accès démocratisé à l’éducation ou à la médecine, la révolution a aussi largement permis de remplacer une caste de bourgeois par une autre d’apparatchiks du parti. Bien qu’encore très jeune, Christian est également déjà revenu de ses idéaux d’adolescence et de son envie d’armée, même si cela veut dire renoncer à poursuivre la carrière de son grand-père.

Pour mettre en musique tous ces héritages, il faut Diana et son trombone. Musicienne professionnelle, petite fille d’un chanteur de groupe de musique cubaine, elle a enseigné durant un an les bases du trombone aux trois autres acteurs et ce sont ces intermèdes musicaux qui donnent tout son souffle et son rythme à la pièce.

© Christophe Raynaud de Lage

Leçons de l’histoire

Bien qu’elle emporte et n’ennuie jamais, la proposition pêche un peu par l’aspect donneur de leçons de ses interprètes. S’ils ne font pas l’impasse sur certaines des limites de leur régime (racisme, pénurie de logements, faiblesse des salaires et des perspectives professionnelles), ils se montrent particulièrement enclins à tacler le mode de vie occidental et capitaliste, ses excès, ses inégalités, sa bourgeoisie mais aussi son atlantisme face à la politique américaine vis-à-vis de Cuba. Bien souvent, ces critiques sont justifiées et, puisqu’elles sont dîtes avec le sourire, on les accepte sans trop de peine. Mais, constamment réitérées, elles finissent par agacer à et sonner comme un peu faciles. Comme souvent chez le Rimini Protokoll, la pièce est interactive et, à intervalles réguliers des spectateurs sont invités à lancer une balle sur scène. On regrette pour une fois que le dispositif ne laisse pas plus de droit de réponse au public tant on aurait parfois envie de demander à Milagro, qui s’insurge contre la quantité de référence de shampooings en vente dans les supermarchés français, à quand remonte la dernière élection libre à laquelle elle a participé et si elle aurait pu si facilement sortir de Cuba si elle n’avait pas fait partie d’un projet artistique.  D’un côté comme de l’autre, tout est plus complexe qu’il n’y parait.

Granma. Les trombones de La Havane du Rimini Protokoll. Au Festival d’Avignon ( Cloître des Carmes) jusqu’au 23 juillet. A La Commune, centre dramatique national d’Aubervilliers du 4 au 8 décembre 2019 dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Durée : 2h

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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