© Julian Torres – Les Films Velvet
QUINZAINE DES RÉALISATEURS – En se jouant des controverses médiatiques autour de la sulfureuse Zahia Dehar, la réalisatrice Rebecca Zlotowski nous livre un film ensoleillé et intimement féministe. Un long métrage estival et acidulé qui gravite autour de la question du désir, féminin et masculin, résolu ou non, et sa perception.
La cinéaste française nous dessine le portrait de la jeune et innocente Naima (incarnée par Mina Farid) lors de ses vacances sur la Cote d’Azur, à Cannes. Sa cousine Sofia (Zahia Dehar), modèle d’élégance et de féminité pour l’adolescente, descend de Paris pour lui rendre visite. Leur relation fusionnelle et complice les mène à cotoyer des sphères non plus familiales, mais mondaines, auprès d’un collectionneur matuvu et son subalterne discret, laissant découvrir une facette séductrice méconnue de sa cousine à la jeune fille. Les interrogations personnelles que suscite cette nouvelle vision pousse Naima tout comme le spectateur à relativiser la notion de facilité, invariablement associé à un genre, mais qui se concrétise ici autour des figures masculines. Et particulièrement celle d’exhibitionnisme, qui ne réside non plus dans une poitrine dénudée mais dans la volonté ostentatoire de posséder un yacht pour faire étalage d’un luxe futile. Une vision d’ailleurs consumériste omniprésente mais continuellement attribuée davantage à de l’amateurisme de belles choses au cours de la narration, où l’argent est perçu comme un biais de liberté, mais est finalement davantage un moyen de s’assurer agressivement du pouvoir. Tandis que le personnage de Sofia, en apparence un fantasme masculin stéréotypée, matérialise une forme d’emprise (sexuelle et culturelle) qui n’a pas besoin se montrer pour être efficace. La dimension enfin presque phallique de cette protagoniste est palpable grâce à des procédés techniques subtiles et oniriques qui érotisent des éléments métaphoriques telles que les fruits de mer et les vagues, rappelant l’aspect naturel des interactions des personnages féminins avec leur environnement.
Rebecca Zlotowski fait de plus appel à de multiples références intemporelles afin de mieux expliciter un propos particulièrement actuel, autour du statut de la Femme et son rapport à l’Homme. Naima est de la sorte l’héroïne d’une épopée mythique, d’un voyage initiatique entre enfance et age adulte. Un processus d’apprentissage qui se caractérise par une quête de réponse autour de la notion de liberté (dont l’essence est cristallisé dans un tatouage, “carpe diem”) et de la forme qu’elle peut revêtir. En ne voulant être jugée, elle demeure tiraillée entre les promesses d’un train de vie attirant et doucement je-m’en-foutiste similaire à celui de sa cousine et une vie future conventionnelle régie par le regard des autres. La figure de la richissime Calypso incarne ce dilemme d’adolescent et se veut un écho mythologique, car une femme de pouvoir juchée sur son ile privée labyrinthique. Symbole d’une culture traditionnelle et cloitrée, cette bourgeoise italienne représente ce regard méprisant et cette concurrence féminine qui n’a pas lieu d’être, qui juge avant de connaitre et qui donc perd vite pieds en sachant une “mijorée” férue de l’œuvre littéraire de Duras. Une fille facile traite aussi de légendes cinématographiques, le personnage de Sofia reproduisant par exemple des codes propres à Brigitte Bardot et Claudia Cardinale, stars phares du cinéma italien et de la French Riviera des années 1960. Avec cette moue légèrement boudeuse et cette voix angélique, la réalisatrice de Planetarium réinvente un glamour non plus connoté provocateur et donne une parole à Sofia-Zahia, à des personnalités dont seule l’image, ici associée à l’extravagance, le vulgaire et la Télé Réalité, demeure dans l’imaginaire collectif. Ce contre-courant frais s’inscrit dans une volonté d’entendre les oubliés du cinéma, et se revendique en dialogue avec le film de Rohmer La Collectionneuse dont Zlotowski est fan. Caractérisée par une intrigue marquée par le même engouement intense puis abandon soudain et injustifiée, les héroïnes répondent cependant cette fois par un message décomplexé et ambitieux, véritablement l’adage du film, sans cesse répété : on s’en fout.