CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2019 – « Une Vie Cachée », clair-obscur

RG-17_03414.NEF

© Pandora Film Medien GmbH

SELECTION OFFICIELLE – COMPÉTITION – Déjà palmé pour The Tree of Life en 2011, Terrence Malick présente cette année un ouvrage façonné avec finesse et rigueur, à la manière d’un artiste devant l’accomplissement de son oeuvre.

Les images en noir et blanc du Furher défilent. Le contexte est placé de manière crue et directe. C’est l’heure de la Seconde Guerre Mondiale, l’heure pour tous les hommes de prêter allégeance à Hitler. Loin des ébats politiques, dans les étendues des Alpes autrichiennes, Franz (August Diehl) agriculteur et fermier mène une vie idyllique avec sa femme Fani (Valérie Pachner) et leurs trois filles. Ce sont des êtres profondément enracinés dans leur attachement à leur terre. Les liens qui nouent leur gestes et leurs mains aux éléments qu’ils plantent et cultivent sont filmés avec une authenticité profonde. La première partie du film est bercée de poésie et souligne le côté très épicurien du réalisateur. La caméra se glisse parmi les épis de maïs remués par le vent et captent leur moindre mouvement. Quand elle ne suit pas de près la danse quotidienne des paysans, elle se pose au creux des corps des deux amants et s’inspire de leur intimité. Tout est beau et doux, le rire d’une femme heureuse, les premiers pas élancés d’un enfant, puis d’un autre, les coups langoureux d’une faux. La simplicité est harmonieusement mise en avant, présentée comme un but ultime, d’une beauté rare. Mais alors que l’oeuvre paraissait s’attarder sur ces plans lents et délicats, l’utopie malickéenne bascule et exploite un aspect beaucoup plus spirituel de l’être humain. Celui qui pose la question de l’incohérence du bien et du mal et de ce que l’homme en fait.

Franz est appelé une première fois. Il fait face à des entraînements dont l’utilité lui échappe. A son retour, il refuse toute future collaboration avec le régime nazi. Cela commence par un refus de contribuer avec quelques pièces. Puis vient le moment où il devra choisir quoi faire, lorsqu’il sera appelé une deuxième fois. Le village, devant cette rébellion pacifique, tourne le dos à la famille, la marginalise. Cette exclusion s’accentue lorsque Franz est appelé et prend la décision de partir pour ne pas porter préjudice à sa femme et ses enfants. Mais une fois sur place, son pacifisme buté lui vaut d’être enfermé en prison, avec les fous et les plus démunis. La caméra de Terrence Malick pénètre alors l’âme de ce personnage masculin, qui mène un éternel combat introspectif. Il sait qu’il va droit à la mort, en refusant ainsi d’accepter la dictature qui engloutit l’Europe de l’Est. Il sait que les parcelles d’images des montagnes verdoyantes deviennent peu à peu les souvenirs qu’il ne pourra jamais revivre. Le prisonnier puise sa force dans les lettres qu’il échange avec Fani. Il trouve en sa femme un amour qui dépasse toute part d’individualisme. Par amour, sa femme accepterait une vie sans lui, comme l’illustre puissamment la scène où, condamné, Franz se confronte une dernière fois à son épouse et doit choisir son idée du Bien au détriment du bonheur qu’il connait.

Une vie cachée contient tous les éléments d’un grand film. Si la longueur du récit peut se révéler pesante, elle est néanmoins nécessaire à la dimension philosophique qui s’empare des personnages. Les plans contemplatifs sont emportés par les voix-off qui racontent la relation épistolaire entretenue par l’amour que partagent ces deux personnages, mais aussi par la relation mystique qui permet à Franz de survivre. La croyance du prisonnier condamné définit son combat individuel qui échappe à tous ceux qui l’entourent. L’incompréhension, c’est aussi ce que veut démontrer Terrence Malick en ne sous-titrant aucun des dialogues allemands, tandis que les protagonistes autrichiens communiquent en anglais. L’incompréhension ou l’ignorance, ce qui échappe à l’homme, comme toutes ces vies cachées inexistantes, sur lesquelles les yeux se sont fermés, qui ont sombré dans l’oubli et qui pourtant, à une époque où le Mal gangrenait le monde, étaient la lueur d’espoir tapie derrière l’ombre.

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