SOCIÉTÉ

Pour faire vivre la campagne, ces apprentis journalistes se Creuse la tête

Pendant deux semaines, une douzaine d’étudiants en journalisme ont sillonné les routes de la Creuse, deuxième département le moins peuplé de France, pour parler ruralité, en faisant un pas de côté.

Cela pourrait ressembler à des vacances loin de tout : douze copains, un grand gîte en pleine campagne limousine, le soleil, et la douceur d’un mois de juin. Pourtant, les douze copains sont une équipe de journalistes, le gîte une vraie salle de rédaction, la campagne creusoise, leur terrain de reportages. Pendant deux semaines, ces journalistes en alternance entre l’Ecole Supérieure de Journalisme et le groupe de presse quotidienne régionale La Montagne, ont écrit sur la Creuse, et ses habitants. Sans clichés, ni langue de bois.

Traiter tous les sujets

Des difficultés de la ruralité au football, de la peinture à la prostitution, la pluralité des sujets est totale, la liberté aussi, en suivant une seule ligne directrice : « le thème, c’est la vie en ruralité, explique Antoine, rédacteur en chef durant ces deux semaines. Le but, c’est de se faire plaisir, en sortant un peu des carcans de la presse écrite, où il faut rendre des articles à telle heure, et qui doivent faire telle taille. Là, on peut prendre le temps, et on n’est pas contraint par le papier. » En effet ce journal-école ne passe pas sur les rotatives, mais il est réalisé via un site internet, intitulé Entendez-nous dans nos campagnes. De quoi faire du reportage photo, du podcast, ou encore de la vidéo. « Ça permet de répondre totalement à notre formation qui est à la fois presse écrite et multimédia », précise Jean-François, qui fait partie des douze apprentis journalistes de cette rédaction éphémère. Le temps du journal uniquement papier étant révolu, les étudiants appliquent les nouveaux usages « pour faire vivre sur internet le sujet de la ruralité ».

Utiliser la technologie aussi pour faire naître un sujet, comme celui autour de l’homosexualité : « un de nos journalistes s’est créé un profil sur Tinder, en expliquant qu’il était journaliste, et qu’il cherchait des témoignages pour un article, développe Antoine. Résultat, il a le témoignage d’un jeune homme, qui vit dans un petit village de la Creuse, et qui cache son homosexualité, notamment à ses parents. Il parle aussi des difficultés qu’il a à faire des rencontres. » S’écarter de l’actualité chaude, et institutionnelle, les apprentis de l’ESJ ne sont pas, pendant quinze jours, dépendants d’un quelconque agenda.

Et puis il y a des sujets plus classiques, comme les fermetures de classe, les problématiques économiques. « Des sujets plus lambda mais sur lesquels on a pu utiliser de la vidéo, de la data, des infographies, poursuit Antoine, pour faire du long format, ce qui n’est pas possible dans un quotidien local. »

Un autre regard

Certains font un pas de côté, en proposant par exemple un podcast sur les bruits de la nature, ou le portrait-type d’un maire creusois. D’autres penchent vers le journalisme de solution, en réalisant des sujets sur des associations, ou l’innovation sociale. Et puis il y a les sujets plus lourds : l’homosexualité que l’on a évoquée ; la prostitution très développée sur internet ; le passé industriel du département, aujourd’hui révolu et dont les infrastructures font désormais office de musées non-officiels, comme la mine d’or du Châtelet. « On veut apporter un autre regard sur la campagne, un peu neuf, un peu jeune  », affirme Chloé, autrice de son côté notamment d’un article sur le tourisme naturiste dans la région. « Et un peu déconnant, assume Antoine. Pas question que ce soit barbant, de tomber dans le fatalisme en expliquant que la ruralité ce n’est que les services publics qui ferment, des territoires habités par des vieux… On apporte de la fraîcheur. »

Evidemment, l’expérience sert avant tout les étudiants eux-mêmes. « Ça nous permet de faire ce vers quoi on veut aller plus tard  », explique Jean-François. « Et de comprendre pourquoi on fait ce métier », abonde Chloé. Avoir une vision, en définitive, assez éloignée il faut bien le dire de leur quotidien de journaliste en local. Une sorte de slow journalisme, qui semble être l’idéal des douze compères.

« On privilégie la qualité à la quantité, on ne fait pas du productivisme. »

Prendre le temps, c’est aussi rencontrer, discuter, échanger avec les habitants. « Écouter les gens, c’est une de nos missions premières », souligne Jean-François. Une mission qu’il n’est pas toujours possible de mener à bien lorsque l’on travaille dans un quotidien : «  moi j’avais déjà travaillé un an en Creuse au début de l’alternance, explique Antoine. Mais là en prenant plus le temps, j’ai pu découvrir plus de choses sur ce territoire. Il y a un tissu associatif impressionnant, et on prend vraiment du plaisir à mettre ça en lumière ». Porter un autre regard sur le monde, c’est peut-être ce qui mènera le monde à porter un autre regard sur les journalistes.

You may also like

More in SOCIÉTÉ