CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2019 – « Yves », entretien avec Bertrand Burgalat

© Ecce Films

Nous sommes allé à la rencontre du compositeur, chanteur et producteur français, Bertrand Burgalat, présent à Cannes pour la musique de Yves, dernier long-métrage de Benoît Forgeard présenté en clotûre de la Quinzaine des Réalisateurs.

Comment a débuté votre collaboration avec Benoît Forgeard ? C’est votre deuxième film après le surprenant Gaz de France.

Bertrand Burgalat : J’ai rencontré Benoît Forgeard dans une radio étudiante en 2012. J’avais été invité à une émission sur Radio Sciences-Po qui était réalisée par des jeunes que je ne connaissais pas et qui étaient formidables. Ça a été une rencontre importante parce qu’on a fait Catastrophe, (émission musicale sur France Inter (ndlr)) et beaucoup d’autres choses ensemble. Benoît était invité lui aussi et je ne le connaissais pas. J’ai été intrigué alors en rentrant j’ai commandé le DVD de ses films. J’ai été épaté, l’écriture était très différente de ce qu’on pouvait voir à ce moment-là et on a commencé à tavailler ensemble. On se connait depuis sept ans maintenant.

Qu’est-ce-qui vous a séduit dans ce nouveau projet ?

Ce qui m’a séduit c’est la même chose que d’habitude avec Benoît, c’est à dire une écriture très précise qui a derrière ses airs d’absurdité apporte un propos profond sur la société dans laquelle on vit. Je trouvais que cela marquait également une par rapport à son précédent film. Il garde les qualités du premier avec une possibilité d’ouverture vers un public plus large. C’est moins rèche que par le passé donc avec une possibilité nouvelle de faire des films populaires sans aucune concession. Parce qu’un film populaire de qualité demande beaucoup de travail.

Par rapport à la méthode de travail, Benoît est-t’il plutôt directif ou vous laisse t-il proposer votre propre compréhension musicale du film ?

Benoît est directif, car c’est quelqu’un qui a une vision claire de son film et c’est ce qui est formidable. Aujourd’hui on peut tous se dire cinéaste, il suffit de prendre un bon script, une bonne équipe et un bon chef-opérateur qui te dit où placer la caméra. Ce que fait Benoît est beaucoup plus singulier. Il a une réelle vision qu’il sait faire partager. Il est à la fois souple et dur. Il a cette dualité.

Par rapport à votre manière de composer, vous vous concentrez plus sur les images et l’univers visuel, ou sur le scénario et l’histoire des personnages ?

C’est un tout, je suis très impressionniste. Je lis les recommandations de Benoît. Je lis le scénario, je regarde les images et après j’essaie de mélanger le tout sans être trop littéral pour ne pas être prévisible. Les indications de Benoît ne sont pas innhibantes mais très encourageantes au contraire.

Avez-vous également composé les morceaux de rap du film ?

Ce sont les seules choses que je n’ai pas faites et qui sont très importantes dans le film. On voulait qu’ils soient crédibles on a donc demandé à une équipe qui ne fait que ça. Mim, Emilien Bernaux, et Tortos rappeurs tous deux dans la vie, ont travaillé avec Benoit sur les paroles, et c’était très important que ces musiques là on y pense pas, que ça n’apparaisse à aucun moment comme un pastiche et moi j’aurais eu tendance à le faire. Il fallait aussi pouvoir driver William qui rappait pour la première fois.

L’association Benoît Forgeard et Bertrand Burgalat fonctionne comme un couple naturel, un couple formé par deux ovnis français. Benoît Forgeard a réalisé l’un de vos clips, vous composez sa musique, vous échangez les rôles… Formez-vous un véritable duo maintenant ?

Oui ! Ca a commencé en 2012 quand on faisait le Ben & Bertie show. Une complicité naturelle est née. J’ai beaucoup d’admiration pour Benoît. On est très différents et c’est ce qui fait les bonnes associations. Je suis très heureux de voir comment il avance, et je pense que c’est quelqu’un qui fera des trucs incroyables. Je pense aussi que ce film est un moment très important pour lui, il marque le basculement vers quelque chose qui plaira de plus en plus au public, tout en gardant une concision certaine. Chaque nouvelle chose que fait Benoît est mieux que la précédente.

Par rapport à Gaz de France, on retrouve dans ce nouveau film une précision plus affinée et une ouverture grand public avec une comédie efficace qui n’en oublie pas d’avoir du fond et de proposer une lecture de notre société.

C’est marrant le Festival de Cannes aime bien les films de société un peu attendus, qui peuvent être exhonérants avec des gens qui vivent généralement assez loin des réalités. Ils viennent tous les ans applaudir une caissière pour se donner bonne conscience et ce film là, pour le coup, parle avec beaucoup d’acidité du monde dans lequel on vit sans complaisance.

Le paysage sonore de Gaz de France était très planant. Il y avait une apesanteur qui collait à merveille avec le contexte politique du film. Vous avez fait à la suite, Tout de suite maintenent, Quai d’Orsay et Gaz de France, trois films qui frôlaient avec les hautes sphères de la société. Avec Yves vous retournez dans la cuisine de mémé… C’est un retour à une composition plus légère également avec ce film ?

Ah oui c’est vrai je n’avais pas réalisé ! J’ai eu une scène de frigo dans Tout de suite maintenant aussi que j’ai bien galéré à faire d’ailleurs… (rires) Moi, je n’y pense pas, au bout d’un moment je commence à tâtonner puis on s’arrête sur une instrumentation de base. Sur Gaz de France je trouvais intéressant le côté très synthétique du corps de la musique. On ressent des trompes de chasse qui se mélangent avec du soprano classique et là, c’est un peu pareil. Une fois qu’on a l’instrumentation de base on a tout le paysage sonore. Trente cordes, piano, flûte, saxophone et voix… Ce sont des effectifs assez concis et j’essaie de faire en sorte qu’on ait une logique, qu’on ne passe pas d’une instrumentation a une autre sans aucune continuité.

Yves est un film jusqu’au boutiste dans l’histoire qu’il veut nous raconter et avec la manière dont il nous la raconte. Avez-vous suivit la même démarche avec la musique ?

Avec la musique, je ne cherche pas à souligner. Parfois c’est le cas, quand Jerem gagne la battle contre Yves par exemple, on a cette musique un peu péplumesque très inspiré de Bill Conti pour Rocky. J’essaie de regarder les scènes sans trop réfléchir à ce que je vois en restant très instinctif. Je vois les images, je connais l’histoire, je ne me dis pas “Ah, c’est un passage triste, il faut que la musique le soi”. Au contraire, pour moi au cinéma les moments qui m’ont le plus ému c’était quand la musique n’était pas dans la dramatisation. Souvent ce qui marche le mieux c’est d’associer une scène triste avec de la musique détachée.

Justement sur Gaz de France il y avait une osmose avec l’image et la musique. Ce qui est amusant dans Yves c’est que l’on retrouve une correspondance avec la musique électronique et l’univers technologique. Lors des parties plus orchestrales on se retrouve dans un entre-deux ou technologie et humanité se confondent pour obtenir une réelle vraisemblance.

Oui c’est vrai, tout le film se déroule dans un univers ordinaire. Nous ne sommes pas dans Tron ou dans un univers incroyable et idéalisée, mais au contraire dans la société d’aujourd’hui, ce que je trouve très intéressant c’est une forme de réalisme fantastique. La musique c’est pareil, ce n’est pas parce qu’un film qui parle de l’intelligence artificielle qu’il faut faire une musique synthétique et robotique. Ca aurait pu être marrant quelque chose d’orchestral mais au synthé. Mais ça n’aurait pas été très bon, un truc comme Wendy Carlos dans Orange Mécanique.

Ce qui est intéressant avec Yves, c’est que le comique de l’absurde est accompagné d’une musique orchestrale plutôt classique, comme vous le disiez tout à l’heure ce qui fait que l’on y croit. Yves est parfaitement humanisé… Ces deux portes sont ses deux bras qui attendent d’embrasser comme disait Benoît Forgeard, ça fonctionne. Quand le personnage de Doria Tillier tombe amoureuse d’Yves on y croit.

Je pense aussi et c’est ce qui fait le génie de Benoît. A aucun moment on se dit “c’est faux, je suis entrain de regarder un film“. J’ai une fille de 9 ans et parfois quand il y a un passage triste et que je vois qu’elle va pleurer, je lui dis “t’inquiète pas c’est un film“, là on n’y pense même pas. J’ai 55 ans, des scènes de meurtre j’en ai vu beaucoup, mais la tentative de meurtre sur Yves m’a plus ému que beaucoup d’autres meurtres au cinéma, c’est fou. J’arrive totalement à m’identifier. La scène d’amour aussi fonctionne. Je sais pas si j’ai déjà eu l’occasion de faire de la musique pour ce genre de scène d’amour, mais ça m’a beaucoup plu.

La salle a beaucoup ri. Vous vous attendiez à ça ?

Je ne savais pas à quoi m’attendre. Ca me fait plaisir de voir que Benoit a été compris quand j’ai vu l’accueil du public cannois, des gens qui ne sont pas commodes habituellement. Le message est passé, il a réussi son pari. Ce que je trouve important c’est que quand on est dans la comédie il faut déclencher un vrai rire et ici on rit d’instinct. Il y a un nombre énorme de films drôles et pas drôles. Il y a des scènes je les ai vu cent fois, et j’en riais toujours autant.

Interview réalisée dans le cadre des rencontres de la SACEM.

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