© Sharon Lopez (Primavera Sound / Loud and Quiet)
A l’occasion de sa reformation, le groupe culte Stereolab passait la semaine dernière par la France pour deux dates exclusives. Nous étions à la Rock School Barbey de Bordeaux, on vous raconte.
La nouvelle était tombée à l’occasion du dévoilement de l’affiche (pourtant décevante) du Primavera Sound, à Barcelone, version 2019 : la reformation exceptionnelle de Stereolab, groupe culte de la scène indie des années 90, alternant entre fougues post-punk, expérimentations pop, tendances jazzy et relents électroniques. Une annonce qui n’a pas tardé à plonger le petit monde du rock dans une certaine effervescence, jusqu’à l’annonce d’une tournée mondiale d’une quarantaine de dates supplémentaires, passant notamment par Bordeaux et Paris. C’est donc avant leur date parisienne pour La Villette Sonique que nous avons pu voir le groupe lors de son passage à Bordeaux, devant un parterre de fans et de curieux venus pour l’occasion.
Retour aux sources
Avec l’onirique Come and Play The Milky Night, c’est une entrée tout en douceur qu’opère la formation franco-britannique. S’ils n’ont plus les traits et la désinvolture de leurs jeunes années, force est de constater que, d’emblée, la voix de Laetitia Sadier est toujours aussi bouleversante, et l’énergie toujours présente. Après un faux départ autour du fameux sample de faux-contact avec lequel s’ouvre le morceau, Brakhage séduit instantanément l’auditoire, derrière son titre en référence au travail du vidéaste-plasticien tout en formes, couleurs et abstraction, en parfaite communion avec l’ambiance du morceau.
“On va vous jouer un peu de disco français maintenant” : les frissons et les cris exultent. Tout le monde a compris le message, car oui, nous allons bien avoir droit à French Disko, tube imparable à la mélodie labyrinthique, sur le fil du rasoir, qui fleur bon les années 90 et la fougue adolescente propre à cette décennie. A peine le temps de redescendre pendant le sublime Baby Lulu, berceuse mystique aux paroles prophétiques mené par le son chaud d’un Rhodes, que débarque la basse ronronnante de Miss Modular, entraînant le public vers les penchants les plus Lounge du groupe, en français dans le texte (une vague histoire de boîte cartonnée en forme de trompe-l’œil).
Puis, emmené par une guitare tout en cocotte et une basse au groove imparable, Metronomic Underground se déploie et hypnotise, radicalement, l’audience pendant une bonne dizaine de minutes, avant que les nappes synthétiques de Sudden Stars ne retentissent et viennent nous plonger directement dans une autre dimension, spatiale et hautement psychédélique.
Nostalgie dadaïste
Après le latin Infinity Girl, retour aux sources pop du groupe avec le puissant Ping Pong, avec ces quelques accords et mélodies minimalistes qui font le sel des grandes chansons, celles qui s’ancrent en nous durablement. Si le mixage de la batterie, un poil en avant, avait de quoi surprendre au début du concert, on comprend ensuite à quelle point l’efficacité d’Andy Ramsay est essentielle à l’alchimie du son du groupe : des rythmes inventifs, aux frontières du krautrock, qui portent le live vers de puissants sommets, à l’image du martial et onirique (oui c’est possible) Need To Be.
Si un minilogue de chez Korg a remplacé les claviers analogiques plus DIY de Laetitia Sadier à l’époque, les quelques notes synthétiques ouvrant Perculator sont toujours aussi efficaces, inscrivant définitivement le groupe dans un univers dadaïste et coloré dont eux seuls semblent encore détenir les clefs. Impossible alors de ne pas penser que des groupes comme La Femme ou autre Clara Luciani n’aient pas entendus, à un moment ou un autre, ce groupe fondateur.
Puis, c’est l’heure du “plus beau et plus triste paysage du monde” de John Cage Bubblegum, et de la “lune libre” de Lo Boob Oscillator, parfait virage final avant le rappel qui verra s’enchaîner les apaisés Rainbo Conversation, Blue Milk et Contronatura, clotûrant ainsi le set en beauté.
Une façon de rappeler que ce son, ces paroles dadaïstes et ces mélodies envoûtantes nous avait beaucoup manqué. Le groupe rayonne donc à nouveau sur scène, et ce malgré l’absence de Mary Hansen, autre voix féminine disparue prématurément dans un accident de la route en 2002, visiblement heureux d’être là et de partager ces chansons avec un public plus ou moins nouveau, même si la majorité des gens présents ont maintenant la quarantaine bien entamée. Et même si le groupe ne visite pas ses penchants les plus expérimentaux et possède parfois une posture un peu sage, difficile ne pas être comblée d’avoir pu entendre, le temps d’une soirée, ces hymnes surréalistes qui nous permettent chaque jour d’affronter un peu mieux l’absurdité du monde.
Stereolab sera en concert à la Route du Rock (Saint-Malo) le 15 août prochain.