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LA QUINZAINE DES RÉALISATEURS – Portrait de groupe des employés du sous-traitant français GM&S, dans la Creuse. De cet évènement médiatique qui a occupé une partie de la campagne présidentielle de 2017, Lech Kowalski fait un film près des corps, caméra au poing.
Au départ, il y a leurs visages qui interpellent. Marqués, épuisés, brutalisés par tant de combats perdus. Des mines quotidiennes qu’une partie de pêche ou une discussion entre camarades parviennent à raviver. Seule leur dignité compte, qu’ils veulent à la hauteur de la loyauté dont ils ont fait preuve pour leur entreprise, pendant plusieurs décennies. La caméra les interroge, les adopte puis les accompagne pour mieux les soutenir. Les visages, ce sont ceux de Vincent, Yann et les autres, tous ouvriers de l’équipementier automobile GM&S, sous traitant de Renault et Peugeot situé à La Souterraine, dans la Creuse. Pour sauver leurs 277 emplois, ils se sont battus durant neuf mois face à l’inaction des patrons et l’impuissance de l’État. Pour se faire entendre, ils ont accrochés deux bonbonnes à une colonne de gaz industriel. Pari réussi, le feu médiatique s’en est suivi. La caméra, c’est celle de Lech Kowalski, cinéaste du réel, tendance punk. Elle est l’oeil témoin de la longue révolte des irréductibles travailleurs. De parti-pris, elle colle aux bleus de travail et squatte les piquets de grève, suivant les différentes étapes d’un conflit social, des espoirs à la déception.
Quelle soit nichée dans les commissariats et les halls d’immeubles en France ou au fin fond d’un désert brésilien imaginaire, la colère des cinéastes face à l’injustice sociale anime la plupart des projections cannoises, en ce début d’édition. Un cinéma de combat qui ne se résout pas à accepter la lente mais profonde fracture sociale frappant les 98 % de la population. Épousant la cause de femmes et d’hommes dépendant de la la procédure de liquidation judiciaire, Kowalski a passé jour et nuit avec ces compagnons de la dernière chance. Ce n’est pas forcément leur statut social qui passionne le cinéaste, mais le noble combat qu’ils mènent pour ne pas être mis à la marge, ne pas tomber dans l’oubli.
Dès son titre en forme de promesse pyrotechnique, le film laisse augurer un compte à rebours promettant un brûlot contre le capitalisme moderne et la sauvagerie patronale. La colère aveugle allait être de chaque plan. Erreur, camarade. Le film est étonnamment plus multiforme, plus explicatif, plus doux aussi. Calmes et lucides, les ouvriers affrontent les diverses étapes du conflit sans violence, avec pour seul objectif de faire manger leurs familles. Leurs revendications sont loin de la « révolution » que Kowalski évoque lors de ses interventions en voix off, parfois trop redondantes. Mais ils restent opposés à ce monde où « les consommateurs ont remplacé les citoyens ».
On va tout péter se pense comme un western : un fort abandonné, des cow boys livrés à eux même, une autorité absente (le repreneur passe de temps à autre comme une silhouette menaçante dont la seule religion serait la langue de bois). Les puissants resteront donc invisibles. Leurs promesses créent l’unanimité, leurs actes votent blanc. Seuls, ceux qui s’appellent ironiquement les “sans-dents” bloquent des autoroutes, montent à Paris. Parmi les meilleures séquences de ce cinéma vérité, il y a ces rencontres avec les CRS (on ne peut pas ici parler d’affrontements, tant la violence physique est peu présente) lors de leurs actions. Malgré les ordres, chaque échange d’abord musclé laisse place à une compréhension, voire une compassion.
Aujourd’hui, et malgré le poids de ces images, la situation n’a pas réellement évoluée. Une centaine d’employés ont gardé leurs emplois, plus de 80 des salariés licenciés étaient toujours sans emploi près de deux ans après la reprise de l’usine. Alors, lorsqu’ils sont montés sur la scène du théâtre de la croisette jeudi 16 mai, les dizaines d’ouvriers n’avaient en tête qu’une seule idée : le combat n’est pas fini. Et la colère nous envahit.