© Pyramide Distribution
Céline Sciamma revient à Cannes en compétition au sein de la Sélection Officielle cette fois-ci avec les portraits puissants et énigmatiques de trois jeunes femmes au XVIIIe siècle.
Marianne (Noémie Merlant), jeune artiste peintre arrive sur une côté bordée de hautes falaises. Elle est hébergée chez une famille de classe moyenne dont l’aînée est mystérieusement décédée. Son devoir est de peindre le portrait de mariage de la cadette que la famille a retiré du couvent. Mais Marianne apprend vite que cette dernière est contre l’idée du mariage et n’accepte pas de poser pour un peintre. Sa mère sollicite la discrétion de la jeune fille qui devra la peindre en l’observant durant la journée. Elle joue le rôle de « l’accompagnante » et passe ses après-midis à la plage auprès de la future mariée, Heloïse (Adèle Haenel). Naît alors entre les deux jeunes femme une complicité croissante qui se transforme rapidement en attirance électrique. Lorsque Heloïse apprend la vérité et découvre le premier portrait fait pas Marianne, elle le critique de manière cruelle et reproche à l’artiste de n’avoir aucun lien authentique avec son oeuvre. Sur le coup de la colère, Marianne recommence un autre portrait pour lequel cette fois-ci Heloïse accepte de servir de modèle. La mère de cette dernière s’éclipse quelques jours et laisse dans la grande demeure les deux jeunes femmes au soin de Sophie (Luana Bajrami) , la servante. Le lien entre ces trois figures s’approfondit et sort du contexte social pré-établit. « J’aime l’égalité » dit un jour Heloïse en parlant du couvent. Et entre les trois femmes, toute sorte de hiérarchie sociale disparait, comme le montre la scène où Sophie coud, Marianne dresse la table et Heloïse cuisine. Ou encore les nombreuses scènes où les trois corps sont docilement blottis les uns contre les autres dans le même lit.
Intime. Le mot qui décrit certainement le mieux l’oeuvre de Céline Sciamma. La réalisatrice crée un lien intime entre les deux amantes, dans sa manière d’évoquer le désir puis l’amour. Le rythme est lent, les plans contemplent avec langueur les sentiments que traduisent les pupilles dilatées. Les souffles courts résonnent, les gestes et effleurements traversent l’écran au ralenti. Les yeux s’aimantent et la tension monte pourtant devant des images fixes très contemplatives. Tout ce qui construit visuellement le film pourrait servir de modèle pour un tableau : Heloïse de dos dévisageant l’horizon, devant une houle agitée, les corps nus sous les draps blancs qui s’enlacent dans leur immobilité, les profils arrogants des deux jeunes femmes qui se découpent du fond pour se faire face avec fureur. Toute l’émotion réside dans la position des corps et dans l’expression contenue des visages statiques. La réalisatrice française opte pour un aspect esthétique approfondi mais ne néglige pas le chaos sentimental que provoque un premier amour. Elle rappelle que l’époque est à ce moment là celle de la retenue, des interdits, mais les rares scènes où cet étau explose sont des véritables torrents de passion. Derrière la pose réfléchie d’un modèle, derrière le calcul strict de l’angle de son buste, les deux jeunes femmes sont ivres d’amour. Elles se dévisagent sans cesse, l’une et l’autre, parfois l’ignorant, parfois en voulant parler au travers de leurs cils. Le meilleur portrait reste celui qui ignore qu’on va le peindre. Celui observé de l’autre côté d’un balcon d’une salle de théâtre. Celui, larmoyant, qui se rappelle les souvenirs d’un amour violent sur les notes musicales d’une tempête. Celui enfin, qui peint le regret.