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Après la révélation Victoria, en 2016, Justine Triet retrouve Virginie Efira pour Sibyl. Si la réalisatrice fait preuve d’audace et de virtuosité dans sa mise en scène, son troisième film se perd dans les méandres psychanalytiques d’un scénario inconsistant.
Passée maîtresse dans le portrait de femme, drôle et dépressif, Justine Triet poursuit son oeuvre cinématographique sur le même ton. Dans Victoria, Virginie Efira incarnait une avocate, dans Sibyl, elle est psychanalyste, ancienne alcoolique et romancière désireuse de se consacrer de nouveau à la fiction. La cinéaste excelle une fois de plus dans sa manière de créer un personnage féminin contrarié par une longue liste de névroses personnelles et un entourage toxic : dépression, cercle des alcooliques anonymes, maternité, ancien amour passionné, mari ennuyeux, soeur nuisible, mère décédée, psychanalyste moraliste, sexualité débordante, etc. Elle maîtrise justement ses scènes d’amour crues et terriblement charnelles, ode à la sexualité féminine.
Le seul lieu où Sibyl se sent bien est son cabinet, espace mental apaisé qui va voler en éclat avec l’intrusion de Margot – Adèle Exarchopoulos dans son meilleur rôle – une actrice la suppliant de lui venir en aide. Celle-ci est tombée enceinte de son partenaire de tournage, lequel est en couple avec la réalisatrice. Le film bascule alors dans un jeu de miroirs et d’emboitements scénaristiques. Justine Triet fait preuve d’une virtuosité incroyable de mise en scène et de montage où elle se permet de brouiller toutes les temporalités dans un entremêlement entre réalité et fiction. Elle symbolise l’ensemble par une deuxième partie en apparence vertigineuse, sur le tournage d’un film à Stromboli, hommage (un peu trop) évident au cinéma de Rossellini à Godard en passant par Cassavetes.
Néanmoins, si à travers cette maîtrise, la réalisatrice magnifie les femmes Virgine Efira en tête, Adèle Exarchopoulos et Sandra Hüller, les comédiens (Gaspard Ulliel, Niles Schneider et Paul Hami) semblent être des fairs-valoirs à l’histoire présentés comme si la cinéaste avait fait le choix de ne pas les diriger afin de les laisser être modelés par les personnages féminins. Un parti-pris perturbant qui offre un jeu inexistant à ces trois acteurs.
Son troisième long métrage se métamorphose en une éruption débordante de sujets, de références cinématographiques – évoquées comme adressées à la critique cinéphile plus qu’au spectateur. Dans ce jeu de manipulation en flashbacks et ce montage nerveux voire haché, Sibyl ne décolle jamais vraiment tandis que le scénario s’essouffle. À la recherche d’une forme de perfection, Justine Triet se prend fâcheusement trop au sérieux, elle donne le sentiment de trop vouloir en faire sans laisser de place à la beauté provoquée par l’accident au cinéma. Ce perfectionnisme ambiant dilue les émotions et accentue le manque de subtilité de certains propos. Le spectateur finit alors par se perdre dans l’esprit labyrinthique de Sibyl et espère retrouver rapidement le fil d’Ariane menant à la sortie. Finalement, le film porte bien son nom, Sibyl, pour sibyllin, « dont le sens est obscur, énigmatique, difficile à saisir. »