CINÉMA

« Dykes, Camera, Action ! » – Une histoire du cinéma lesbien par celles qui l’ont fait

Crédits : Dykes Camera Action – The Film Collaborative

Le 16 mars 2019 disparaissait Barbara Hammer, cinéaste lesbienne, pionnière du New Queer Cinema américain. Dans son très beau documentaire Dykes, Camera, Action ! Caroline Berler lui donnait la parole ainsi qu’à la génération de cinéastes lesbiennes qui lui ont succédé. L’occasion pour elles de dénoncer l’invisibilisation sociétale et cinématographique des lesbiennes et d’affirmer l’existence d’un patrimoine du cinéma lesbien dont l’héritage est fondamentale.

Devant la caméra de Caroline Berler, les réalisatrices racontent ces années où l’intime de la prise de conscience de la sexualité rencontre celle d’une invisibilité de leur représentation dans l’espace public et cinématographique. Les seuls films qui parlent alors de l’homosexualité féminine sont dramatiquement dissuasif, de The Children Hour (1960) de William Wyller, en passant par The Killing of Sister George (1968) de Robert Aldrich, l’homosexualité féminine est invariablement marquée par une destinée funeste émaillée de souffrances. On se souvient de la célèbre scène d’aveu de The Children’s Hour, où une Shirley Maclaine, rendue hystérique par ses sentiments, crie son amour à une Audrey Hepbrun sans doute pas si hétérosexuelle que ça.

The Children’s Hour (1960) William Wyler – Lost Films

«  In Hollywood movies there was never a potential for happy endings, there was always a tree that is gonna fall on some lesbians at the end of the movie no matter what. »  Lesli Klainberg

Les années 60-70 sont marquées par une véritable mutation de la culture queer, et c’est dans cette atmosphère de libération pré-stonewall qu’une culture lesbienne va progressivement se constituer,  avec des films comme ceux de Barbara Hammer, qui fait figure de pionnière. Dans Dyke, Camera, Action  ! elle raconte qu’aucun film de femmes n’était montré pendant ses cours de réalisation, jusqu’à la fin d’un semestre, où son professeur projette finalement Meshes of the afternoon (1943) de Maya Deren, le film d’une femme, réalisatrice, ouvertement bisexuelle, qui fait prendre conscience à Hammer de la nécessité de poursuivre cet héritage d’un cinéma expérimental, dont la marginalité libératrice est propre à représenter les corps et les sexualités qu’Hollywood et la société invisibilisent.

En 1974, avec Dyketactis, elle expérimente pour la première fois le tournage en 16mm et commence à vivre pleinement sa sexualité lesbienne, avec ce désir d’une coïncidence entre expérience filmée et vécue. Félicitée par ses professeurs, elle poursuit sa production de court-métrages avec Superdyke (1975), dans lequel un groupe de lesbiennes chevauchent à moto dans le désert américain, ou encore Women I Love (1976) où elle se met en scène la découverte de son homosexualité. Pour toutes les réalisatrices présentes dans le documentaire, la découverte des films d’Hammer a été un moment fondateur de leur existence personnelle et professionnelle, avec cette idée qu’il était possible de vivre et représenter une vie au-delà des schémas hétéro-patriarcaux.

Les années 1990, âge d’or du cinéma lesbien américain

Barbara Hammer, “On the Road, Baja California” (1975) (photo courtesy the artist and COMPANY, New York)

En 1992 dans le magazine Sight and Sound, la théoricienne lesbienne B.Ruby Rich pose la définition du « New Queer Cinema » pour parler de cette mouvance du cinéma indépendant LGBT+ qui connaît une forme d’apogée esthétique et critique dans les années 1990. En 1991, Poison de Todd Haynes et Paris is Burning de Jennie Livingston, raflent les deux grands prix du Festival Sundance, rappelant que la visibilité de la communauté LGBT+ dans les productions culturelles était plus que jamais nécessaire au sortir des années de souffrances causées par l’épidémie de SIDA.

Damned if you don’t (1987) Su Friedrich

Pourtant, les premières années de ce New Queer Cinema révèlent toujours le même problème  : les productions cinématographiques primées en festivals sont exclusivement masculines. En 1994, Go Fish est projeté au festival de Sundance, et Rose Troche ouvre enfin la voie d’une branche lesbienne du New Queer Cinema. Un an plus tard, The Incredibly true adventure of two girls in love (1995) de Maria Maggenti met en scène l’histoire d’amour d’un couple interracial. Pour B.Ruby Rich, High Art (1998) de Lisa Cholodenko, marque un tournant dans l’histoire du cinéma hollywoodien, puisque le film relance la carrière de l’actrice principale, Ally Sheedy, témoignant d’un changement des mentalités vis-à-vis de la stigmatisation des acteurs.trices qui choisissaient d’incarner un personnage LGBT+.

En 1996, Cheryl Dunye réalise The Watermelon Women en réponse à l’invisibilisation des femmes racisées au sein des luttes LGBT et de la communauté lesbienne. Dans Dyke, Camera, Action !, elle raconte comment les recherches préparatoires à son film l’ont amené à prendre conscience de l’absence totale des femmes noires dans la mouvance du New Queer Cinema. La même année Rachel Reichman met en scène dans Work (1996) le rapport compliqué d’une jeune trentenaire à son homosexualité,  dont la vie est bouleversée par sa rencontre avec une jeune femme noire avec laquelle elle va découvrir l’amour et se confronter à la violence de l’homophobie et du racisme.  

The Watermelon Woman (1996) Cheryl Dunye

Pour B. Ruby Rich et les réalisatrices interviewées par Caroline Berler, c’est la visibilité donnée aux personnages lesbiens, par ces films des années 1990, qui a permis la transition vers les productions des années 2000 où les personnages LGBT+ se sont fait plus présent, et où l’homosexualité n’était pas pour autant le thème central des films. Mulholland Drive (2001) de David Lynch ou encore The Hours (2002) de Stephen Daldry, mettent ainsi en scène des personnages queer dont la sexualité n’est pas l’enjeu scénaristique, dépassant ainsi l’arc narratif traditionnel du coming-out. Le documentaire de Caroline Berler se poursuit jusqu’aux années 2010, qui se sont fait le relais d’autres combats sociaux  : Lisa Cholodenko y témoigne ainsi de l’importance qu’a eu pour elle la réalisation de The Kids are all right ( 2010) qui raconte l’histoire de son homoparentalité. Vicky Du, quant à elle revient sur la réalisation de son documentaire Gaysians (2015) avec le même constat que Cheryl Dunye vingt ans plus tôt, celui de l’invisibilité totale des personnages LGBT+ asiatiques dans les productions cinématographiques mondiales.

Pour finir, au-delà de la visibilité lesbienne, Dyke, Camera, Action  ! nous parle de la difficulté des femmes à produire, scénariser, réaliser des films au sein de l’industrie cinématographique mondiale. Il suffit de regarder la programmation des festivals de cinéma mondiaux et LGBT+ pour s’en convaincre, les films lesbiens et les réalisatrices lesbiennes sont encore trop peu représentées aujourd’hui. Difficile après avoir vu Dyke, Camera, Action  ! d’affirmer que cette absence réside dans le fait qu’elles sont inexistantes.

Filmographie sélective

Malgré un très beau parcours  de projection dans les festivals LGBT+ mondiaux, aucune sortie française n’est aujourd’hui prévue pour Dyke, Camera, Action  !  Afin de poursuivre l’entreprise de Caroline Berler,  voici une liste non exhaustive des films cités par les réalisatrices et intervenantes de son brillant documentaire :

Dyketactics (1974) Barbara Hammer

Superdyke (1975) Barbara Hammer

Women in love (1976) Barbara Hammer

Gently Down the Stream (1981) Su Friedrich

Born in flames (1983) Lizzie Borden

Damned If You Don’t (1987) Su Friedrich

Vanilla Sex (1992) Cheryl Dunye

Lesbian Avengers Eat Fire Too (1993) Su Friedrich

Go Fish (1994) Rose Troche

The Incredibly true adventure of two girls in love (1995) Maria Maggenti

The Watermelon Woman (1996) Cheryl Dunye

Work (1996) Rachel Reichman

High Art (1998) Lisa Cholodenko

But I’m a Cheerleader (1999) Jamie Babbit

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