Photo : © Ray Taylor
En 1987, U2 sort The Joshua Tree. À l’époque déjà paré de succès, le groupe connaît avec ce disque une consécration internationale qui ne le quittera plus jamais. Résultat d’un chemin parti du rock, traçant tout droit vers une musique qui se veut universelle, celle que l’on chante dans les stades.
9 janvier 2017. Les fans de U2 sont aux anges. Pour fêter les 30 ans de The Joshua Tree, le groupe annonce une tournée anniversaire. Une soixantaine de dates en Amérique et en Europe, pour célébrer l’album certainement le plus important de leur carrière, et surtout le plus apprécié du public. Il y a quelques jours, U2 a annoncé remettre le couvert avec un nouveau Joshua Tree Tour, en Asie, en Nouvelle-Zélande et en Australie, pour la fin de l’année. Histoire que le monde entier, ou presque, puisse in fine en profiter.
Avant The Joshua Tree, U2, c’est du rock. Simple, basique. Ce sont des compositions énergiques comme I Will Follow qui ouvre le premier album du groupe (Boy, 1980), c’est un style rebelle, notamment pour le chanteur, Bono. Ce sont des concerts qui prennent de plus en plus d’ampleur, et c’est surtout leur troisième album, War, et son titre qui deviendra emblématique : Sunday Bloody Sunday. Manifeste contre la guerre civile en Irlande, mais elle-même très martiale, la chanson est l’étendard d’un album intense. Ajoutez à cela une prestation remarquée lors du Live Aid de 1985, où Bono fait chanter à la foule « no more ! » (« plus jamais »), et U2 s’est donné une identité : les quatre Irlandais font du rock, électrique, puissant, « héroïque », et même politique, dans la lignée du mouvement punk.
Au moment de se lancer dans l’aventure de The Joshua Tree, U2 sort d’une tournée de près d’un an, issue de l’album The Unforgettable Fire, le premier produit par le maitre de l’ambient, Brian Eno. Dans un style plus apaisé, aux sonorités plus expérimentales, U2 enregistre dans le château de Slane en Irlande ce disque qui préfigure le prochain, de l’aveu même de The Edge, le guitariste du groupe : « sans cet album, The Joshua Tree ne serait probablement jamais né. » Et pour cause. C’est là que la mue, achevée dans The Joshua Tree, a commencée.
À la recherche des tubes
Certes, au milieu des années 1980, U2 s’est déjà fait un nom, et peut compter sur ses fans. Mais le segment rock semble tomber un peu en désuétude sur la scène internationale, la deuxième moitié des années 1980 étant marquée par l’adhésion du public à des choses plus pop, en témoignent les succès d’a-ha, Lionel Richie, Queen, Madonna ou encore le début de la carrière solo de Sting. Et surtout, U2 manque de tubes, c’est en tous cas à l’avis de The Edge à l’époque ; de chansons que tout le monde connait, qui soulèvent les foules, que l’on chante dans les stades.
The Joshua Tree s’ouvre avec ses trois chansons, celles qui restent comme les tubes les plus importants de U2 : le lyrique Where The Streets Have No Name, le gospel I Still Haven’t Found What I’m Looking For, et la ballade romantico-dramatique With or Without You. Les deux derniers sont d’ailleurs les seuls titres du groupe à avoir été classé numéro 1 aux Etats-Unis. Important, car The Joshua Tree, c’est l’album américain de U2. Très inspiré par les grands espaces (le titre étant une référence à ces arbres que l’on trouve dans le désert de Mojave, au sud de la Californie) jusque dans les paroles ; les références à la musique noire, le blues et le gospel, sont évidentes. La recette fonctionne : des références, des mélodies entêtantes, des paroles que l’on retient, U2 tient un album que l’histoire retiendra.
La scène plus que tout
C’est sur la tournée de The Joshua Tree que U2 va commencer à faire des concerts de très grande ampleur. Des stades pleins à craquer, à plus de 50.000 spectateurs aux Etats-Unis, et surtout un concert devenu légendaire pour les fans français : plus de 70.000 personnes réunies sur l’hippodrome de Vincennes tout près de Paris, un concert immortalisé en vidéo. La tournée est pharaonique : 112 dates, 13 pays, 3 millions de spectateurs à travers le monde. U2 se dévoile sur scène.
Si ça marche si bien en concert, c’est très certainement parce qu’avec les chansons de The Joshua Tree, U2 s’est construit des hymnes, joués quasiment lors de chaque concert depuis plus de 30 ans. Certes avant cela il y avait eu Sunday Bloody Sunday, ou encore Pride (In The Name of Love). Mais ce n’était pas la musique de stade comme le sont les « oh oh oh oh » de With or Without You, repris en choeur par la foule lors de chaque concert, ou encore la cavalcade ininterrompue de Where The Streets Have No Name. A propos de cette dernière, Bono confie en 2004 au Los Angeles Times :
« On peut être au beau milieu du pire concert de notre vie, mais quand on attaque cette chanson, tout change. Le public est debout, chante tout du long. Soudain, c’est comme si Dieu traversait la salle. C’est le moment où le métier s’arrête et où la spiritualité commence. »
La bascule, elle est là, cette année 1987. Quand U2 comprend qu’il devient un groupe à part, un groupe surperstar, sûr de remplir n’importe quel stade. Des hymnes, U2 va continuer d’en inventer. Le prix : mettre de côté le rock, la recherche du son, pour faire des tubes, et des tournées gigantesques. Le paroxysme étant atteint avec le 360° Tour : une scène circulaire permettant de voir le concert de partout dans un stade (90.000 spectateurs au Stade de France, alors que l’on en met d’ordinaire 50.000 à 60.000), une centaine de dates en deux ans, et plus de 700 millions de dollars de recettes brutes, en faisant la tournée la plus rentable de l’histoire de la musique.
Les défauts de leurs qualités
Ce succès n’est pas dissociable d’une personnalité forte, celle de Bono. Très expressif, séducteur avec son public, charismatique, l’Irlandais, piètre musicien, et qui n’est assurément pas le meilleur chanteur de sa génération, compense avec sa présence scénique. Il crée la communion avec un public acquis à sa cause, distillant entre les chansons ses messages de paix et d’amour, ses engagements politiques. Au point d’agacer, car ses détracteurs estiment qu’il en fait trop. U2 cristallise une forme de haine de la part du monde autorisé de la musique : un groupe trop mou, consensuel, naïf… Il est même de bon ton finalement, de critiquer U2 pas tellement pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il représente. Un groupe propre sur lui, avec qui rien ne dépasse ; des paroles parfois niaises, une musique trop souvent simple voire simpliste ; et surtout, un chanteur diva, qui met ses engagements trop en avant au goût de certains.
Mais U2 réussit depuis 30 ans ce que très peu de groupes sont parvenus à faire : être ultra populaire sur la durée. Une longévité , avec de nouveaux disques régulièrement et des tournées qui marchent encore autant, avec une telle ampleur : aucun groupe ne peut en dire autant. Quoiqu’on en dise, U2 entraine, touche, parle à des millions de gens. Mais oui, c’est vrai, U2 n’a pris aucun risque depuis bien longtemps. Ce qui n’empêchera pas les Irlandais de marquer l’histoire de la musique dans l’esprit de tous, d’une manière ou d’une autre.