CINÉMA

« Jessica Forever » – Envers et contre tout

Figures poignantes d’un cinéma français qui se renouvèle, Jessica Forever, est le premier long-métrage Jonathan Vinel et Caroline Poggi, récemment présenté à la Berlinale ainsi qu’au Toronto International Film Festival.

On les avait déjà vu à l’oeuvre dans l’onirique triptyque Ultra Rêve, aux cotés des talentueux Bertrand Mandico et Yann Gonzalez, inscrivant ce duo de réalisateurs dans un cinéma de genre bien défini, imprégné d’un psychédélisme et d’une esthétique à toute épreuve, ces deux jeunes réalisateurs réitère avec Jessica Forever leurs premières réussites.

Jessica (Aomi Muyock) est celle qui a consacré sa vie, s’est dévouée à l’aide des garçons orphelins, anciens monstres capables alors des pires atrocités, parias de la société poursuivies par des forces spéciales. Elle est celle qui leur confère une seconde chance dans un monde qui leur a tout ôté.

© Le Pacte

Au premier abord Jessica Forever fait figure d’ovni, une succession d’images curieuses mais pour le moins attrayantes. Un trip imprégné de culture pop et d’un sens du visuel rigoureux. Sous ses airs faussés d’hommage audacieux aux héroïnes de jeux vidéos, le film se révèle finalement d’une puissance sans pareille, un beau tour de force pour ce projet de longue durée écrit en 2014, et tourné en il y a deux ans.

Tout reconstruire

Si le personnage de Jessica, entouré d’hommes plus ou moins jeunes, peut au premier abord, sembler être le fil conducteur de cette histoire, ceux-ci coexistent les uns pour les autres, les uns avec les autres. Dans un simulacre de sécurité, formant une famille de onze, une famille peu conventionnelle qui répond pourtant à un mal-être contemporain, celui d’un vivre ensemble impossible, d’un dialogue rompu, chacun cherche à se reconstruire.

Ce premier long-métrage se veut être un film nécessaire empreint d’un regard nouveau sur la vulnérabilité, en particulier celle des hommes. La violence, sujet préexistant du film, est bien souvent éteinte cachée sous des muscles, des traits de caractères, des blessures. Cette vulnérabilité devient alors une carapace, constituant de nouveaux moyens d’expression entre les individus, elle se masque sous une légèreté exacerbée, combattant une masculinité toxique trop souvent échauffée au cinéma.

Visuellement le film est un sans faute, murement réfléchi. L’image est douce amère, les plans se rapprochent et donnent à voir des tableaux, des photos de famille presque, des paysages, des représentations sécurisantes. ; d’autres plus crues, où le sang côtoie la douleur, mais ce sans jamais choquer, sans jamais basculer dans la vulgarité. Un soin pointilleux est également accordé aux thèmes musicaux qui ponctuent ce long-métrage, des morceaux qui accentuent toujours plus justement les émotions transmises par celui-ci.

Génération(s)

Jessica Forever convoque des dimensions réconfortantes, celles des années 90, d’une enfance passée entre les zones pavillonnaires et les centres commerciaux, celle de la bétonisation extrême. Un monde d’objets quotidiens érigés ici en icônes, des images édulcorées, des paquets de céréales, des jouets convoités. Ce long métrage en appelle ici aux jeux vidéos, et au jeu en général, le film joue avec nos sens conviant des entités que l’on connait bien, mêlant ces objets, des figures du quotidiens détournés de leur réalité concrète.

C’est un moyen de se confronter à une nostalgie constante, à des éléments d’un passé personnel mais aussi, générationnel, pas une génération précise mais plus celle d’une perte de repère. Le film évolue ainsi dans des décors bien connus des réalisateurs, Toulouse, dont est originaire Jonathan Vinel, et les paysages sauvages de la Corse, où a grandi Caroline Poggi.

Jessica Forever est une fresque impressionnante sur nos maux actuels, transposés ici dans une réalité annexe déconcertante. Sans être ouvertement politique ce premier long métrage est éperdument social, questionnant le rapport aux autres, et les modes de vie. Un conte d’idéaux convergents où la désolation nous engage à sauvegarder le peu de beauté qu’il nous reste alors.

Du cinéma et de la musique - Master Métiers de la Culture

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