CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2019 – « Tommaso », tensions romaines

Copyright Les Bookmakers / Capricci Films

HORS COMPÉTITION – SÉANCES SPÉCIALES – Cette cinquième collaboration du réalisateur Abel Ferrara avec le génialissime Willem Dafoe offre au spectateur un film tendu et frénétique sur la famille. Une œuvre à la dimension autobiographique qui cristallise les angoisses qui vont crescendo d’un cinéaste incompris en exil à Rome.

Cette fiction personnelle signée par le réalisateur de Snake Eyes semble au premier abord retracer le quotidien routinier et ensoleillé d’un cinéaste new-yorkais, Tommaso (Willem Dafoe), en recherche d’inspiration dans les rues de la capitale italienne. Cet étranger peine à s’intégrer au sein de ce nouvel environnement, dans lequel il erre, et à être pleinement présent pour éduquer son enfant de trois ans, Didi (Anna Ferrara). Sa compagne, incarnée par Christina Chiriac, s’approprie en effet de plus en plus la petite fille, du fait de son lourd passif marqué par un père absent. Ce manque de confiance en lui et cette impuissance face à l’hostilité des autres qui ne veulent l’écouter entre en résonance avec son passé d’alcoolique et drogué, qui revient le hanter et provoque une paranoïa féroce, marquée par un mysticisme ascensionnel. Un personnage fort, qu’on aime autant que l’on déteste au fur et à mesure d’une intrigue oppressante pourtant lumineuse.

Lors du premier visionnage de ce film hybride, on remarque que celui-ci, pourtant polyglotte (anglais, italien, moldave), est paradoxalement marquée par un manque de communication évident, qui se manifeste également par la multiplicité de quiproquos et de questions restées sans réponses. Les relents d’agressivité s’entrechoquent avec des relations à l’inverse tendres et remplies d’affection avec les membres de son groupe de parole, mettant d’autant plus en évidence cette ambivalence du personnage, qui ne parvient pas à trouver sa place. Une bipolarité parfois radicale et abrupte qui se ressent dans un traitement de la lumière contrasté et éclaté, zébrant et emprisonnant les visages des protagonistes ou les murs d’une chambre vide, s’éteignant progressivement, à l’image du lien qui unit des individus. Tandis qu’il tente d’exorciser ces proches pour mieux se définir, le public fait face à des interférences à l’oraison superstitieuse croissante, qui n’est pas sans rappeler La Dernière Tentation du Christ de Scorsese, qui révéla Dafoe en 1988.

Abel Ferrara signe définitivement une œuvre chimérique, où cohabitent en une cellule familiale restreinte et tout juste naissante des éléments ne pouvant être alliés et conciliées malgré des compromis. En prenant ainsi en compte le passif cinématographique d’un acteur autant que son propre vécu, le réalisateur offre une expérience visuelle aussi douce que brutale.

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