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Exposition – « C’est Beyrouth » : Beyrouth la belle à l’Institut des Cultures de l’Islam

© Vianney Le Caer

« C’est Beyrouth », expression presque consacrée pour désigner le chaos, est aussi le beau titre de l’exposition qui se tient actuellement à l’Institut des Cultures de l’Islam de Paris. L’occasion de se balader dans cette ville multiconfessionnelle, éternellement tiraillée entre son histoire complexe et son statut de « Paris du Moyen-Orient ».  

Porte d’entrée du Moyen-Orient, épicentre d’une géopolitique régionale plus que tourmentée, ville de fêtes mais aussi de culture, Beyrouth semble tout être à la fois, ce qui explique sûrement la fascination qu’exerce la ville, à l’ouest comme à l’est. On retrouve tous ces tiraillements dans la très belle exposition qui se tient à  l’Institut des Culturels de l’Islam (ICI) de Paris jusqu’au 28 juillet 2019.

Ville Lumière

Beyrouth a longtemps été considérée comme le « Paris du Moyen-Orient », en référence à la libéralité, au cosmopolitisme et au raffinement de sa (haute) société. Comme sa cousine française, la capitale libanaise pourrait aussi revendiquer le titre de « ville Lumière »  mais pour des raisons bien différentes. A Beyrouth la lumière est celle, zénithale, du bord de mer, la ville étant construire sur la rive de la méditerranée. Il fait souvent chaud, le ciel est très bleu, et que l’on vienne du quartier chrétien cossu d’Achrafieh ou du plus populaire Hamra, on vient se promener sur la corniche réaménagée voire, si on a les moyens, on va se prélasser dans l’un des clubs privés avec piscine situés en contrebas. Toutefois, si vous êtes un homme (l’espace public libanais est extrêmement genré et finalement très peu occupé par les femmes), vous pouvez aussi envisager d’aller faire bronzette aux anciens bains militaires. Ce sont ces hommes très halés et enduits d’huile que le photographe Vianney Le Caer a saisi dans l’étonnante série Les Bronzeurs, un accrochage qui jouxte celui tout aussi empreint d’ironie de Ziad Antar sur la police à moto de Beyrouth – et ces agents dont l’ ultra-masculinité ne parvient pas à faire oublier qu’ils ressemblent surtout à des playmobils géants.

© Vianney Le Caer

Les lumières se sont aussi celles de la nuit, celle où l’on danse mais aussi celle qu’arpente un des derniers El Tabbbal chargé de réveiller les habitants pendant le ramadan pour qu’ils puissent prendre leur repas avant le lever du soleil ( vidéo A night in Beyrouth de Sirine Fattouh). Dans Abandon, sa série sur les nuits beyrouthines, la photographe Cha Gonzalez interroge le rôle de la fête dans un pays marqué par les tensions et le conflit et explore l’échappatoire que peut constituer la boite de nuit pour des jeunes aux perspectives souvent bouchées.

Image tirée de la série Abandon © Cha Gonzalez

Car Beyrouth est aussi une ville sombre et dure, très inégalitaire et assez conservatrice sur certains aspects, en particulier en ce qui concerne les minorités LGBT+. Comme le montre Roy Dib dans son petit film Mondial 2010, à Beyrouth comme dans le reste du Moyen-Orient, il demeure inenvisageable pour un couple homosexuel d’assumer sa relation dans la rue. Mais les espaces de répit et de tolérance existent, dans la sphère privée notamment. La série Doris et Andrea de Mohamad Abdouni chronique la relation touchante d’une mère et de son fils drag queen. La ville est également difficile pour les immigrés, qu’il s’agisse de réfugiés palestiniens sédentarisés par défaut dans des camps de fortune ou d’employées de maison (le plus souvent asiatiques) qui vivent quasi recluses dans les maisons des riches familles libanaises et qui n’apparaissent dans la ville que le dimanche à l’occasion de leur seule journée de repos (très belle série C’est dimanche de de Myriam Boulos).

Cliché de la série C’est dimanche © Myriam Boulos

Confessions intimes

Mais plus que sociales ou sexuelles, à Beyrouth les communautés sont avant tout religieuses. Depuis la fin de la guerre civile en 1990, l’exercice du pouvoir repose sur un subtil partage des responsabilités entre les principaux représentants des sunnites (le Premier ministre Saad Hariri), des chiites (le président du Parlement Nabih Berri) et des chrétiens (le président maronite Michel Aoun). Cette répartition est vécue comme une concurrence qui incite chaque communauté à affirmer son identité, à l’échelle intime ou dans l’espace public. Hassan Ammar photographie les tatouages religieux que les chiites se font faire sur l’ensemble du corps pour affirmer leur foi mais aussi se distinguer des sunnites dont le courant interdit la représentation du prophète Mahomet. Patrick Baz lui s’est intéressé aux processions géantes de la communauté chrétienne dans la ville, manière ostentatoire de s’affirmer dans une région où les chrétiens sont minoritaires et souvent menacés.  

© Hassan Ammar

Melting pot

Tous ces accrochages sont présentés dans les locaux de l’ICI au 19 rue Léon, à côté du restaurant de l’institut qui sert – information indispensable – de délicieux couscous. Pour voir la suite, il faut se rendre au 56 rue Stephenson, à quelques minutes à pied. On y trouve une série de Natalie Naccache sur les différentes façons de célébrer l’iftar, la rupture du jeûne, en fonction des confessions et, surtout, des classes sociales dans un pays réputé pour ses très fortes inégalités. Enfin, au sous-sol du 56 et plus précisément dans le hammam de l’ICI (oui !), se trouve la plus belle et la plus forte des œuvres de l’exposition : It’s all real de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Dans cet assemblage de six vidéos, les deux artistes dressent le portrait du melting pot beyrouthin dans toute sa richesse : entre autres choses, une réfugiée palestinienne, les fils d’un ouvrier africain – fortement discriminé parce que noir – ou celui d’une employée de maison d’Asie du sud-est.

Une conclusion parfaite à cette exposition qui célèbre sans naïveté la complexité, encore plus grande qu’il n’y parait,  de la société libanaise.  


C’est Beyrouth à l’Institut des cultures de l’Islam, 19 rue Léon et 56 rue Stephenson Paris 18ème. Jusqu’au 27 juillet. Entrée libre.

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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