CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2019 – « Take me somewhere nice », Bosnie-Herzégovide

© Heretic Outreach

L’ACID – Avec Take me somewhere nice, Ena Sendijarevic présente cette année, dans le cadre de l’ACID, son premier long métrage.

Alma jeune adolescente désabusée décide de partir pour la Bosnie voir son père qui y est hospitalisé. La première vitesse du road-movie est enclenchée, valise au poing et robe en velours lilas sur le dos, Alma quitte sa mère pour partir en quête d’inconnu. Dès les premières images la réalisatrice plonge son.a spectateur.trice dans le décor d’une Bosnie délavée et kitsch qui sied à merveille aux prémisses de ce teen road-movie désabusé. Malheureusement l’errance pop que semblait nous promettre la photographie travaillée d’Ena Sendijarevic est de courte durée.

Très vite le vernis pastel se craquelle et le.a spectateur.trice comprend que la route d’Alma ne la mènera nul part. On sent une volonté chez la réalisatrice de créer un road-movie à l’image du sentiment de l’adolescence de son personnage, seulement voilà, l’adolescence d’Alma est faite majoritairement d’ennui et les spectateurs n’y couperont pas. Pourtant tous les ingrédients du road-movie sont bien là, une quête à accomplir, des embûches, de multiples rencontres, mais l’écriture d’Ena Sendijarevic traite ces événements comme anecdotiques. De la chanteuse de piano bar aigrie qui la recueille sur la route, en passant par le politicien quadragénaire libidineux qui la prend en stop, la réalisatrice peint dans les rencontres d’Alma l’image d’une Bosnie désabusée enlisée dans un quotidien fait de corruption et de résignation.

Copyright Pupkin

Plus dérangeante encore, cette manière qu’a le film de se complaire dans les représentations stéréotypées du masculin et du féminin. De la mère qui n’aura pour évoquer le père d’Alma que le mot de “salaud”, en passant par la chanteuse qui met en garde la jeune fille sur le fait que les hommes “sont tous les mêmes” et “veulent tous la même chose”, le film construit un discours qui laisse peu de place à l’imagination quant à la représentation des hommes . Et sans surprise, les seuls personnages masculins du film sont effectivement … des “salauds”. Du cousin d’Alma (Emir) dont la brutalité à l’égard de celle-ci est expliqué par son attirance pour elle, en passant par Denis, le stagiaire d’Emir, qui fait assez peu de cas du consentement de la jeune fille, le film réduit les rapports homme/femme à une pulsion sexuelle à assouvir, et dont la femme n’est, bien sûr, jamais le sujet actant.

La scène la plus gênante à ce titre arrive à la fin du film (la cerise sur le gâteau). Alors qu’ils sont tous les deux seuls sur une plage, Alma et Denis sont agressés par deux hommes. La jeune fille s’enfuie alors laissant le jeune homme se faire passer à tabac. Lorsqu’elle revient sur la plage, Denis est allongé sur le sol, ensanglanté, il lui demande alors de lui laisser du temps pour se remettre. Mais la jeune femme s’allonge sur lui et entame un rapport sexuel que le.a spectateur.trice aura bien du mal à envisager comme pleinement consenti (N’importe qui possédant son brevet de secourisme serait à peu près d’accord avec nous pour affirmer qu’un homme battu à mort a plus besoin de soin que de se faire lécher les tétons.) Comme si Alma, ayant intégré cette hypersexualisation de son corps par les hommes, était incapable de construire un autre lien que sexuel, avec eux.
Le seul lieu où le film d’Ena Sendijarevic est tristement paritaire, c’est donc dans cette manière de romantiser dangereusement la disponibilité sexuelle de ses personnages.

Pour notre prochaine destination de road-movie on veillera donc à mieux choisir notre guide.

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