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Théâtre – Les « Fauves » de Wajdi Mouawad tournent en rond

© DR

La nouvelle fresque familiale et politique de Wajdi Mouawad s’enlise dans des rebondissements qu’une mise en scène pourtant agréable ne parvient pas à compenser.

Hippolyte est réalisateur. Alors qu’il peine à monter son dernier film, son fils Lazare –apprenti astronaute Kazakhstan –  l’appelle pour l’informer que sa grand-mère Livia vient d’être percutée par un camion. Hippolyte arrivera trop tard pour un dernier adieu mais le décès de sa mère va ouvrir une brèche qui va le conduire à remonter le fil de son histoire  personnelle. Québec, Guerre des six jours, Alep, Seconde guerre mondiale, Baïkonour et l’espace ( !), c’est un peu toute l’histoire du monde, passé et contemporaine, qu’Hippolyte va balayer au cours de son enquête familiale.

Saga familiale

Wajdi Mouawad a connu son plus grand succès avec Incendies, une fresque familiale par la suite adaptée au cinéma par Denis Villeneuve. Il y était question du Liban, de la guerre, d’exil, d’une fratrie démembrée, d’un passé demeuré longtemps caché. C’est sur quasiment sur les mêmes ingrédients que repose Fauves, la dernière création du dramaturge québécois. On change de guerre et de contexte historique mais on garde l’exil au Canada, les fratries inconnues et éclatées, l’inceste et l’enquête familiale à partir d’un dossier juridique aride.

Et, pendant près d’une heure et demie, cela fonctionne très bien. On est pris dans la quête d’Hippolyte, réalisateur revêche passablement attachant, manifestement meurtri par un divorce douloureux et la rupture avec sa fille Vive, partie dans une ONG à Alep. On le suit volontiers à Montréal où il rencontre Isaac, son père biologique que sa mère avait épousé en 1975, qu’elle avait quitté avant sa naissance et dont elle n’avait jamais vraiment divorcé. On s’amuse de sa rencontre avec son loser de demi-frère, né quasiment en même temps que lui et fruit d’une relation adultérine entre Isaac et Nimia, une femme devenue un peu folle qu’il rencontre également et qui, au milieu d’un discours confus, évoque la roublardise d’Isaac et  «  le pacte  » qu’elle aurait conclu avec Livia…

Représentation à la Colline, théâtre national, Paris. Mercredi 8 mai 2019. © Alain Willaume-Tendance floue

Mouawad est passé expert dans l’art d’agencer les éléments de ces épopées familiales qui forment dans un premier temps une nasse dont on a plaisir à se sentir prisonnier. La mise en scène choisie est rythmée et ingénieuse, des portions de la pièce sont jouées à l’identique successivement, comme si la piste du disque était rayée, et résonne avec le travail de montage d’Hippolyte. Ces scènes « hoquets » sont aussi un présage de l’histoire familiale d’Hippolyte qui semble bégayer autour des mêmes personnages. L’esthétique et le découpage télévisuels (dans le bon sens du terme c’est à dire enlevé et parfois comique) comme  la scénographie, essentiellement composée de pans de verres mobiles, rappellent le travail de Robert Lepage – autre canadien de talent – sur le Kanata épisode 1 présenté récemment au Théâtre du Soleil.

Cercles vicieux

Malheureusement, tout cela s’essouffle avant même la fin de la première partie («  Le cercle d’Hippolyte  »). Le rythme se ralentit sous le poids des révélations, le ton se fait plus sérieux (et pesant) et les rebondissements historiques et personnels se multiplient jusqu’à l’invraisemblable, comme dans la saison 15 d’un soap américain dans lequel toutes les combinaisons de couples auraient été épuisées et tous les personnages auraient ressuscité une fois. Mais l’aspect le plus problématique est que, aussi invraisemblable, complexe et ubuesque que soit l’histoire, le spectateur finit assez rapidement par résoudre les énigmes, bien plus rapidement que les protagonistes de la pièce. Les (longues) heures restantes du spectacle et en particulier celles de la deuxième partie («  Le cercle de Lazare  ») se transforment donc en un douloureux purgatoire où des personnages mettent un temps qui semble infini à se faire expliquer (puis à jouer  !) ce qui est déjà compris de tous. Les scènes de flashback s’enchainent, toutes plus interminables, et le lyrisme de la langue de Mouawad qui peut souvent plaire ne fait ici qu’alourdir encore le dispositif. On se doute bien que, au milieu de cet amoncellement de texte et de péripéties de 4h (  !), il y a un propos sur la violence et la cruauté mais aussi sur le pardon et la bonté (manifeste chez plusieurs personnages) mais la lourdeur de l’ensemble, en particulier dans la deuxième partie, empêche de vraiment s’y intéresser. La pièce est à l’affiche jusqu’au 21 juin… le temps d’envisager des coupes  ?

Fauves de Wajdi Mouawad au Théâtre de la Colline jusqu’au 21 juin. Durée : 3h45 avec entracte. Tarif : de 8 à 30,50€.

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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