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SÉLECTION OFFICIELLE – UN CERTAIN REGARD – Le réalisateur taïwanais Midi Z (Zhāo Dé-Yìn) dévoile son dernier long-métrage, Nina Wu, un pamphlet émérite prenant la forme d’un thriller sur le milieu acerbe du cinéma et sur les démons qui le ponctuent.
Nina Wu (Wu-Ke-xi) est une jeune femme pleine d’ambition au demeurant discrète. Installée depuis huit ans dans la ville de Taipei, loin de son entourage vivant en zone rurale en province, elle est habituée au tournage de courts-métrages et autres publicités pour vivre. Celle-ci finit par recevoir une proposition d’audition pour un long-métrage via son agent Mark, qui insiste auprès d’elle, un film d’espionnage se déroulant dans les années 60. Celle-ci parvient à ses fins et obtient le rôle, un événement déterminant qui ®éveillera ses conflits intérieurs.
Dans un récit dramatique décousu fait de flashbacks, et de pensées oniriques troubles, Midi Z met en abime une réalité expressive, et nous entraine dans les méandres des pensées ébranlées de Nina Wu. L’image se resserre, les couleurs tantôt vives tantôt froides, donnant l’allure d’un mauvais trip, et la caméra se focalise sur les traits bouillonnants des individus. Le personnage que Nina interprète dans le film, celui qu’elle incarne dans ses dialogues, implore qu’on l’emmène, pour ne pas être détruite physiquement et psychologiquement ; des mots qui sonnent comme une tirade bien trop juste face à l’abandon totale et à la solitude de cette femme, elle même embarquée dans ce jeun infâme. Dans ses crises psychotiques Nina Wu se trouve en face à face avec ses angoisses les plus profondes, l’actrice affiche un jeu magnifique d’une sincérité inébranlable. Une victime aux yeux apeurés subitement projetée sur le devant de la scène, pourchassée sans cesse par ses démons, et littéralement submergée par un monde qui s’est emparé de tout son être.
Le film est résolument onirique, filmant la silhouette frêle de cette femme, qui parcourt les couloirs sinueux d’un hôtel de luxe jusqu’à la chambre 1408, symbole d’un traumatisme et de ses multiples préoccupations mentales. Ce milieu fermé du cinéma à succès semble ici ne lui vouloir que du mal, viols, soumission, insultes, critiques, image controversée par les nouvelles technologies ; tout y passe. Le film est par ailleurs résolument engagé dans un sujet encore trop peu abordé au cinéma, et ce d’autant plus dans le cinéma asiatique, l’homosexualité féminine, et confère à cet aspect une légèreté singulière et innocente. Une situation ici teintée d’une honte pleinement perceptible, sur la relation qui unit Kiki (SUNG Yu-hua) et Nina, et indique également deux mondes devenus lointains, égarés entre modernité et isolement volontaire.
Quoi de mieux que le Festival de Cannes pour dénoncer cette violence singulière qui a récemment agité le cinéma avec l’Affaire Weinstein. L’idée qu’il faut coucher pour réussir, faire face à des tensions intériorisées par les femmes elles-mêmes (symbolisé par la fille numéro 3, HSIA Yu-chiao, entité culpabilisante hantant les pensées de Nina Wu), s’écraser, devenir une autre, pour atteindre le tapis rouge et la gloire, quitte à se perdre soi-même.