À l’occasion de la 1ère édition du festival INASOUND qui avait lieu au Palais Brongniart les 20 et 21 avril derniers, nous avons cherché à comprendre les univers musicaux des artistes Molécule, NSDOS et Roscius. Rencontres croisées.
Dans le paysage infini des manifestations culturelles, où se mêlent festivals, concerts, après-midis dansants, siestes en musique et autres concepts, l’expérience est devenue la règle. On ne parle plus d’aller à un concert mais de vivre une expérience à part entière à travers un événement le plus souvent transdisciplinaire entendu comme une performance qui comprend à la fois de la musique mais aussi des productions visuelles, des effets sonores, de la danse, le tout dans un lieu souvent original.
Ce concept d’expérience, l’Institut National d’Audiovisuelle (INA) l’a bien compris en lançant la première édition de son festival l’INASOUND, dédié aux cultures électroniques. L’événement avait lieu au Palais Brongniart autrement connu comme le bâtiment de la Bourse, en plein cœur du 2ème arrondissement de Paris les 20 et 21 avril dernier. C’est donc dans la nef de cet imposant site patrimonial qu’Arnaud Rebottini lançait les basses, dès 16h, le samedi.
Corps en mouvement
Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici. On était venu, comme tout le public, pour l’expérience promise par la programmation de l’événement et plus particulièrement trois noms qui attiraient déjà notre attention : Roscius, NSDOS et Molécule. Tous trois artistes transdisciplinaires, qui jouent avec les sons, trompent l’oreille de l’auditeur, bidouillent leurs machines et autres instruments traditionnels et accordent une place particulière au voyage dans leur processus de production musicale.
« Le voyage a toujours fait partie de ma vie » lance NSDOS alors que nous nous installons dans la grande salle de presse de l’événement, « mon père était ingénieur, j’ai fait le tour du monde assez jeune. Ça m’a permis d’aller à la rencontre d’autres cultures, c’était la street school des parents ». NSDOS est un personnage. Il parle sans arrêt, les idées fusent. En s’intéressant à son parcours d’un peu plus près, il est considéré depuis quelques années par la presse musicale comme le DJ qui casse les codes et va toujours plus loin dans l’innovation.
Car à l’origine, NSDOS vient de la danse. Dès ses premières tournées aux quatre coins du monde, il rencontre des compositeurs et chorégraphes qui pensent précisément le lien entre danse et création musicale. « La musique, je l’entends dans le mouvement » explicite NSDOS, « lorsqu’on danse, on créée déjà de la musique. »
Un rapport au corps si particulier que l’artiste le rapproche bientôt du transhumanisme et va chercher dans la manipulation de la machine, une nouvelle réflexion artistique. « Tout ça est lié, ce que je fais est assez proche d’un exercice scientifique » précise-t-il alors que sur scène, il alterne entre danse, code en temps réel et production musicale.
La nature bouscule les codes
La particularité d’NSDOS ne tient pas seulement à ses performances live mais aussi à la production artistique qu’il ne considère pas dans un studio mais dans tout type d’environnement, même les plus extrêmes. « Pour l’un de mes projets, je suis allé vivre 9 mois en Alaska parce que j’avais des amis là-bas. Mais c’est marrant que tout le monde m’en parle, j’ai beaucoup évolué depuis cette période de ma vie » poursuit NSDOS.
Loin de la vision « green » qui tend à se développer aujourd’hui, y compris dans le domaine musical, NSDOS va chercher en Alaska des expériences sonores inattendues, des sons qu’il ne modifie pas mais qui viennent déranger la composition musicale humaine. À l’image de l’idée que développera quelques années plus tard l’artiste Molécule pour son album -22,7°. Lui aussi était aussi présent lors du festival.
On le rencontre un peu plus tard dans la soirée alors qu’il s’apprête à jouer. Rapidement, nous en venons à discuter de son projet le plus connu, qu’il réalisait au Groenland en 2016. « J’avais la volonté de découvrir un espace vierge et de remettre la nature au centre de l’écoute » déclare Romain Delahaye alias Molécule, « on a reconstitué un studio sur place et on s’est imposé pour contrainte de ne modifier aucune note enregistrée mais de composer autour ».
« J’avais la volonté de découvrir un espace vierge et de remettre la nature au centre de l’écoute »
Molécule
Dans ce projet, l’expérience sensorielle est centrale. Depuis le début de sa tournée, Molécule accompagne toutes ses compositions de créations visuelles, qui reviennent en partie sur son expérience vécue sur les terres naturelles du Groenland. Si les rythmiques sont entraînantes et techno, c’est justement pour partager une « énergie » et un moment physique à travers ces 2h de créations visuelles et sonores. « Je cherche à emmener mon public à un endroit différent, quand je joue en live je suis dans la communion » poursuit l’artiste, « et puis il y a des plages d’improvisation qui ajoute au rendu unique de l’événement ».
S’empêcher de ne pas avoir envie
L’improvisation, c’est d’ailleurs un mot qui revient souvent dans les discussions. La performance doit-elle uniquement s’entendre dans l’improvisation ? De son côté, Roscius envisage la représentation sur scène comme un moment d’improvisation nécessaire. « L’improvisation me permet de m’empêcher de ne pas avoir envie » lâche le jeune homme avant de nous préciser sa pensée devant notre air incertain : « par exemple, dans tous les concerts, il y a un moment émotion, une musique qui inspire de la nostalgie. Est-ce que vous croyez sincèrement que les compositeurs et chanteurs sont tous les soirs nostalgiques pendant 5 minutes de leur concert ? Personnellement, je n’ai pas envie de me forcer à ressentir une émotion. » Et de conclure : « si je suis triste, mon set le sera aussi. »
Roscius a ceci de particulier qu’il parle sans tabou, et nous raconte avec un engouement certain, sa pratique du métier de DJ aujourd’hui. « J’ai toujours vu la musique comme un moyen de voyager, d’aller à la rencontre des gens ». Le jeune homme sourit, amusé alors qu’il repense à ses débuts. Très souvent en vadrouille en Europe puis un peu partout dans le monde, il prenait plaisir à s’arrêter dans des lieux où on ne l’attendait pas. Il joue alors dans des petites salles et des villes inaccoutumées, surtout jamais en présence d’expatriés français. Son truc à lui, c’est de créer selon l’ambiance, de laisser les gens de la salle monter sur scène si ça leur chante, de composer avec l’envie du moment et des instruments plus nombreux et surprenants les uns que les autres.
« On dit que je fais de la musique électronique mais pourtant, je ne joue qu’avec des instruments traditionnels » précise Roscius, « je n’ai qu’un loop pour le côté répétitif des sons ». Une technique qui lui permet de créer ses propres textures, et de donner une couleur aux sonorités qu’il produit sur scène. À cet ensemble d’instruments, il ajoute sa voix et des sons d’atmosphères, enregistrés comme des « photographies sonores » au détour des rues qui représenteraient les sensations sonores d’un instant T, capturées.
Le live, cette expérience totale
« Cette façon de composer me permet de garder une certaine spontanéité » ajoute Roscius. Un processus créatif entendu de la même manière que NSDOS ou Molécule qui voient tous deux dans la performance live une expérience totale : « que le public apprécie ou pas ce que je fais, je raconte quelque chose, je veux qu’il réagisse » explique à ce titre NSDOS. « Quand je joue, je partage une partie de mes souvenirs et de mon voyage » détaille, de son côté, Molécule.
Sur scène ou à hauteur du public, chacun des trois artistes incarne sa musique à sa manière. NSDOS danse, code, vit. Roscius bouge dans tous les sens, enchaîne les enregistrements d’instruments tandis que le set évolue surement vers des rythmiques africaines.
De son côté, Molécule, installé au centre du Salon d’honneur, se concentre sur l’expérience planante qu’il fait vivre à son auditoire, par un son spatialisé permis par 12 enceintes disséminées dans la salle. Alors véritable expérience sensorielle, ou concert ? On penche davantage pour l’expérience, subjective et personnelle, finalement promise par la programmation de l’INASOUND.